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[Dossier] La plaidoirie a-t-elle encore un avenir ? Interview de Christophe Boog, Avocat.
Parution : lundi 5 octobre 2020
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Se poser la question de l’avenir de la plaidoirie a conduit la Rédaction du Village de la Justice à confronter plusieurs points de vues, en commençant par le commencement : comment ceux qui plaident y sont formés, et dans quelles perspectives ?
Dans le cadre de notre dossier sur "La plaidoirie a-t-elle encore un avenir ?", nous nous sommes tournés vers Christophe Boog, Responsable du module "oralité" à l’IXAD, l’Ecole de Formation professionnelle des Avocats du Nord-Ouest.

La place prépondérante de l’oralité dans les écoles d’avocats.

"L’enseignement de l’oralité occupe aujourd’hui une place prépondérante dans la plupart des Ecoles d’Avocats.
A l’IXAD par exemple, l’oralité fait partie des enseignements obligatoires, dispensés dans le « tronc commun ». Elle constitue également un parcours de formation optionnelle à part entière.
C’est ainsi au total 45 heures de formation qui sont proposées, en la matière, aux élèves avocats.
L’enseignement de l’oralité ne se réduit évidemment pas à la plaidoirie. Il s’agit également de permettre aux futurs avocats de mener efficacement une réunion, un rendez-vous client, une présentation, une négociation, de savoir improviser, de maîtriser l’art du pitch, de communiquer face aux médias…"

La plaidoirie, un élément essentiel du débat judiciaire.

"Il peut paraître paradoxal, à l’heure de la « rationalisation » du temps judiciaire, de répondre, comme je le fais avec force, par l’affirmative.
La plaidoirie reste à l’évidence un élément essentiel du débat judiciaire.
Tout d’abord, parce qu’il y a des choses qui se disent mais ne s’écrivent pas forcément.
Certains éléments - un ressenti, une émotion - ne pourront jamais être transmis par le biais de l’écrit.
La plaidoirie permet également, beaucoup mieux que l’écrit, de souligner des arguments et de marquer leur importance.
Et plaider ce n’est pas seulement parler, c’est un engagement physique total, qui mobilise le regard, la gestuelle, les silences…
Communiquer, étymologiquement, signifie mettre en commun, partager. Plaider permet justement, les yeux dans les yeux, d’adapter son discours aux réactions de l’auditoire, de répondre à des questions qui n’étaient pas apparues jusqu’alors.

"Certains éléments - un ressenti, une émotion - ne pourront jamais être transmis par le biais de l’écrit."

Néanmoins, la plaidoirie n’a d’intérêt que si elle représente réellement une plus-value par rapport aux écrits : s’il s’agit, pour l’avocat, de lire ses conclusions, plaider ne sert alors évidemment à rien…
Enfin, et c’est sans doute une bonne chose, la plaidoirie évolue, et tend de plus en plus à devenir un échange interactif avec les juridictions. N’oublions jamais que plaider n’est pas s’écouter parler, mais se faire entendre !"

L’accélération de la digitalisation des audiences.

"La crise sanitaire accélère évidemment le mouvement vers une digitalisation du monde professionnel.
Nous allons, dans nos enseignements, devoir intégrer cette dimension de l’« orateur digital ».
Le port du masque est évidemment une contrainte pour l’orateur, qui va devoir intégrer une diminution de l’intelligibilité de ses propos et qui se trouve privé de l’usage des expressions de son visage.
Et comment, au pénal, juger un homme dont le visage est en grande partie dissimulé ?

Je crains par ailleurs que la crise sanitaire ne serve de prétexte, toujours au nom de la « rationalisation du temps », aux chefs de juridiction pour imposer un plus large recours à la visioconférence, qui, même lorsqu’elle fonctionne techniquement…déshumanise la communication orale.
Or, comme l’écrivait ma consœur Solange Doumic, plaider "c’est offrir un moment d’humanité" [1]."

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Propos recueillis par Nathalie Hantz Village de la Justice

[1Solange Doumic, « J’entends plaider, Monsieur le Président »Gazette du Palais 20 septembre 2016, n°32