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Télétravail : un mode de travail à privilégier. Par Christel Boissel, Avocat et Thomas Gauriat, Etudiant.
Parution : vendredi 23 octobre 2020
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Le télétravail a connu en 2017 un assouplissement bienvenu ainsi qu’une précision quant à son régime juridique avec l’Ordonnance Macron de 2017. Cette mise à jour du droit du télétravail est d’autant plus pertinente en raison de notre contexte sanitaire mondial qui ne peut qu’encourager les employeurs et les salariés à avoir recours à cette pratique.

L’article L1222-11 du Code du travail prévoit que

« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».

Cet article, issu de l’ordonnance Macron, permet l’adaptation du télétravail dans notre contexte de crise sanitaire et permet à l’employeur de s’acquitter d’un double devoir : la continuité de l’activité et la protection de la santé de ses salariés.

Comment se définit et se caractérise le télétravail ?

Il faut ici directement se référer à l’article 1222-9 du Code du travail issu de l’Ordonnance n°2017-1387.

L’article L1222-9 du Code du travail vient définir le télétravail comme étant

« toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Ainsi, nous pouvons caractériser le télétravail selon trois critères, à savoir :
- L’utilisation d’un matériel technologique de l’information et de la communication ;
- Un travail effectué par le salarié hors des locaux de l’Entreprise ;
- Le travail effectué par le salarié aurait pu être réalisé dans les locaux de l’Entreprise.

Par quel moyen le télétravail est-il mis en place ?

L’alinéa 3 et 4 de l’article L1222-9 du Code du travail expose les trois différentes façons de mettre en place le télétravail :
- Soit avec un accord collectif : c’est la première option à devoir être envisagée par l’employeur pour mettre en place le télétravail au sein de son entreprise ;
- Soit par le biais d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social économique (CSE) ;
- Si ni un accord collectif ni une charte n’est mis en place, l’employeur et le salarié pourront avoir recours à un accord amiable, à préciser toutefois qu’il est conseillé de formaliser la mise en place du télétravail par tout moyen (avenant au contrat, échange de mail etc.).

On peut donc ainsi noter que depuis l’ordonnance de 2017, le télétravail a connu un changement significatif dans sa mise en place en ce qu’il est passé du contractuel au conventionnel.

Avant cela, le télétravail était mis en place par le contrat de travail ou un avenant, tandis que désormais le recours à un accord amiable, pouvant user de l’avenant, est relégué par l’article L1222-9 du Code du travail tout en bas de la hiérarchie, derrière l’accord collectif et la charte.

De surcroît, dans le rapport remis au Président de la République il est explicitement énoncé que les entreprises qui ont négocié un accord collectif ou une charte pourront être dispensées de faire signer des avenants au contrat de travail des salariés déjà en situation de télétravail.

Quel encadrement est-il fait de l’accord collectif ou de la charte ?

L’article 1222-9 du Code du travail vient imposer 5 points que doit comporter l’accord collectif ou la charte, à savoir :
- Les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
- Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge du travail ;
- La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
- Les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail.

Le passage d’une faculté à un droit ?

En effet, avant l’ordonnance de 2017, le télétravail n’était qu’une faculté reconnue à l’employeur et à l’employé. Ainsi, l’employeur et le salarié devait mettre en place le télétravail par le biais d’un contrat de travail, nécessitant donc le recueillement du consentement de deux parties.

Désormais, le télétravail est reconnu comme un droit car tout salarié qui y est éligible peut demander à y avoir recours à son employeur.

La charte comme substitut de l’accord en temps de crise ?

Il apparaît que, face à la situation provoquée par le COVID, la mise en place d’une charte interne à l’entreprise quant à la réglementation du télétravail est plus opportune en ce temps de crise.

En outre, l’employeur devra consulter le CSE de son entreprise sur les points suivants :
- Catégories de salariés éligibles au télétravail et catégories non éligibles ;
- Conditions de la mise en place du télétravail (information des salariés, équipement, remboursement des frais) ;
- Horaires proposés, rappel des règles en vigueur pour le droit à la déconnexion ;
- Contrôle des salariés ;
- Bonnes pratiques et garanties offertes par les logiciels choisis.

Ainsi, la création d’une charte s’avère être plus rapide que de passer par la négociation d’un accord collectif.

Est-ce qu’un salarié peut demander une re- facturation des frais l’exposant à son activité (abonnement internet, matériel informatique) ?

Par exemple, les associations de profession de notaires ont entrepris de négocier un accord collectif et il est intéressant de s’intéresser à une clause présentant un intérêt majeur du télétravail, à savoir la fourniture de matériel et la prise en charge des frais.
L’article 8 de l’Accord de branche du 14 juin 2018 entre les associations de notaires vient disposer que « (...) L’employeur fournit au télétravailleur les équipements nécessaires à la réalisation de sa mission, précisés dans l’avenant de télétravail ou la clause de télétravail du contrat de travail. (...)L’usage de matériels personnels ne peut être imposé au télétravailleur. Il est déconseillé car il ne permet pas de garantir un niveau suffisant de sécurité du système d’information notamment en présence de données sensibles.
Les frais d’entretien, de réparation ou de remplacement du matériel ainsi que les coûts directement engendrés par le télétravail sont à la charge de l’office
 ».

Cette clause déclare que l’employeur devra mettre à disposition des télétravailleurs l’équipement informatique nécessaire.

De surcroît, il est aussi précisé que c’est l’étude notariale qui devra prendre à sa charge les frais d’entretien, de remplacement et de réparation du matériel informatique.

L’intérêt d’une telle clause est de pallier le silence de la loi qui ne prévoit pas la prise en compte des frais engendrés par le télétravail ou la mise à disposition du matériel informatique, et l’on voit ainsi tout l’intérêt d’un accord collectif grâce à cet exemple de clause.

Si un accord collectif ou une charte n’a pas été mis en place, le juge considère que les frais professionnels nécessaires à l’exécution du contrat de travail sont un prolongement de l’obligation du paiement de salaire.

En outre, la jurisprudence considère, par la lecture combinée des articles 1135 du Code civil et 1222- 1 du Code de travail que

« les frais qu’un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent être supportés par ce dernier » [1].

Ainsi, des entreprises ont eu à négocier de manière urgente un accord pour la mise en place du télétravail, dans ce contexte de crise sanitaire, à l’instar de l’Accord Matmut du 9 avril dernier ou encore de l’Accord groupe Thalès du 26 mars dernier.

Est-ce qu’un salarié en télétravail peut déclarer un arrêt de travail ?

Ici, il sera question du contrôle de l’activité du salarié ainsi que de la sécurité de ce dernier.

Il résulte de l’article L1222-10 que l’employeur est tenu vis-à-vis de ses salariés de ses « obligations de droit commun », à savoir garantir la sécurité et la santé du télétravailleur.

Ce principe est plus explicitement détaillé dans l’article 8 de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 disposant que :

« afin de vérifier la bonne application des dispositions applicables en matière de santé et de sécurité au travail, l’employeur, les représentants du personnel compétents en matière d’hygiène et de sécurité (...) et les autorités administratives compétentes ont accès au lieu du télétravail suivant les modalités prévues par les dispositions légales et conventionnelles en
vigueur.
Si le télétravailleur exerce son activité à son domicile, cet accès est subordonné à une notification à l’intéressé qui doit préalablement donner son accord. Le télétravailleur est autorisé à demander une visite d’inspection
 ».

Le respect de cette obligation par l’employeur doit bien évidemment se faire dans la limite du respect de la propriété privée.

De surcroît, l’article 1222-9 vient assimiler un accident survenu au domicile du télétravailleur comme un accident du travail que l’employeur devra prendre à sa charge :

« l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ».

Néanmoins, cette situation n’a donné lieu à aucun contentieux, nous n’en savons donc rien quant à l’application de cette disposition par le juge, reste à noter que le Code prévoit une telle situation et vient protéger le salarié. Le salarié reste toutefois subordonné à l’apport de la preuve matérielle de l’accident ainsi que des circonstances de lieu et de temps, dans le but de prévenir tout abus.

Christel Boissel Avocat au Barreau de Paris Thomas Gauriat Stagiaire [->c.boissel.avocat@gmail.com] https://www.linkedin.com/company/cbavocats/?viewAsMember=true https://www.cbavocat.fr

[1Cass, soc 21 mai 2008, n°06-44.044.