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La régularisation des autorisations d’urbanisme ou le juge guérisseur. Par Nicolas Maillard, Avocat.
Parution : mercredi 14 octobre 2020
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Le juge administratif se mue de plus en plus en « médecin guérisseur » des autorisations d’urbanisme atteintes de vices affectant leur légalité. En faisant le choix de la régularisation plutôt que de l’annulation contentieuse de ces autorisations, le juge administratif apparaît désormais comme un correcteur des autorisations d’urbanisme, alors qu’il en était jusqu’alors le censeur.

Le Conseil d’Etat vient de confirmer cette tendance, dans un avis du 2 octobre 2020, n° 428318, dans lequel il étend encore un peu plus la possibilité de régulariser une autorisation d’urbanisme en cours d’instance.

Toutes les autorisations d’urbanisme sont-elles régularisables, ou « guérissables » ?

Le législateur a offert avec au juge administratif des outils lui permettant d’éviter l’annulation contentieuse d’une autorisation d’urbanisme dont la légalité est contestée devant lui.

Le premier de ces outils est le mécanisme de l’annulation partielle prévue à l’article L600-5 du Code de l’urbanisme, qui permet au juge qui estime qu’un vice qui n’affecte qu’une partie du projet ne peut être régularisé, de limiter, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, à cette partie du projet la portée de l’annulation qu’il prononce à l’encontre d’un permis de construire, de démolir, d’aménager ou encore d’une décision de non-opposition à déclaration.

Ensuite, l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme permet au juge administratif de surseoir à statuer avant d’inviter les parties à procéder à la régularisation du permis de construire, de démolir, ou d’aménager, par l’obtention d’un permis modificatif.

Toutefois, dans les textes originaux, il n’était possible de régulariser l’autorisation d’urbanisme entachée d’un vice que par la délivrance d’un permis modificatif, que l’on sait limité dans son ampleur : un permis modificatif ne doit pas remettre en cause la conception générale du projet initial [1].

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN » a renforcé les pouvoirs dont le juge administratif dispose pour autoriser la régularisation d’une autorisation d’urbanisme. Désormais :
- Le recours au sursis à statuer n’est plus une faculté pour le juge mais une obligation lorsque des vices sont régularisables ;
- Il n’est plus fait référence à la notion de « permis modificatif », mais à celle de « mesure de régularisation », aux conditions moins strictes.

Dans son avis du 2 octobre 2020, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation, en invitant au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation en cause.

De plus, le juge n’est pas tenu de surseoir à statuer si les conditions de l’article L600-5 du Code de l’urbanisme (annulation partielle) sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir, ou plus logiquement, si le bénéficiaire de l’autorisation a indiqué au juge qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation.

Ensuite, la question posée au Conseil d’Etat était la suivante : un permis de construire est-il régularisable si la régularisation est susceptible de modifier l’économie générale du projet initial ?

A cette question, le Conseil d’Etat répond ainsi :

« Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

Prenant acte des nouvelles dispositions de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme issues de la loi ELAN, le Conseil d’Etat sort donc du champ d’application de la notion restrictive de « permis modificatif », et pose les conditions permettant de procéder à une « mesure de régularisation » : une telle mesure peut modifier l’économie générale du projet, mais interdit de changer la « nature » du projet initial.

Il résulte évidemment de ce nouveau critère une incertitude : qu’entend-on par changement de la « nature » du projet initial ?

La réponse à cette question ne se trouve pas dans l’avis rendu par le Conseil d’Etat mais des indices peuvent résulter des conclusions de M. Fuchs, rapporteur public dans cette affaire, qui propose de

« prendre en compte plusieurs indices relatifs au projet, notamment sa destination, ses dimensions, son implantation, ou encore les caractéristiques principales de son insertion dans l’environnement. L’important est que les modifications qui devraient être apportées à ces éléments soient telles qu’elles conduisent à rompre le lien avec le permis initial ».

L’on peut donc raisonnablement en déduire que la régularisation doit conserver un lien avec le permis initial.

Il faudra néanmoins suivre l’application de ce nouvel avis du Conseil d’Etat par les juridictions de première instance, pour affiner ce critère, qui sera apprécié au cas par cas, en fonction des caractéristiques de chaque projet.

Concrètement, comment doit réagir le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme lorsqu’un tiers conteste cette autorisation devant le juge administratif ?

- 1ère étape : diagnostiquer les éventuelles faiblesses du permis :

Tout d’abord, il faut pouvoir établir avec précision les éventuelles faiblesses du permis par rapport aux arguments invoqués dans la requête introductive d’instance et ainsi anticiper d’éventuels nouveaux moyens, au besoin par la réalisation d’un audit juridique.

- 2ème étape : défendre le permis et proposer la régularisation :

Ensuite, il faut pouvoir défendre le permis sur les moyens susceptibles d’être défendus, afin de permettre au juge de les écarter le cas échéant. Même si, grâce à la loi ELAN, la régularisation est de droit lorsqu’un vice est régularisable, il faut, évidemment pouvoir démontrer au juge que le vice est régularisable, sans remettre en cause la nature du permis initial et donc l’inviter à proposer une régularisation.

En fonction de l’audit juridique du dossier réalisé suite au dépôt de la requête, le bénéficiaire de l’autorisation pourra toujours devancer la décision du juge en déposant, en cours d’instance, un permis modificatif visant à régulariser les vices invoqués.

A noter toutefois que dans cette hypothèse de régularisation « volontaire », le pétitionnaire se soumet aux règles du permis modificatif, à savoir que la régularisation ne doit pas modifier l’économie générale du projet. Selon les textes applicables, seule une régularisation « forcée », c’est-à-dire décidée par le juge, permettrait de solliciter une « mesure de régularisation », et donc une modification de l’économie générale du projet, sous réserve qu’elle n’en modifie pas sa nature.

- 3ème étape : la régularisation :

Si le juge autorise la régularisation, il sursoit à statuer et accorde un délai qu’il fixe lui-même, pour permettre la régularisation. Il appartiendra donc au pétitionnaire de solliciter du Maire une mesure de régularisation dans le délai imparti.

L’on rappellera que pour éviter des recours successifs, susceptibles de retarder l’aboutissement d’un projet immobilier, l’article L600-5-2 du Code de l’urbanisme prévoit que la légalité des décisions de régularisation en cours d’instance ne peut être critiquée qu’à l’occasion du recours contre la décision modifiée.

En conclusion, il est clair que les bénéficiaires d’autorisations de construire devront s’approprier ces mécanismes qui vont naturellement dans le sens de la sécurisation des droits à construire, au détriment, peut-être, des droits au recours...

Nicolas Maillard, Avocat [->nicolas.maillard@nma-avocat.fr]

[1CE, 1er octobre 2015, Commune de Toulouse, n° 374338.