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[Dossier] La plaidoirie a-t-elle encore un avenir ? Interview de Marie Burguburu, Avocat.
Parution : lundi 5 octobre 2020
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Se poser la question de l’avenir de la plaidoirie a conduit la Rédaction du Village de la Justice à confronter plusieurs points de vues.
Parce qu’elle n’est pas qu’un outil professionnel, mais qu’elle peut aussi être un jeu dans le cadre des concours d’éloquence, nous avons, dans le cadre de notre dossier sur "La plaidoirie a-t-elle encore un avenir ?", interrogé Marie Burguburu, Avocat et Secrétaire générale de l’Association Amicale des Secrétaires et Anciens Secrétaires de la Conférence des Avocats du Barreau de Paris.

La nécessité absolue de la plaidoirie.

"Plaider est plus que jamais nécessaire.
C’était vrai hier, cela l’est encore plus aujourd’hui. Même si et parce que depuis plusieurs décennies, la tentation est grande de réduire cet instant unique et fondamental du procès. Même si et parce que les contraintes de temps, les moyens défaillants, l’engorgement des tribunaux, l’augmentation et l’accumulation des procédures semblent, en apparence, militer pour la lente mise à mort de la plaidoirie.

Les injonctions de dépôts de dossier, d’observations par définition sommaires ou de plaidoiries formatées et minutées, de plus en plus nombreuses pour des raisons de moins en moins avouables, ne blessent pas seulement la plaidoirie, mais risquent de tuer le procès lui-même et tout ce qu’il y a de plus essentiel au cœur du procès : l’Être humain. Des êtres humains qui jugeraient des êtres humains sans les êtres humains, est-ce humainement acceptable ?

Pourtant, la plaidoirie est nécessaire dans tous les contentieux, de nature civile ou pénale, même dans le cadre d’une procédure exclusivement écrite, à la condition sine qua non d’être utile, d’être différente des écritures, d’être une voix, d’être celle du justiciable avant tout évidemment, et d’être une voix qui rapproche, qui éveille, qui apostrophe et qui convainc. Une voix dirigée et destinée au juge. A celui qui écoute, activement. Et seul l’avocat, parce qu’il est là aussi pour ça, a pu et su recueillir dans son authenticité et essayera-t-il dans sa plénitude, la parole de son client et donc aussi ses pensées, ses sentiments, ses doutes et ses espoirs."

"Des êtres humains qui jugeraient des êtres humains sans les êtres humains, est-ce humainement acceptable ?"

La visioconférence : Rose du Bengale de l’audience...

"Aujourd’hui, au cœur de l’exceptionnelle crise sanitaire mondiale, à tous les arguments, pour certains légitimes, qui se dressent contre la plaidoirie, se sont invités celui de la sécurité et son corollaire, la prolifération des audiences en visioconférence. Là encore, toute généralité étant à bannir, admettons que, parfois, c’est mieux que rien, mieux qu’un simple dépôt de dossier et admettons même que parfois, mais rarement, c’est suffisant.

Admettons-le, mais à voix basse car, sans même évoquer tous les incidents techniques qui peuvent survenir à tout moment, l’écran modifie et altère tout le processus juridictionnel. Il modifie l’image, l’aspect, le regard, le contexte, les sensations, il empêche ou ampute le mouvement, celui du corps, des mains et il trahit la parole et les mots, la parole du justifiable, la parole de l’avocat et donc, fatalement, la décision du juge.

Nous le savons tous mais serons-nous tous capables, abandonnés et statiques derrière nos écrans respectifs, d’être particulièrement vigilants à tout, tout le temps pour chaque affaire, aussi nombreuses soient-elles ? L’écran fait écran. Froid, sec, sans odeur ni saveur, comme une rose du Bengale.

Au pénal, les conséquences sont catastrophiques. La visioconférence neutralise tout et maintient le juge bien au chaud, à l’abri et à l’écart, là où il faudrait qu’il se rapproche le plus possible de celui qui est en face mais loin, détenu entre quatre murs. Souvent même le détenu est séparé de son avocat, qui peut choisir d’être aux côtés du juge pour faciliter la parole directe qui doit devenir jugement, ce qui prouve encore l’importance de la parole et du contact. Au pénal et notamment en cour d’assises, le lieu par excellence où la justice est humaine, rendue par le peuple souverain, tout compte. Les mots évidemment, mais pas seulement. La voix, le débit, les silences, la façon de se tenir, de bouger, de ne pas bouger, les mains, le regard aussi bien sûr. Tout compte et se rencontre et c’est essentiel pour tous les acteurs du procès, l’accusé, les juges, les jurés d’un soir et l’avocat."

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Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice