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Infection materno-fœtale, infection nosocomiale ? Par Marie Leroux, Avocat.
Parution : jeudi 15 octobre 2020
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Les conséquences de l’infection materno-foetale peuvent être indemnisées par l’établissement public ou privé de santé ou par la solidarité nationale. Les conditions pour qualifier une telle infection de nosocomiale sont cependant strictes. Le débat juridique reste entier.

L’article L1142-1 du Code de la Santé Publique dispose que :

« I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire
 ».

Le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 21 juin 2013 [1] a jugé qu’

« une infection nosocomiale survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale ».

La Cour de Cassation dans un arrêt en date du 14 avril 2016 [2] qualifie quant à elle de nosocomiale une infection

« consécutive aux soins dispensés ».

Ainsi, l’infection nosocomiale est retenue lorsqu’elle revêt deux caractères : d’une part, celui d’être associée à un soin de toute nature, d’autre part, celui d’être contractée dans un établissement, alors qu’elle était absente à l’admission du patient.

Concernant l’infection materno-fœtale, il résulte de la communauté scientifique que :

Dès le début du travail préparant la naissance, le futur nouveau-né entre en contact avec les germes commensaux de la flore vaginale et digestive maternelle.

Certains germes commensaux peuvent être responsables d’infections materno-fœtales responsables de morbi-mortalité majeure.

Or, le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt en date du 12 mars 2014 [3] qu’une infection nosocomiale transmise par la mère à son enfant, c’est-à-dire une infection materno-fœtale, est susceptible d’ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

Dans la mesure où il est établi que la mère a contracté une infection nosocomiale, le Conseil d’Etat admet implicitement que va revêtir à son tour un tel caractère celle qui est transmise à l’enfant par voie materno-fœtale.

Il convient de plus de préciser que la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, dans un arrêt en date du 8 octobre 2013 [4] a retenu une telle interprétation lorsque le germe hospitalier n’était pas présent chez la mère.

Ce raisonnement est en parfaite adéquation avec la jurisprudence administrative et judiciaire relative aux germes endogènes.

En effet, il ressort de la littérature médicale que les infections nosocomiales sont toutes causées par un germe.

Ce germe peut être endogène ou exogène.

Alors que, dans le premier cas, il provient du patient, dans le deuxième cas, il provient de l’environnement.

Cependant, et avant même la Loi n°2002-303 du 4 mars 2002, les juges administratifs et judiciaires avaient rejeté toute équation entre germe endogène et cause étrangère [5].

Le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation renoncent depuis formellement d’exclure l’indemnisation des conséquences de l’infection nosocomiale endogène.

Ils ont ainsi précisé à plusieurs reprises qu’un germe à la fois endogène et non pathogène peut devenir pathogène à l’hôpital et ne permet pas d’exonérer celui-ci de sa responsabilité.

Ce raisonnement juridique est en parfaite adéquation avec la loi du 4 mars 2002 susmentionnée, puisque parmi les exemples donnés pour évoquer une infection nosocomiale qui ne serait pas d’origine iatrogène était indiqué qu’

« une infection, à partir de ses propres germes commensaux, d’un patient immunodéprimé hospitalisé, peut de même être strictement nosocomiale sans qu’un élément de prise en charge médicale soit lié à sa survenue » [6].

La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a ainsi jugé dans un arrêt en date du 11 février 2014 [7] :

« Considérant que la circonstance que le staphylocoque doré appartient à la catégorie des germes commensaux dont tout individu est porteur n’est pas de nature à démontrer que l’infection dont M. D… a été victime à la suite de l’intervention pratiquée le 24 juin 2009 ne serait pas imputable au centre hospitalier général de Pau ; que ce dernier, à qui il appartient de prendre toutes précautions en matière d’asepsie de nature à prévenir les maladies nosocomiales […] ».

Aussi, si les juridictions administratives et judiciaires ont retenu la qualification d’infection nosocomiale en présence d’un germe endogène, il y a lieu de retenir une telle qualification en présence d’une infection materno-fœtale dans la mesure où il s’agit de germes commensaux dits endogènes.

Le caractère materno-fœtale de l’infection n’est donc pas de nature à exclure la qualification d’infection nosocomiale.

Pourtant, les juridictions tant administratives que judiciaires peinent à s’accorder sur ce point.

Si les plus hautes juridictions ont une vision restrictive de la notion de cause étrangère [8], l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 23 mars 2018 [9] semble compliquer un peu plus la qualification d’infection nosocomiale en pareilles circonstances.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat exclut en effet la notion d’infection nosocomiale

« s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge ».

Dès lors, outre la détermination d’une cause étrangère, une telle analyse serait de nature à remettre en question la qualification d’infection materno-fœtale.

Face à ce ténu débat, les avocats doivent continuer de mettre en exergue une analyse juridique de la qualification d’infection materno-fœtale en infection nosocomiale.

Maître Marie LEROUX, Avocat au Barreau de ROUEN [->marieleroux.avocat@hotmail.com]

[1N°347450.

[2N°14-23.909.

[3N°359473.

[4N°12BX00850.

[51ère Civ, 4 avril 2006 n°04-17.491 ; 14 juin 2007 n°06-10.812 et CE, 10 octobre 2011 n°328500.

[6Rapport n°3263 fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

[7N°12BX01818.

[8CE, 12 mars 2014 n°358111 et 1ère Civ, 28 janvier 2010, n°08-20571.

[9N°402237.