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Avocats, bas les masques !
Parution : samedi 3 octobre 2020
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Le masque est un anti-avocat. Il brave l’art du plaideur fait de rencontres et de paroles. Mais si la vocation de l’avocat est de franchir les obstacles, est-ce un masque qui va l’arrêter ?

Par Loïc Tertrais, Avocat.

Un entrepreneur rencontre une grave difficulté avec un fournisseur. Il prend un avocat Il choisit un défenseur qu’il place entre lui et son adversaire. L’entrepreneur ne peut pas lutter sur tous les fronts. Il a une activité à faire tourner, des équipes à animer et sa famille à élever. Alors, sur ce différend qui l’oppose à son fournisseur, il désigne un avocat pour le défendre.

L’avocat a la charge de porter son combat : rencontrer son rival, débattre, supporter la contradiction, ressentir l’animosité, rassembler les pièces et les arguments, plaider l’affaire. L’avocat est le professionnel de la première ligne. C’est son rôle. Il ne peut y déroger.

Pour cela l’avocat doit aller au contact. Si lui n’y va pas, personne d’autre n’ira. Il a été missionné pour cela.

Il aime affronter, ressentir, il ne se dérobe jamais.

Masquer un avocat, c’est bien sûr l’associer à un geste de protection contre la propagation d’un virus. Mais ce n’est pas de mesure sanitaire dont je veux m’entretenir. Je veux parler du masque comme signe. Masquer un avocat, c’est lui signifier qu’il est bâillonné quand son client attend de lui une parole forte, c’est lui dire qu’il doit se mettre en retrait quand son client demande au contraire qu’il soit devant.

En paraphrasant Jacqueline Kelen on pourrait écrire que : « Jamais un avocat ne souhaite se protéger – des difficultés, du mal ou du malheur, des autres, du hasard et des intempéries. Il aime affronter, ressentir, il ne se dérobe jamais. C’est pourquoi son sens de l’épreuve va de pair avec son goût de rencontrer.
Ce pourrait être une définition parmi d’autres, de l’avocat : celui qui va à la rencontre…
 » [1]

Le masque est un anti-rencontre, un anti-contact. Le masque n’est pas l’allié de l’avocat.

L’avocat ne peut donc pas aimer le masque et tout ce que cette petite pièce carrée d’étoffe signifie pour lui : se protéger avant de soutenir celui qu’il assiste, haleter une parole étouffée au lieu de porter une parole libre, privilégier le rendez-vous téléphonique au lieu de rencontrer son client et faire face à son malheur yeux dans les yeux, être invité à déposer son dossier sans audience au lieu de rencontrer corps présent les juges qui vont rendre la justice.

Tu ne connaissais que mon masque, voici mon visage !

Le masque est donc moins pour l’avocat une protection qu’’un obstacle. Un obstacle ? C’est peut-être là, la chance du plaideur. Résoudre les conflits, franchir les obstacles, c’est le quotidien de l’avocat, sa vocation propre.

Dans cette perspective, le masque loin de paralyser l’avocat, renforce sa détermination de plaideur, un peu à la manière de Cyrano de Bergerac :

« Mais moi,
La Haine, chaque jour, me tuyaute et m’apprête
La fraise dont l’empois force à lever la tête ;
Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m’ajoute une gêne, et m’ajoute un rayon,
Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
La Haine est un carcan, mais c’est une auréole ! »
 [2]

Heureusement, ce n’est pas un simple masque qui peut arrêter un avocat.

Mais qui n’attend pas impatiemment le temps où le plaideur pourra se présenter devant le juge avec Victor Hugo en guise d’exorde : "Tu ne connaissais que mon masque, voici mon visage !" [3]

Me Loïc TERTRAIS

[1Jacqueline Kelen – L’éternel masculin – Le texte d’origine est le suivant : « Jamais un héros ne souhaite se protéger – des difficultés, du mal ou du malheur, des autres, du hasard et des intempéries. Il aime affronter, ressentir, il ne se dérobe jamais. C’est pourquoi son sens de l’épreuve va de pair avec son goût de rencontrer. Ce pourrait être une définition parmi d’autres, du héros : celui qui va à la rencontre… »

[2Edmond Rostand – Cyrano de Bergerac.

[3Victor Hugo – Le dernier jour d’un condamné.