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Du bon usage des délégations faites au maire. Par Etienne Colson, Avocat.
Parution : lundi 26 octobre 2020
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Destinées à alléger le fonctionnement des communes, les délégations consenties aux maires par leurs conseils municipaux demeurent problématiques. Le mieux serait-il l’ennemi du bien ?

Les avocats connaissent leurs classiques.

Parmi eux : les délégations faites aux maires. Entendre les délégations que les conseils municipaux confient à leurs maires en vertu de l’article L2122-22 du Code général des collectivités territoriales (ci-après CGCT). Celles-ci figurent dans le premier document que l’avocat réclame à la commune dont il assure la défense, à savoir la délibération autorisant le maire à la représenter en justice. L’obtient-elle, le voilà bientôt fixé : il n’est pas rare que cette délibération soit irrégulière (I) Et quand elle ne l’est pas, l’oubli dans lequel le maire l’abandonne parfois n’est pas moins fâcheux (II).

I) Les illégalités entachant les délégations accordées au maire.

I.1 Visons d’abord celles qui se rencontrent peu.

De fait, les communes semblent avoir compris que :
- de telles délégations (qui ne sont jamais obligatoires) ne peuvent s’accorder que parmi les 29 compétences visées par l’article L2122-22 du CGCT ; l’assemblée délibérante ayant, dans ce cadre, toute liberté quant au choix et au nombre des délégations confiées ;
- par suite, ce qui n’est pas délégué demeure de la compétence de la seule assemblée délibérante (exception faite des pouvoirs propres du maire, tels que, par exemple, son pouvoir de police) ;
- les délégations ne peuvent excéder la durée d’un mandat et peuvent être abrogées, en tout ou partie, à tout moment par l’assemblée délibérante. Rien n’interdit alors au conseil municipal de l’accorder à nouveau, pour l’avenir, en tout ou partie ;
- des délégations temporaires, de durée limitée dans le temps, ne sont pas possibles. Le conseil municipal ne peut donc que, soit accorder la délégation pour la durée du mandat du maire, soit refuser de la lui accorder ;
- « sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire dans les conditions fixées à l’article L2122-18 » [1]. Pareille subdélégation ne semble pas possible en revanche au profit des fonctionnaires d’autorité ;
- sauf disposition contraire dans la délibération, les décisions relatives aux matières ayant fait l’objet de la délégation sont prises, en cas d’empêchement du maire, par le conseil municipal ;
- le maire a obligation de rendre compte à chacune des réunions obligatoires du conseil municipal des actes pris en application de la délégation qu’il a reçue [2]. Le défaut d’information du conseil ne vicie pas, toutefois, la décision prise sur délégation de celui-ci ;
- les décisions du maire prises en vertu de l’une quelconque des délégations à lui accordées sont soumises aux mêmes règles que celles applicables aux délibérations du conseil municipal. Elles doivent donc être transmises au préfet au titre du contrôle de légalité, à l’exception notable des marchés publics inférieurs à 214 000 euros HT. Elles doivent être aussi inscrites au registre des délibérations du conseil municipal et publiées [3].

I.2 Là où le bât blesse.

Le plus souvent, il blesse doublement.

I.2.1 Il advient d’abord que de telles délégations soient imprécises, ce que, de tout temps, la jurisprudence proscrit.

L’hypothèse est la suivante. À la lecture de l’article L2122-22 du CGCT, la commune comprend que, parmi ces délégations, certaines sont subordonnées aux « conditions  », « cas » et « limites » que le conseil doit déterminer. Lequel s’y emploie. Mais en vain : l’imprécision est là que le juge sanctionne.

Ainsi de celle qui affecte la délibération par laquelle le conseil municipal délègue « une partie de ses fonctions au maire » [4].

Par son imprécision, cette délibération est sans valeur. Par suite, les actes pris par le maire sur son fondement seront signés par une autorité incompétente.

La jurisprudence, toutefois, n’est pas sans nuances. Le cas le plus topique concerne les délégations pour agir en justice. Car tandis que le juge administratif ne trouve rien à redire à une délégation « dans tous les domaines dans lesquels le maire peut être amené à agir en justice » [5] ou à une « délégation générale pour ester en justice au nom de la commune pendant la durée du mandat » [6], la chambre criminelle de la Cour de cassation se montre plus stricte. A ses yeux, est trop imprécise une délibération du conseil municipal chargeant le maire « d’intenter, au nom de la commune des actions en justice » [7].

A l’inverse, semble-t-il, des chambres civiles qui statuent que

« le pouvoir que le président d’un syndicat de communes tient d’une délégation générale aux fins de représenter le syndicat en justice comporte celui de faire appel » [8].

I.2.2 Beaucoup plus fréquente est l’occurrence dans laquelle la délégation au maire reproduit la liste des compétences contenues à l’article L2122-22 du CGCT sans en changer un mot.

Le texte s’y trouve, pourrait-on dire, « copié-collé ». Cette fois, les « conditions », « cas », « montant maximum » et autres « limites » évoqués plus haut demeurent carrément lettre morte. En regard, l’obligation de précision qui s’évince, on l’a dit, d’une jurisprudence constante en la matière devrait condamner cette lourde entorse à la lettre même dudit texte.

Derechef, toutefois, la jurisprudence n’est pas univoque. L’exigence de « limites » semble considérée comme impérative, la délibération donnant délégation devant nécessairement les fixer au risque de nullité de la délégation et d’illégalité des actes pris sur son fondement [9]. Au contraire, le juge administratif, décidément très conciliant sur le sujet, admet qu’une délégation aux fins de représenter la commune à la barre, peut se borner à reproduire les termes de l’article L2122-22, 16° du CGCT [10].

Sans être ennemi de souplesse dans la gestion des affaires communales, nous concédera-t-on que l’on frise là, tout de même, le « contra legem » ; l’article précité faisant expressément de la fixation des « cas définis par le conseil municipal » une condition de validité d’une telle délégation...Débusquer, dans ces conditions, l’intention du conseil municipal peut sembler, en outre, bien téméraire [11].

Quoi qu’il en soit, on ne saurait trop conseiller aux communes d’être prudentes en fait de délégations aux maires. Pour au moins deux raisons. A notre connaissance, la souplesse du juge administratif se borne aux seules délégations aux fins d’agir en justice.

En outre, si la jurisprudence admet qu’à certaines conditions, le vice d’incompétence puisse être régularisé en matière judicaire [12] ou contractuelle, hors ces domaines, il conserve son plein effet, i.e. l’annulation de la décision. Le risque est d’autant plus élevé que, comme on le sait, l’incompétence est un moyen d’ordre public que le juge doit examiner d’office.

Sous ses fourches caudines, nombre d’actes pris sur le fondement d’une délégation irrégulière au regard de l’article L2122-22 du CCGT peuvent ainsi passer et ... trépasser.

Ainsi d’un contrat d’assurance couvrant illégalement les risques liés aux activités scolaires et périscolaires des enfants fréquentant les écoles de la commune [13] ou d’une action en justice d’un maire contre un permis de construire délivré par un préfet, alors que la délégation portait sur les seuls recours contre les décisions du maire [14].

Mais il y a plus. Plus étrange sans doute, mais tout aussi fréquent : la délégation autant régulière…qu’inopérante.

II. L’illégalité née de l’oubli ou Patere legem quam ipse fecisti.

Soit une délégation faite par un conseil municipal à son maire. Sa régularité, cette fois, n’est pas douteuse. Précise, bornée, en un mot réfléchie : rien n’y manque. Elle est prête à l’emploi. Dont on la prive pourtant. Trois raisons peuvent être invoquées.

La première : bien qu’en en connaissant l’existence, monsieur ou madame le maire décide de passer outre cette délégation en raison du caractère politiquement sensible de la décision qu’il (elle) s’apprête à prendre sur son fondement. Le conseil municipal, pense-t-il (elle), souhaitera en débattre avant d’y donner, le cas échéant, son agrément.

Deuxième raison : alors que dans tel domaine, la délégation à lui accordée est générale, l’exécutif local s’égare sur sa portée (l’exemple type tient dans les très fréquentes délégations générales - c’est-à-dire quel qu’en soit le montant -
accordées en matière de marchés publics).

Dernière raison : monsieur ou madame le maire oublie tout uniment l’existence de cette délibération lui donnant délégation ou, à tout le moins, d’une ou plusieurs des délégations qui y figurent.

Dans ces trois cas, en toute conscience, le maire se croit fondé à convoquer l’assemblée délibérante, laquelle, sans surprise, lui donnera le quitus escompté.

Tout est bien, pense-t-il (elle).

Là est son erreur : l’illégalité est constituée.

Explications : les délégations octroyées au maire par le conseil municipal en vertu de l’article L2122-22 du CGCT sont constitutives de délégations de pouvoir (et non de signature). Elles ont pour effet de transférer à l’édile le pouvoir (potentiellement considérable) de prendre les décisions attachées à ces délégations. L’exécutif en devient, dès lors, le seul auteur. Autrement posé, renonçant par avance à délibérer sur les décisions à prendre dans les matières déléguées, le conseil municipal n’a plus aucune compétence en ces matières. Il en est dessaisi ou, plus précisément, il s’en est dessaisi (à propos du renouvellement d’un contrat de location d’un immeuble [15] ; ou au sujet d’un conseil municipal ayant procédé à une délégation au maire de l’exercice du droit de préemption et qui, partant, devient incompétent pour l’exercer [16].

En bref, toute délibération du conseil municipal dans les matières déléguées à son maire est entachée d’irrégularité pour incompétence de son auteur.

Reprenons l’exemple des marchés publics. Le 4° de l’article L2122-22 du CGCT dispose que le maire peut être chargé sur délégation de son conseil

« de prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l’exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ».

Comme c’est souhaitable, cette délibération peut délimiter l’étendue des compétences déléguées (catégories de marchés, avenants…) et notamment prévoir un seuil d’achats au-delà duquel l’assemblée délibérante dispose à nouveau de ses pouvoirs. Mais cette délégation de compétences peut aussi ne comporter aucune limite. Tel sera le cas dans l’hypothèse où le 4° précité est repris littéralement dans la délibération donnant délégation. Par suite, le conseil municipal ne pourra plus intervenir sur les marchés publics passés par la commune, hormis pour prévoir les crédits à inscrire au budget. Il reviendra donc au maire de gérer seul toutes les procédures, de leur lancement jusqu’au choix des attributaires.

D’expérience, nous devons à la vérité de dire qu’une telle « subtilité » échappe encore à nombre de petites communes. Lesquelles confondent le maire délégataire du conseil municipal avec le maire exécuteur des délibérations de ce même conseil.

Autrement dit, un maire que le conseil a, en début de mandat, délibérément désigné comme « seul maître à bord » dans tout ou partie des 29 domaines visés par la loi et un maire qui se borne à être, osons la métaphore, « la voix de son maître ».

Sauf à délibérer pour reprendre la compétence qu’il a accordée au maire délégataire, le conseil municipal devra se faire une raison.
Six ans durant.
En souffrant la loi qu’il a lui-même faite …

Maître Etienne COLSON, Avocat au barreau de Lille [->contact@colson-avocat.fr]

[1Art. L2122-23 du CGCT.

[2Art. L2122-23 du CGCT.

[3Art. L2122-23 et art. L2131-2 du CGCT.

[4CE, 2 février 2000, Cne de Saint-Joseph n°117920.

[5TA Versailles, 10 janvier 1986, Dupont c/ Commune de Nemours, T.421.

[6CE, 22 juillet 2009, Commune d’Issy-les-Moulineaux, n°300411.

[7Cass. crim., 28 janv. 2004, n° 02-88.471, Cne Garges-lès-Gonesse.

[8Civ. 2°, 4 juin 1993, Syndicat des eaux de Xaintrailles-Montgaillard c/ Colas, D.1993. IR 174.

[9Ainsi en matière de fixation de tarifs : TA Lyon, 22 nov. 2000, n° 9603006, Jean-Luc Borel.

[10Conseil d’Etat, 4 mai 1998, n°188292 ; CAA Lyon, 6 novembre 2003, n°98LY01815 ; CAA Versailles, 4 déc. 2008, n°07VE01087 Commune La Ville-du-Bois.

[11Ainsi jugé : CAA Bordeaux, 30 décembre 1991, Commune de Feytiat, Lebon 614.

[12CE, 29 novembre 2000, Commune d’Ulis, 29 novembre 2000 n°187961.

[13CE, 27 mars 1996, préfet Hérault c/ Cne Agde, n°122912.

[14CE, 30 octobre 2007, Commune de Mailly-sur-Seille, n°288556.

[15CE, 21 janvier 1983, Association Maison des jeunes et de la culture de Saint-Maur, Lebon 14.

[16CE 2 oct. 2013, Cne de Fréjus, no357008.

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