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L’inadaptation du droit des nullités relatives à la protection du contractant, par Serge Losappio, Avocat
Parution : mardi 22 avril 2008
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L’inadaptation du droit des nullités relatives à la protection du contractant : Quelques réflexions pour une généralisation du droit de critique.

La nullité relative sanctionne la violation d’une règle d’intérêt privé. Il suffit donc en théorie que les personnes protégées puissent s’en prévaloir. Or, bien que censées protéger notamment l’une des parties au contrat, la nullité relative semble paradoxalement souvent manquer sa visée.

Pour deux raisons :

Tout d’abord sa mise en oeuvre apparaît en pratique incertaine (A).

Ensuite, la possibilité d’une confirmation d’un contrat potentiellement nul de nullité relative peut s’avérer particulièrement nuisible au contractant salarié (B).


A/ L’incertitude de la mise en oeuvre de la nullité relative ou la nécessité d’une extention du droit de critique.

Cette incertitude tient à l’exclusivité du droit de critique détenue par la personne protégée par la loi (1). Une des solutions à cette difficulté serait d’élargir le droit d’action en nullité (2).

1/ Une exclusivité du droit de critique nuisible à la protection du contractant.

S’il est vrai, et Ghestin l’a fort bien rappelé, que l’action en nullité est reservée la personnne protégée, dans la mesure où il serait inconcevable qu’une telle action se retourne contre celle-ci, en particulier en cas d’exercice de l’action à son profit par le contractant de celui que la loi vient protéger, il demeure pour autant qu’un tel système n’est pas dénué d’une certaine perversité.

En effet, en laissant le sort de l’acte à la discretion d’un nombre minimal de personnes, la mise en oeuvre d’une action en nullité en devient radicalement incertaine, et dès lors il n’est pas impossible en pratique qu’un contract vicié, lésionnaire, voire comportant des clauses manifestement abusives puisse conserver toute son efficacité malgré tout, et produire par là des effets nuisibles au contractant que la loi vient pourtant en théorie protéger, lequel, malgré les postulats péremptoires de la très idéaliste théorie de l’autonomie de la volonté et son relent de kantisme mal digéré autant que contredit par les réalités de l’histoire, peut fort bien subir en pratique diverses pressions de la part de son cocontractant, lui interdisant de fait toute action.

De surcroît le législateur pour sa part, c’est un constat, semble promouvoir la stabilité contractuelle en réduisant autant que possible le délai de prescription des nullités relatives : decennale avant la loi du 3 janvier 1968, elle est devenue quinquennale. Au delà, des dispositions législatives spécifiques viennent couramment réduire encore cette prescription, à deux ans par exemple (v. art. 1427 du Code civil).

Or, ainsi que l’a montré Couturier, la généralisation du droit de critique multiplie les chances d’une dénonciation de l’illicite et dès lors, participe à accroître l’efficacité de la protection du contractant. La probabilité d’une mise en oeuvre de la règle protectrice sont d’autant plus importantes que les demandeurs possibles de la nullité sont nombreux. Il ne serait donc pas inutile de procéder à une extention du droit de critique.

2/ Une extention souhaitable du droit de critique.

La doctrine a proposé d’ouvrir la nullité à un plus grand nombre de personnes, en mettant par exemple en place comme le propose Ghestin, des « nullités relatives généralisées », ou encore en accordant le droit de critique à tout interessé, ce qui reviendrait en réalité à faire des nullités relatives actuelles des nullités absolues, ni plus ni moins.

Kayser plus particulièrement, a proposé de sanctionner de nullité absolue les contrats relevant de l’ordre public de protection, lequel est censé assurer la prévention des abus de puissance économique, au motif que cette visée s’avère d’intérêt général, liée à « une certaine conception des rapports sociaux ». Seraient notamment concernés, les contrats lésionnaires sans cause ou comportant des clauses abusives. Il est certain qu’un tel système rendrait la protection du contractant plus efficace, à condition de lui aménager des limites, tenant particulièrement à l’interdiction d’une action en nullité de la part du contractant de la personne protégée.

Si la limitaton du droit de critique à la personne protégée peut lui être paradoxalement nuisible, il en va de même de la possible confirmation du contrat, admise en matière de nullité relative, pour ce qui concerne le contractant salarié.

B/ Le caractère nuisible de la confirmation à la protection du contractant salarié.

Notre droit admet la possibilité d’une confirmation de contrats potentiellement nuls de nullité relative, c’est à dire la renonciation à l’exercice du droit de critique. Cette possibilité est potentiellement très défavorable au salarié (1), pour lequel elle devrait donc être prohibée (2).

1/ Un droit de renonciation nuisible à la protection du salarié.

La jurisprudence décide que dans le cadre d’un contrat de travail, le contractant protégé peut renoncer à sa protection à chaque fin d’exécution d’une tranche de contrat, quand ses droits sont donc acquis. Ainsi, cette condition remplie, la chambre sociale de la Cour de cassation a pu admettre la possiblité pour un salarié de renoncier à ses congés légaux.

Le problème est que cette approche, qui consacre la primauté classique de la volonté des parties, fait montre d’une naiveté non dépourvue d’hypocrisie, car il est évident, à l’heure du chômage généralisé et des relations contractuelles de masse auxquelles sont consubstantiels les abus de puissance économique, que le salarié, toujours en position de faiblesse contractuelle, n’a souvent de fait pas d’autre choix s’il veut conserver à terme son emploi, que d’accepter de sacrifier les avantages supposés être siens de droit.

Cette solution ne permet donc pas une protection efficace, loin s’en faut. C’est pourquoi la doctrine a proposé de prohiber toute renonciation en ce domaine.

2/ Une prohibition souhaitable de toute renonciation dans le cadre du contrat de travail.

Comme le montre Farjat, la protection du salarié est bien celle d’une catégorie de contractant. Dès lors l’intérêt protégé n’est plus à propremement parler individuel, mais bien collectif. C’est pourquoi quand la règle tend à protéger un intérêt collectif, qu’elle s’inscrit donc dans le cadre d’un « ordre public de protection collective », toute renonciation devrait être exclue, ainsi qu’il en va en matière de nullité absolue.

Serge Losappio

Cabinet Losappio

Serge Losappio (Avocat)
Cabinet Losappio
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