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L’avenir des données personnelles sur les réseaux sociaux de la personne décédée. Par Lucas Massard, Etudiant.
Parution : lundi 26 octobre 2020
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La montée en puissance du digital dans la vie quotidienne des personnes, et notamment celle des réseaux sociaux, de nouvelles problématiques liées au patrimoine du de cujus se posent.

I. L’héritage numérique des réseaux sociaux.

D’après une étude publiée par l’Oxford Internet Institute, plus d’un milliard de comptes Facebook auront été créés par des personnes décédées d’ici une cinquantaine d’années [1]. Pour essayer de contrer ce phénomène certains réseaux sociaux ont prévu plusieurs dispositifs pour permettre la transmission des données aux héritiers. Par exemple, sur Facebook, un légataire peut être désigné par l’utilisateur mais il doit être désigné de son vivant. En revanche, ses pouvoirs sont limités puisqu’il peut seulement le transformer en « compte commémoratif ».

La plupart des réseaux sociaux permettent de supprimer le compte d’une personne décédé à condition d’apporter la preuve du décès.

1. L’importance d’organiser ses données personnelles en cas de décès.

La question ne soulève pas ou peu de difficultés lorsque le de cujus a fait un testament ou lorsqu’il a, du moins, pu organiser le devenir de ses données à caractère personnel. En effet, l’article 85 alinéa 1 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 dispose que « toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives sont générales ou particulières ». Certaines sociétés privées proposent même des services de gestion des données post mortem pour permettre aux héritiers d’accéder aux données personnelles de la personne décédée.

2. La difficulté lorsque le de cujus est mort ab intestat.

L’héritage numérique devient plus complexe lorsque le de cujus n’a rien dit concernant le devenir de ses données personnelles. La solution la plus plausible serait de se référer au droit commun et donc à l’article 724 du Code civil qui prévoit que « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ». C’est le principe de la succession universelle qui prévaut pour la dévolution ab intestat. On peut donc penser que le ou les héritiers vont pouvoir également gérer les réseaux sociaux du de cujus.

Une difficulté supplémentaire peut être soulevée lorsque le compte permettait de générer de l’argent à son utilisateur, c’est notamment le cas des influenceurs.

Suivant la même hypothèse, l’héritier pourra récolter l’actif généré par celui-ci pendant son vivant. Cependant, plusieurs problèmes peuvent surgir concernant la preuve de sa qualité d’héritier et la bonne foi des sites internet (PayPal, Twitter…).

II. Le manque de réglementation en droit français.

La loi du 6 janvier 1978 « relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » permet de régir le traitement des données à caractère personnel relatives aux personnes décédées. En 2016, la loi pour une République numérique est venue faire évoluer la législation en France concernant la réglementation numérique. Elle permet notamment le droit à la « mort numérique ».

Cette loi donne lieu à de nombreux débats entre les personnes qui veulent assimiler les données personnelles de la personne décédée à un « patrimoine numérique » et d’autres qui préfèrent privilégier la protection des données personnelles et donc la limitation de la succession du « patrimoine numérique ».

Un jugement rendu le 9 avril 2019 par le Tribunal de grande instance de Paris illustre cette problématique [2].

L’association de consommateurs Union fédérale des consommateurs - Que choisir a assigné Facebook en 2014 pour constater le caractère abusif ou illicite de plusieurs clauses. Parmi elles, une des clauses qui était contestée concernait le maintien d’un compte utilisateur après sa mort. Dans un jugement rendu le 9 avril 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que Facebook collectait les données à caractère personnel de manière licite et loyale. En effet, la clause respectait les articles 6 et 40 de la loi informatique et libertés puisque l’utilisateur peut prévoir avec anticipation la suppression de ses données en cas de décès. De plus, les héritiers peuvent faire la demande de suppression des données du de cujus.

Ainsi, les héritiers ne peuvent que demander la suppression des données personnelles concernant le de cujus et ne peuvent donc pas demander l’accès à ses mêmes données.

Nous sommes donc encore dans le flou, mais pour combien de temps ? La question est en plein essor, et doit recevoir une réponse.

Lucas MASSARD, étudiant en Master 2 Professions de la justice à l'université Jean Monnet Saint-Etienne.

[1“We project the future accumulation of profiles belonging to deceased Facebook users. Our analysis suggests that a minimum of 1.4 billion users will pass away before 2100 if Facebook ceases to attract new users as of 2018”.

[2Jugement du TGI de Paris du 9 avril 2019, UFC-Que Choisir / Facebook Inc.

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