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Comment déposer sa marque aux Etats-Unis (1/2) ? Par Jérémie Leroy-Ringuet, Avocat.
Parution : mardi 6 octobre 2020
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Les entreprises qui souhaitent étendre leur activité aux États-Unis ont tout intérêt à protéger leurs marques sur le territoire américain et doivent être conscientes du fait que c’est l’usage de la marque qui est créateur de droit, alors qu’en France et dans l’Union européenne (UE), le droit résulte du dépôt et non de l’usage. Pour une entreprise européenne, la meilleure façon de se constituer un droit de marque aux États-Unis est de passer par un dépôt de marque internationale. La seconde partie de cet article exposera les autres types de dépôt ainsi qu’une série de particularités propres au droit américain des marques.

La première partie de cet article met l’accent sur la nécessité impérative de l’usage en droit américain et sur le fonctionnement du dépôt par la voie internationale [1].

L’exigence d’usage préalable ou d’intention sérieuse d’utiliser la marque.

Lorsqu’une entreprise européenne envisage de se lancer sur le marché américain, elle doit être consciente de la nécessité d’exploiter ou d’avoir une « intention sérieuse » d’exploiter sa marque sur ce territoire avant même de procéder au dépôt. En effet, contrairement aux systèmes français et européen, le système des marques américain est fondé sur l’usage créateur de droit et non sur le dépôt créateur de droit : first to use et non first to file.

En d’autres termes, en France ou dans un autre pays de l’UE, l’entreprise qui utilise un signe qu’elle n’a pas déposé est dans une situation de fragilité juridique car ses concurrents pourraient tenter de le déposer à sa place et avant elle ; inversement, elle aurait le droit de laisser passer jusqu’à près de cinq années avant d’utiliser le signe qu’elle a déposé sans pour autant se le voir reprocher. Aux États-Unis, en revanche, le droit sur la marque n’est pas accordé définitivement par l’Office américain des brevets et des marques (USPTO) tant que des preuves de son usage en cours dans la vie des affaires et sur le territoire américain ne sont pas apportées ou, dans le cas d’un dépôt international, sans une attestation du déposant qu’il a une « intention de bonne foi » d’utiliser comme marque le signe dont il demande la protection. Cette attestation a valeur de serment et doit être prise très au sérieux par le déposant.

Il est donc crucial pour une entreprise souhaitant déposer sa marque aux États-Unis d’avoir, sinon commencé à l’exploiter, du moins le projet effectif de l’exploiter dans un délai détaillé dans le second volet de cet article. Cette exigence vise à empêcher les requérants de bloquer la disponibilité d’un signe indéfiniment.

De plus, l’UE et la France ne reconnaissent pas les marques non enregistrées, contrairement aux pays de common law, dont les États-Unis. Ainsi, une entreprise utilisant sur le territoire américain une marque non enregistrée auprès de l’USPTO, ou en cours d’enregistrement, peut y adjoindre le symbole ™ (pour Trademark) ou SM (pour Service mark), tandis que le symbole ® (pour Registered) sera réservé aux seules marques disposant d’un certificat d’enregistrement en cours de validité [2].

Ces différences radicales entre les deux systèmes ne sont pas sans créer des difficultés pour le déposant européen qui aura tout avantage à passer par la procédure de dépôt international.

La procédure de dépôt international.

Il n’est pas indispensable de recourir à un avocat américain pour faire enregistrer une marque par l’USPTO : un avocat ou un Conseil en propriété industrielle (CPI) français ou européen peut en effet effectuer un dépôt international désignant, entre autres pays, les États-Unis.

Le dépôt international se fait via le « Protocole de Madrid », une procédure de dépôt international régie par l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI). Le déposant doit se fonder sur une marque préexistante, par exemple une marque française enregistrée à l’INPI ou une marque européenne enregistrée à l’Office européen (l’EUIPO). Cette marque est la base de la demande de dépôt international. Cette demande d’extension internationale présente le grand avantage de réduire considérablement les taxes de dépôt, qui ne sont payées qu’une seule fois et à un tarif très avantageux comparé aux tarifs additionnés de tous les dépôts nationaux envisagés. La procédure n’est donc pas spécifique à un seul pays et peut désigner plusieurs pays (par exemple, en une seule demande : les États-Unis, le Japon, l’Egypte, l’Australie et l’Inde). La stratégie de dépôt est donc plus souvent globale que focalisée sur un seul pays étranger.

Les avantages du dépôt international désignant les États-Unis.

Quand cette demande d’extension vise les États-Unis, l’article 66(a) du Lanham Act [3], la loi américaine encadrant le droit des marques, considère que cette demande est réputée régulière si elle comporte une déclaration d’intention d’usage de bonne foi de la marque dans la vie des affaires (« a declaration of bona fide intention to use the mark in commerce »). Cette déclaration engage son auteur et l’expose aux [sanctions prévues [4] par le droit pénal américain en cas de parjure, ainsi qu’à l’annulation de sa marque pour dépôt de mauvaise foi.

L’avantage majeur de cette procédure internationale est que la marque pourra être enregistrée sans que le titulaire ne soit dans l’obligation de fournir des preuves d’usage dans l’immédiat. Ces preuves ne seront exigibles que cinq à six ans après l’enregistrement définitif de la marque, alors qu’elles sont dues avant même l’enregistrement dans le cas d’un dépôt national américain, en plus d’être dues également lors de la cinquième année de la vie de la marque. Dans tous les cas, elles sont également requises tous les dix ans à compter du dépôt de la demande, au moment du renouvellement de la marque.

L’article 66(b) permet en outre d’obtenir une protection de la marque sur le sol américain non pas à compter de la date de réception de la demande par l’USPTO mais à compter de la date de priorité revendiquée de la marque sur laquelle la demande d’extension est fondée. C’est-à-dire que le titulaire de la marque pourra, par exemple, intenter un procès aux États-Unis contre des actes de contrefaçon de sa marque, commis avant le traitement de la demande d’extension par l’USPTO (à condition toutefois que la demande internationale ait été formée dans les six mois à compter du dépôt de la marque d’origine). Si aucune date de priorité de marques non américaines n’est invoquée, en revanche, la date de protection sera celle de la demande d’enregistrement international formulée devant l’OMPI.

Les obstacles potentiels à l’enregistrement.

L’examinateur de premier niveau peut émettre des refus d’enregistrement fondés sur diverses raisons, et l’instance d’appel de l’USPTO, le Trademark Trial Appeal Board (TTAB), peut confirmer ou infirmer ces refus. Ces procédures sont tout d’abord ex parte c’est-à-dire qu’elles se déroulent entre le déposant et l’Office. Elles peuvent ensuite devenir inter partes, dans le cas où un tiers s’oppose à l’enregistrement une fois que l’examinateur de l’USPTO a autorisé la publication de la demande de marque.

Le signe dont la protection est demandée aux États-Unis via le Protocole de Madrid doit correspondre parfaitement à la marque d’origine. Il est impossible de modifier le signe ou d’étendre les produits et services visés pour donner une couverture plus large au signe. Par exemple, si une marque française désigne des boissons, il sera impossible de l’élargir pour désigner des aliments. En l’absence d’adéquation, la demande peut être rejetée. Toutefois, il reste possible de restreindre l’étendue des produits et services couverts par la marque d’origine en en supprimant ou en y apportant des précisions ou des modifications qui restreignent le champ de protection : par exemple, passer de « computers » à « laptops » est une modification considérée comme acceptable car les ordinateurs portables sont un produit compris dans la catégorie plus large des ordinateurs.

L’USPTO peut également notifier un rejet provisoire partiel (c’est-à-dire une invitation à modifier la demande, faute de quoi elle serait refusée) relativement au libellé exact, qui peut être complexe, des produits et services. En effet, les exigences de précision de l’office américain sont différentes de celles des offices européen et français. Il convient alors de modifier ce libellé pour se conformer aux exigences de l’USPTO, par exemple en acceptant la suggestion de modification faite par l’examinateur.

Les autres obstacles auxquels le déposant peut faire face sont les mêmes pour les demandes d’extension internationale via le Protocole de Madrid que pour les dépôts directement effectués devant l’USPTO. Les rejets peuvent donc aussi porter sur l’absence de caractère distinctif (c’est-à-dire le fait qu’une marque ne doit pas décrire les produits et services visés, telle une marque « Les Meilleurs Kiwis » qui désignerait des fruits et qui serait rejetée pour descriptivité). La distinctivité ne s’apprécie pas de la même manière en France ou dans l’UE qu’aux États-Unis et l’octroi d’un droit de marque par l’EUIPO n’implique pas que l’USPTO admette la distinctivité du signe et l’enregistre (voir la deuxième partie de cet article).

Les rejets fondés sur le risque de confusion entre le signe demandé et des marques américaines antérieurement déposées ou enregistrées dans des produits et services identiques ou similaires et pour un signe identique ou similaire sont également fréquents.

La procédure et le calendrier d’enregistrement devant l’USPTO.

La procédure d’enregistrement devant l’USPTO d’une demande d’extension via le Protocole de Madrid peut être rapide, en l’absence de contestation, ou prendre plusieurs années en cas de difficultés.

Une fois la demande d’extension reçue, l’USPTO désigne un examining attorney : un juriste employé par l’office, dont la tâche sera d’effectuer une première vérification de la validité du signe. Rapidement, ce juriste écrit au déposant, soit pour lui confirmer que son signe est accepté, soit pour lui notifier un rejet provisoire, qui peut être partiel ou total, et qui est fondé sur les conditions de validité mentionnées supra. Un rejet (provisoire ou définitif) peut être partiel, par exemple, si la marque est acceptée pour tels produits et refusée pour tels autres produits. Le déposant dispose alors de six mois pour contester le rejet provisoire. Le juriste lui répond au bout de quelques semaines, soit en acceptant la réponse qui lui a été faite et en publiant la marque, soit en réitérant un rejet partiel ou total, cette fois-ci définitif. Mais ce rejet n’a de définitif que le nom puisque le déposant a alors six mois pour formuler une requête en réexamen (request for reconsideration) et/ou pour faire appel devant le TTAB. Si une requête en réexamen a été formée, le TTAB sursoit à statuer tant que le juriste n’a pas rendu sa décision. Ensuite, la procédure devant le TTAB est contradictoire puisque l’examining attorney peut soumettre ses observations sur l’appel formé par le déposant. La décision du TTAB peut elle-même être contestée devant la Cour d’appel fédérale de Washington DC.

Remarquons enfin qu’en cas d’oubli et de dépassement d’un délai, qui vaut abandon de la demande de marque, il reste possible de formuler une requête en réactivation de la demande (request to revive), moyennant une indemnité.

Les oppositions.

On le voit, le processus d’enregistrement est potentiellement bien plus long et complexe aux États-Unis qu’en France ou dans l’UE. Il en va de même des oppositions, ces contestations formulées par des tiers sur la base de leurs propres droits de marque : par exemple, le titulaire d’une marque américaine « Windows » désignant des systèmes d’exploitation d’ordinateurs aurait tout intérêt à s’opposer à une demande de marque américaine « Windows » ou même « Weendoze » pour des produits similaires. Les demandes d’extension via le Protocole de Madrid sont sujettes aux procédures d’opposition.

Il n’est possible de former opposition contre une demande de marque qu’une fois la demande validée par l’USPTO et publiée, comme en France. Les tiers peuvent même demander à allonger la période au cours de laquelle ils peuvent former opposition s’ils veulent se donner plus de temps.

Sans rentrer dans les détails, les oppositions sont des procédures administratives inter partes, c’est-à-dire des procédures menées devant une administration (le TTAB) et non devant un juge judiciaire ; et elles mettent en présence au moins deux parties autres que cette administration : les titulaires de marques et de demandes de marques. La grande particularité américaine est que les règles américaines de procédure civile fédérale s’appliquent à ces procédures administratives et qu’il est donc possible, par exemple, de demander à des personnes physiques de témoigner sous serment ainsi que d’exiger l’accès à un grand nombre de documents détenus par la partie adverse, ainsi que de subir de tels actes de procédure, conformément aux règles de la discovery. Le coût d’une procédure d’opposition est donc assez élevé, ce qui explique que, la plupart du temps, les parties transigent en cours de procédure. Les parties doivent obligatoirement être représentées par un avocat américain, ce qui est particulièrement nécessaire en raison de la grande technicité de cette procédure où les exceptions et incidents les plus divers sont soulevées avant d’en venir au fond du dossier.

Néanmoins, le travail de fond mené de façon préalable par l’examining attorney a pour effet de limiter le nombre d’oppositions, bien moins important aux États-Unis que devant l’INPI ou l’EUIPO. Par exemple, en 2018, pour environ 140.000 demandes de marques, l’EUIPO a reçu autour de 17.000 oppositions (un ratio de plus de 12%), alors que l’USPTO, pour environ 450.000 demandes de marques, a reçu autour de 6.500 oppositions seulement (un ratio de moins de 1,5%).

Une marque américaine est donc un titre plus difficile à obtenir qu’un titre européen ou français, mais aussi plus solide face aux contestations des tiers.

Ce qu’il faut retenir

Une entreprise européenne souhaitant déposer une marque aux États-Unis doit avoir conscience de la nécessité d’utiliser effectivement cette marque dans le commerce et sur le territoire américain.
La procédure de demande internationale, qui peut être faite depuis l’UE, permet de retarder la commercialisation effective des produits ou services visés par la marque tout en sauvegardant ses droits. Mais le processus d’obtention de la protection d’un signe sur le territoire américain est parfois long et coûteux. La consultation d’un avocat ou d’un CPI permet de neutraliser certaines des difficultés que ne manquent pas de rencontrer certains déposants imprudents.

Jérémie Leroy-Ringuet, avocat au barreau de Paris

[1Mes plus vifs remerciements sont adressés à Malaurie Pantalacci, CPI, associée, TAoMA Partners, pour son aide à la préparation de cet article en deux volets.

[2Le titulaire d’une marque non enregistrée peut revendiquer un usage antérieur (senior use) mais seulement sur le territoire géographique où il exploite sa marque (par exemple, une ville, un district ou un État) et il peut demander à un juge d’ordonner au titulaire d’une marque similaire ou identique de cesser des actes qu’il estime contrefaisants, sur son territoire d’usage. Il ne sera toutefois pas autant protégé que s’il était titulaire d’une marque enregistrée : il ne peut ni obtenir de dommages-intérêts ni de remboursement de ses frais d’avocat. Enfin, dans certains États, le titulaire d’une marque non enregistrée peut obtenir l’annulation d’une marque similaire ou identique visant des produits similaires ou identiques et qui aurait été déposée postérieurement au premier usage de la marque non enregistrée.

[3Plusieurs de ces liens hypertextes renvoient au manuel de référence de l’USPTO, le TMEP, pour plus de détails sur les points abordés.