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Comment déposer sa marque aux Etats-Unis (2/2) ? Par Jérémie Leroy-Ringuet, Avocat.
Parution : mercredi 7 octobre 2020
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Comme exposé dans la première partie de cet article, la meilleure façon de disposer d’un droit de marque aux Etats-Unis est de former une demande d’extension via le Protocole de Madrid. Il reste néanmoins possible de réaliser un dépôt national directement devant l’USPTO (I). Dans tous les cas, le droit américain des marques présente des particularités qu’un déposant européen se doit de connaître (II).

Le dépôt par la voie nationale.

Si la procédure de dépôt international via le Protocole de Madrid est la plus recommandée et la moins coûteuse pour obtenir une marque américaine, il reste possible de procéder à des dépôts directs devant l’USPTO, soi-même ou par l’intermédiaire d’un avocat américain.

Aux Etats-Unis, le droit de la propriété intellectuelle est de compétence fédérale, ce qui signifie tout d’abord que les cinquante Etats appliquent le même droit, issu du chapitre 37 du Code des règlements fédéraux [1]. Les formalités de dépôt s’effectuent auprès d’un seul et même office, l’USPTO, situé à Washington et qui dispose de bureaux dans plusieurs villes américaines. Les avocats américains peuvent donc déposer des marques pour leurs clients sans être inscrits au barreau du district de Washington ni être membre d’un barreau dont dépend leur client. N’importe quel avocat américain peut ainsi représenter un client étranger souhaitant déposer une marque auprès de l’USPTO et l’ensemble de ses instances ainsi que devant la cour d’appel fédérale de Washington qui connaît des appels contre les décisions définitives de l’USPTO.

Une société européenne peut consolider une marque demandée ou obtenue via le Protocole de Madrid en déposant sa marque directement devant l’USPTO. Elle peut le faire en invoquant quatre fondements différents. Le choix de ces fondements (les articles 44(d), 44(e), 1(a) et 1(b) du Lanham Act) dépend notamment du fait que la marque est, ou non, déjà utilisée sur le territoire américain.

Les fondements de dépôt envisageables.

- 44(d) et 44(e) : se fonder sur une marque française ou européenne préexistante
Une première façon de déposer une marque américaine est de se fonder sur une marque française ou européenne et de la revendiquer comme priorité. Si la marque d’origine est déjà enregistrée, c’est l’article 44(e) qu’il faut sélectionner au moment du dépôt de la demande, alors que c’est l’article 44(d) lorsque la marque d’origine n’est pas encore enregistrée mais a été déposée il y a moins de six mois [2]. La différence principale avec la demande d’extension internationale est que la procédure se fait directement devant l’USPTO et non pas via l’OMPI, ce qui est recommandé en particulier lorsque le déposant ne veut étendre sa marque qu’aux Etats-Unis.

L’avantage du recours à de dernier fondement est que la date de dépôt américain sera fictivement celle de la marque d’origine (par exemple la date de dépôt auprès de l’INPI), ce qui a une incidence sur la période de protection et sur l’antériorité, par exemple vis-à-vis de potentiels concurrents s’apprêtant à utiliser un signe similaire ou identique. De plus, comme pour la demande d’extension formée via le Protocole de Madrid, une simple attestation de bonne foi de l’intention d’utiliser la marque suffit, sans qu’il soit nécessaire de fournir avant l’enregistrement une preuve d’usage de la marque aux Etats-Unis.

- 1(a) : déposer une marque américaine sans lien avec une marque française ou européenne, et qui a déjà commencé à être utilisée aux Etats-Unis
Si l’entreprise utilise déjà sa marque aux Etats-Unis, elle peut déposer une demande de marque fondée sur l’article 1(a) du Lanham Act [3].

Dans ce cas, il n’est pas requis que le signe déposé ni le libellé des produits et services soient parfaitement identiques à une éventuelle autre marque exploitée dans l’UE ou ailleurs puisque le dépôt est indépendant de toute autre marque étrangère ; il est donc possible d’utiliser la marque pour des produits nettement différents de ceux couverts par une éventuelle marque française ou européenne (par exemple, en utilisant le même signe pour des services d’assurances en France et des services bancaires aux Etats-Unis). En revanche, il est obligatoire d’attester, au moment du dépôt, que la marque est utilisée et de fournir la preuve de l’usage avant la fin de la procédure d’enregistrement, donc relativement rapidement.

Ce fondement est donc particulièrement recommandé lorsque l’entreprise propose déjà ses produits et services sur le territoire américain, même localement, dans un nombre d’Etats restreint. Ce fondement est aussi pertinent lorsque l’entreprise souhaite déposer un signe légèrement différent ou très différent et/ou visant des produits et services légèrement différents ou très différents de ceux de sa marque d’origine, ce qui ne serait pas possible en passant par le Protocole de Madrid ou par une revendication de priorité régie par l’article 44 du Lanham Act.

- 1(b) : déposer une marque américaine sans lien avec une marque française ou européenne, et qui n’a pas commencé à être utilisée aux Etats-Unis.

A titre informatif, il est également possible de se fonder sur l’article 1(b) [4] du Lanham Act, relatif aux demandes de marque avec intention d’usage (intent to use) et donc non encore utilisées dans le commerce. Dans l’hypothèse où une demande de marque fondée sur l’article 1(b) a été tout de suite acceptée par l’USPTO, ou l’a été après des échanges et/ou les modifications requises par l’examinateur, elle est alors soumise à preuve d’usage. Le déposant a six mois pour fournir de telles preuves. Il peut demander une prorogation de ce délai à cinq reprises, en payant une indemnité à chaque demande d’extension et en attestant à chaque fois de la bonne foi de son intention d’utiliser le signe déposé (bona fide intent to use). Le déposant dispose donc de facto d’un délai maximum de trois ans, auquel s’ajoute le délai pris par l’examen de la demande par le juriste de l’USPTO, pour commencer à exploiter sa marque aux Etats-Unis. Passé ce délai, sans preuve d’usage, il est déchu de son droit de marque. On comprend dès lors l’intérêt du Protocole de Madrid (voir premier volet de cet article) comparé au dépôt avec intention d’usage pour lequel l’exigence de preuve d’usage intervient bien plus tôt.

Enfin, notons qu’une entreprise dont la marque française ou européenne a été annulée au cours des formalités de dépôt via le Protocole de Madrid (suite à une opposition ou à une annulation, par exemple) peut changer de fondement et faire passer sa demande d’extension internationale en demande nationale 1(a) ou 1(b) sans surcoût et sans avoir à recommencer les formalités de dépôt. Il est également possible de passer de 1(b) à 1(a) [5] si la marque commence à être utilisée avant sa publication, ou de se fonder sur 1(a) pour un produit et sur 1(b) pour un autre [6], au sein d’une même demande de marque qui se trouvera ainsi divisée pour aboutir à l’enregistrement éventuel de deux marques. Les possibilités ne sont pas infinies, mais suffisamment riches - et compliquées - pour que le déposant trouve un grand bénéfice à recourir à un spécialiste du droit américain des marques capable de lui proposer une stratégie de dépôt sur mesure.

Quelques autres particularités à connaître.

Voici à présent quelques développements succincts et non exhaustifs, mais d’intérêt, sur une série de particularités du droit américain des marques.

Le Registre Principal et le Registre Supplémentaire.

Il est toujours possible, indépendamment du fondement choisi pour le dépôt, de contourner un rejet de l’USPTO, par exemple pour descriptivité, en prouvant que la marque, bien que descriptive (ce qui devrait conduire, normalement, à son rejet), est d’ores et déjà utilisée aux Etats-Unis et en demandant une inscription sur le Supplemental Register au lieu du Principal Register où la marque serait enregistrée, en temps normal.

Ce Registre Supplémentaire [7] confère à la marque déposée des droits moindres, dans la mesure où, contrairement aux marques enregistrées sur le registre principal, elle pourra toujours être contestée quant à son caractère distinctif et au risque de confusion qu’elle présente, alors que les marques enregistrées depuis au moins cinq ans sur le registre principal sont éligibles à une déclaration d’« incontestabilité » [8] et, une fois « incontestables », elles ne peuvent plus être contestées pour leur descriptivité ou le risque de confusion avec une marque antérieure. Elles peuvent en revanche être contestées (car une marque « incontestable » est en réalité contestable !) pour dépôt frauduleux ou pour dégénérescence, si elles sont devenues génériques, comme par exemple la marque « Escalator » est devenue le terme générique pour désigner les escaliers mécaniques. De plus, les marques enregistrées dans le registre supplémentaire n’octroient aucune présomption légale de titularité au déposant.

Néanmoins, la solution de « repêchage » qu’offre le registre supplémentaire permet de disposer d’un droit enregistré et opposable aux tiers sur le sol américain malgré les rejets initiaux de l’USPTO. Les marques enregistrées dans le registre supplémentaire bénéficient donc du droit d’utiliser le symbole ® puisqu’elles sont bien enregistrées (registered). Et surtout, il est impossible de former une opposition contre une marque enregistrée sur le Supplemental Register [9].

Enfin, si la marque enregistrée sur le registre supplémentaire acquiert au fil des ans un caractère distinctif aux yeux du public (c’est-à-dire si, malgré son caractère descriptif, les consommateurs associent ce signe à l’entreprise qui propose les produits ou services portant cette marque), son titulaire pourra par la suite demander l’enregistrement d’une marque identique sur le registre principal. Cette marque, en raison de sa distinctivité acquise (acquired distinctiveness) ne pourra pas être rejetée pour descriptivité.

Attention : les demandes d’extension via le Protocole de Madrid ne sont pas éligibles à l’inscription au Registre Supplémentaire [10] et une marque que l’examinateur considérerait comme descriptive ne pourrait pas être « repêchée ». Il convient donc de s’interroger, avant de procéder à une demande d’extension via le Protocole de Madrid, sur le caractère distinctif du signe, qui s’apprécie différemment dans les deux systèmes américain et européen.

Une approche différente de la distinctivité.

La distinctivité d’une marque s’apprécie, dans l’UE, par le fait que sa signification n’est pas immédiatement perçue par le public pertinent comme fournissant des informations sur les produits et services désignés, sur leurs quantité, qualité, caractéristiques, destination, espèce ou taille et que le signe permet d’identifier l’origine des produits et services et de les distinguer de ceux proposés par d’autres entreprises. La distinctivité est donc doublement appréciée [11] : au regard des produits et services désignés et au regard de la perception qu’en a le public. L’importance de la perception du public est bien sûr à mettre en relation avec le fait que le public potentiel d’une marque de l’UE est composé des locuteurs des 23 langues officielles de l’UE.

En revanche, en droit américain [12], une marque est distinctive si elle n’est pas purement descriptive vis-à-vis des produits et services désignés. L’examen de la descriptivité est donc indépendant de la perception par le public qui n’est pas un critère pertinent. Elle est plus objective. La perception du public ne doit être prise en compte que pour l’appréciation du caractère générique de la marque [13].

Il existe également des différences d’appréciation dans l’examen du caractère évocateur ou suggestif d’une marque, un caractère reconnu dans les deux systèmes comme permettant l’enregistrement de marques en apparence descriptives. Les différences entre les deux systèmes sont particulièrement marquées quand les signes déposés sont constitués d’au moins deux termes descriptifs : l’USPTO est plus accueillant à la théorie de la combinaison distinctive de termes descriptifs. Il autorise, davantage que l’EUIPO, l’enregistrement de marques « incongrues » (incongruous), comme « Sno-rake » [14], déposée pour des racloirs à neige, qui a été considérée comme suggestive et non descriptive alors même qu’elle évoque directement le produit désigné au moyen des mots « neige » (sno pour snow) et « râteau » (rake), utilisé au lieu du mot racloir (scraper).

Le droit de l’UE est bien plus strict dans l’appréciation des combinaisons inhabituelles créant une impression suffisamment éloignée de celle produite par chacun des termes descriptifs. Ainsi, l’enregistrement de la marque « Biomild » a été refusé [15] pour des yaourts biologiques et doux (mild, en allemand) alors même que ces deux caractéristiques descriptives pourraient s’appliquer à bien des produits non alimentaires, comme du tissu ou des produits cosmétiques. De même, les marques composées de deux mots descriptifs « highprotect », « tennis warehouse », « truewhite » et « pipeline » ont été enregistrées aux Etats-Unis mais refusées par l’office européen et la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour descriptivité [16].

Enfin, l’USPTO et le droit européen ont une approche différente de l’examen du besoin des concurrents de conserver la capacité d’utiliser l’élément descriptif présent dans une demande de marque : la CJUE considère qu’il suffit que le signe puisse théoriquement être utilisé par les concurrents du déposant pour décrire leurs produits et services pour que l’enregistrement soit rejeté, alors que l’USPTO examine simplement si les concurrents pourraient avoir besoin d’utiliser librement l’élément descriptif déposé au sein d’une marque [17]. L’explication de cette différence d’approche est peut-être liée à l’existence, en droit américain, des disclaimers.

Les disclaimers ou « non-revendications ».

L’USPTO peut en effet requérir du déposant, s’il ne l’a pas fait spontanément, qu’il renonce explicitement à la protection sur une partie de sa marque [18], si elle est considérée comme descriptive. Le disclaimer prend la forme d’une formule-type : « No claim is made to the exclusive right to use"____________" apart from the mark as shown ». Les disclaimers sont donc particulièrement utiles lorsqu’une marque comprend un terme descriptif mais aussi lorsqu’un déposant souhaite faire enregistrer une marque complexe, un logo, comprenant des éléments graphiques et verbaux, éventuellement un slogan : dans ce cas, il n’est pas rare que le logo comprenne des éléments descriptifs (comme le type de produit visé) que le disclaimer permet d’inclure dans l’enregistrement.

Par exemple, la marque semi-figurative « Padre azul » pour de la tequila produite à partir d’agave bleue (azul, en espagnol, langue largement parlée aux Etats-Unis) peut être enregistrée si le déposant renonce à la protection sur le terme « azul » sous d’autres formes que celle déposée, à savoir « Padre azul ». ainsi, les concurrents pourront utiliser le mot « azul » pour désigner leur propre tequila (au sein de leur marque ou bien sur l’étiquette, comme terme descriptif) mais sans le terme « padre ». De fait, de nombreuses marques de tequila contiennent le mot « azul ». L’utilisation de termes en langues étrangère soulève d’ailleurs un autre problème.

La traduction des signes déposés et le risque de descriptivité.

Un signe composé de termes non anglophones et provenant d’une langue connue (well-known) des consommateurs américains devra être traduit dans la demande de marque et la version anglaise sera également examinée au titre de la disponibilité et de la descriptivité : une demande de marque américaine « chat noir » a été rejetée pour risque de confusion avec une marque antérieure « black cat » et une marque « kühlbrau » (bière fraîche, en allemand), désignant de la bière, a été rejetée pour descriptivité, en application de la doctrine des équivalents étrangers (Doctrine of Foreign Equivalents).

Cette doctrine s’applique également pour les marques déposées dans des langues n’utilisant pas l’alphabet latin : des idéogrammes chinois signifiant « journal oriental » pour désigner des journaux ont été considérés comme descriptifs [19].

Le critère pour que cette doctrine s’applique est que le consommateur moyen procéderait probablement lui-même à la traduction (when it is likely that the ordinary American purchaser would stop and translate the foreign word into its English equivalent). Cette doctrine trouvera donc particulièrement application lorsque la traduction est aisée et que le langage d’origine est répandu, notamment aux Etats-Unis : l’importance de l’espagnol et du français, mais aussi des diverses langues des nombreuses communautés d’immigrants (italien, russe, japonais, persan, coréen, etc.), octroie un vaste champ d’application à la doctrine alors que les langues mortes comme le latin ou le sanskrit y échappent, à l’exception de termes courants (en particulier pour les locutions latines ou des termes grecs célèbres comme « eurêka »).

Il n’y a pas de rejet de la demande de marque quand la traduction ne correspond pas littéralement à une marque antérieure : par exemple, la marque « Repêchage » pour des cosmétiques n’a pas été considérée comme créant un risque de confusion avec la marque « Second chance » désignant les mêmes produits puisque le premier terme n’est qu’un synonyme du second (et non pas sa traduction littérale) et qu’il conserve sa polysémie.

Le déposant pressé d’obtenir sa marque enregistrée prendra soin d’indiquer la traduction des termes non anglophones (et la translittération des éléments qui ne sont pas en alphabet latin), de même qu’il anticipera sur les disclaimers. Il pourrait être surpris de constater que même un nom de famille pourrait devoir être traduit.

Le dépôt comme marque de noms de famille.

Les conditions dans lesquelles on peut déposer son propre nom de famille comme marque sont bien plus restrictives qu’en France et dans l’UE. Le principe est que ce n’est pas autorisé [20], à moins de demander l’inscription au registre supplémentaire. Pour contourner ce principe [21], il faut démontrer que le nom de famille a acquis un caractère distinctif par un usage prolongé, ou bien l’utiliser en combinaison avec d’autres termes (voire d’autres noms de famille) et/ou des éléments graphiques.

Bien sûr, si un nom de famille coïncide avec un nom commun, il sera enregistrable comme l’ont été la marque « Bird » et la marque « Fiore » traduite en « Flower » ; si un nom de famille est rare, il sera également plus facilement enregistrable que si c’est un nom courant, mais pas toujours [22].

Ainsi, une marque valide en France et dans l’UE pourrait très bien être rejetée devant l’office américain.

Ce qu’il faut retenir.

Selon les cas, il peut être pertinent pour une entreprise européenne de déposer directement sa marque devant l’USPTO et non pas via le Protocole de Madrid. Les conseils d’un avocat ou d’un CPI sont essentiels pour déterminer la meilleure stratégie sur la procédure à choisir et les « options » ouvertes : registre supplémentaire, risque de rejet pour descriptivité d’une marque pourtant validée par l’office européen, problèmes de traduction du signe demandé, etc.

Jérémie Leroy-Ringuet, avocat au barreau de Paris

[14217 USPQ 363, 364–5 (TTAB 1983).

[16A comparative Analysis of U.S. and European Community Case Law regarding descriptive signs, Utz Kador, 2012 https://www.kadorpartner.de/_wpframe_custom/editor_uploads/files/paperdescriptiveness11.pdf

[17Ibid.

[22« Darty » a été refusé https://tmep.uspto.gov/RDMS/TMEP/current#/current/TMEP-1200d1e9798.html car c’est le nom de famille des propriétaires de l’entreprise d’électro-ménager.