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La libération conditionnelle pour les personnes détenues. Par Sabah Kammoussi, Avocat.
Parution : mercredi 28 octobre 2020
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La libération conditionnelle est une mesure d’aménagement de peine prévue tant pour les personnes détenues que pour les personnes libres condamnées à une peine d’emprisonnement ferme.

Dans cet article, il s’agira de traiter uniquement de la libération conditionnelle concernant les personnes détenues.

La libération conditionnelle est une mesure permettant à une personne détenue de continuer à exécuter sa peine, mais sous une forme différente.

Elle permet également et surtout de lutter contre la récidive en accompagnant et en encadrant strictement la personne placée sous main de justice à l’extérieur en créant une sorte de sas entre l’enfermement strict et la liberté totale.

Ainsi, ce type de mesure (au même titre que toutes les autres formes d’aménagement de peine) tend à éviter la récidive puisqu’un suivi adapté et contraignant est mis en place jusqu’à la fin de la peine (et parfois au-delà). Cela permet à la personne placée sous main de justice de se stabiliser socialement et psychologiquement et donc, par là même, d’éviter de nouveaux passages à l’acte.

Néanmoins, et contrairement à ce que certains imaginent, la libération conditionnelle reste un mode d’exécution de peine contraignant et, a fortiori, lorsqu’elle est assortie d’une mesure probatoire.

Ainsi, et contrairement aux idées reçues, la libération conditionnelle (au même titre que les autres types d’aménagement de peine) est une mesure contraignante et très cadrante. Une fois à l’extérieur, la personne placée sous main de justice est scrupuleusement suivie par un juge de l’application des peines et par le service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Régulièrement, la personne placée sous main de justice doit rendre des comptes et justifier de divers éléments et démarches. A défaut, elle peut voir son aménagement de peine révoqué et donc être à nouveau incarcérée.

Mais parce que la libération conditionnelle demeure une mesure de confiance, les étapes et les critères d’octroi sont nombreux et font l’objet d’un examen scrupuleux de la part des juridictions de l’application des peines. C’est pourquoi, une préparation et un investissement régulier de la personne détenue sont nécessaires pour espérer prétendre à une libération conditionnelle.

Depuis la réforme Taubira de 2014, les personnes exécutant une peine d’emprisonnement ferme sont sur le même pied d’égalité s’agissant de la libération conditionnelle, qu’elles soient ou non récidivistes. Ainsi, elles peuvent solliciter une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de leur peine.

La personne détenue peut également se voir octroyer une libération conditionnelle jusqu’à un an avant sa mi-peine. Il s’agira donc de la placer sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, en semi-liberté ou en placement extérieur jusqu’à ce qu’elle atteigne la mi-peine. On parle de mesure probatoire à la libération conditionnelle.

Les mesures probatoires à la libération conditionnelle sont, dans ce cas de figure, obligatoires puisque la personne détenue n’a pas encore atteint sa mi-peine ; délai légal minimal pour pouvoir prétendre à la libération conditionnelle.

Néanmoins, il existe certaines catégories de personnes détenues pouvant bénéficier d’une libération conditionnelle sans que le critère de la mi-peine ne soit applicable (libération conditionnelle à partir de 70 ans, libération conditionnelle parentale, libération conditionnelle suite à une suspension de peine médicale…).

D’autres, a contrario, telles que les personnes détenues soumises à une période de sûreté par exemple, ne peuvent pas bénéficier d’un aménagement de peine même lorsqu’elles ont exécuté la moitié de leur peine si la période de sûreté n’est pas achevée.

Par ailleurs, et même si la personne détenue a exécuté la moitié de sa peine, celle-ci peut être placée sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, en semi-liberté ou en placement extérieur à titre probatoire d’office ou à sa demande.

Enfin, et lorsque la libération conditionnelle est octroyée par le TAP et que la personne détenue n’est pas soumise à un placement sous surveillance électronique mobile, celle-ci est obligatoirement soumise à une mesure probatoire durant une période comprise entre 1 et 3 ans.

Le chemin conduisant à la libération conditionnelle est initialement le même s’agissant des critères d’octroi. Cependant, le parcours diffère considérablement selon la juridiction qui sera amenée à se prononcer sur cette demande : le JAP ou le TAP (cf article Aménagement de peine : compétence du JAP ou du TAP ?)

S’agissant du tribunal de l’application des peines (TAP), cette juridiction est composée de 3 juges de l’application des peines. Ces juges ont donc à connaître des demandes de libération conditionnelle formulées par des personnes détenues condamnées à des quantum de peine et pour des infractions limitativement prévus par la Loi.

Ainsi, le parcours permettant à une personne détenue appartenant à ces catégories est encore plus strict que celui rattaché à la procédure devant le JAP (juge unique).

A titre d’exemple, une procédure relevant du tribunal de l’application des peines peut impliquer, notamment, que la personne détenue fasse l’objet d’une évaluation par une équipe pluridisciplinaire pendant une durée de 6 semaines au moins dans un centre national d’évaluation (CNE) assortie d’une double expertise psychiatrique ou d’une expertise psychologique et psychiatrique.

Au terme de cette évaluation un rapport est établi.

Il est à noter que le CNE doit rendre son rapport dans un délai de 6 mois à compter de sa saisine.

Or, en pratique ce délai n’est jamais respecté, car le nombre de places en CNE est bien inférieur au nombre de demandes.

Le non-respect de ce délai offre la possibilité au TAP d’examiner la demande de la personne détenue sans rapport du CNE.

Il ne s’agit que d’une fausse alternative, puisque cette demande est rarement acceptée sans évaluation du CNE. En effet, le but de cette évaluation étant précisément d’éclairer le tribunal sur la dangerosité potentielle et sur le projet de sortie de la personne détenue qui sollicite une libération conditionnelle.

La procédure TAP est longue et fastidieuse, puisque, malgré l’existence d’un délai légal donné au TAP pour se prononcer ( 6 mois à compter du dépôt de la requête), ce délai n’est en pratique que peu respecté.

La "sanction" du non-respect de ce délai est d’offrir l’opportunité au justiciable de saisir directement la Chambre de l’Application des Peines (CHAP).

Or, il s’agit là encore en pratique d’une fausse alternative, puisque l’objectif du CNE est d’évaluer la dangerosité et le projet de sortie de la personne détenue. Sans ces éléments, la CHAP peut tout à fait rejeter la demande au motif que les juges n’ont pas assez d’éléments leur permettant d’apprécier la personnalité, la cohérence et la fiabilité du projet de sortie.

Enfin, la procédure devant le JAP ne doit pas pour autant être considérée comme plus simple ou plus laxiste que celle prévue pour le TAP.

En effet, le Loi prévoit et impose des critères communs aux deux procédures (JAP et TAP) en fonction des profils ainsi qu’un arsenal juridique important permettant au JAP d’évaluer la dangerosité potentielle ou le risque de récidive d’une personne détenue avant de se prononcer sur sa demande d’aménagement de peine.

Quels sont les critères pour prétendre à une mesure de libération conditionnelle ?

D’une manière générale, la Loi impose que le régime d’exécution de peine doit être adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières.

Ainsi et durant toute la durée d’incarcération, la personne détenue fait l’objet d’une évaluation.

Cette évaluation se fait en réalité et en premier lieu au quotidien à travers le comportement de la personne détenue, de son investissement en détention (travail, activités, soins), à travers un travail d’observation effectué par le personnel pénitentiaire, mais aussi à travers des expertises psychiatriques par exemple.

La personne détenue est également évaluée et même testée à travers les permissions de sortir lorsqu’elle est éligible et présente des garanties suffisantes pour bénéficier de telles mesures.

Aussi, lors de l’examen de la demande d’aménagement de peine, la juridiction de l’application des peines prend également en compte la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée.

S’agissant de la libération conditionnelle en particulier, les critères sont prévus par l’article 729 du code de procédure pénale dispose :

« La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive.
Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale et lorsqu’ils justifient :

1° Soit de l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage ou d’un emploi temporaire ou de leur assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ;
2° Soit de leur participation essentielle à la vie de leur famille ;
3° Soit de la nécessité de suivre un traitement médical ;
4° Soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes ;
5° Soit de leur implication dans tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion.

Sous réserve des dispositions de l’article 132-23 du code pénal, la libération conditionnelle peut être accordée lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. Dans le cas prévu au présent alinéa, le temps d’épreuve ne peut excéder quinze années ou, si le condamné est en état de récidive légale, vingt années.
Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité, le temps d’épreuve est de dix-huit années ; il est de vingt-deux années si le condamné est en état de récidive légale.

Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines en application des articles 717-1 et 763-7. Il en est de même lorsque le juge de l’application des peines est informé, en application de l’article 717-1, que le condamné ne suit pas de façon régulière le traitement qu’il lui a proposé. Une libération conditionnelle ne peut non plus être accordée au condamné qui ne s’engage pas à suivre, après sa libération, le traitement qui lui est proposé en application de l’article 731-1.

Lorsque le condamné est âgé de plus de soixante-dix ans, les durées de peines accomplies prévues par le présent article ne sont pas applicables et la libération conditionnelle peut être accordée dès lors que l’insertion ou la réinsertion du condamné est assurée, en particulier s’il fait l’objet d’une prise en charge adaptée à sa situation à sa sortie de l’établissement pénitentiaire ou s’il justifie d’un hébergement, sauf en cas de risque grave de renouvellement de l’infraction ou si cette libération est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public.

Lorsque le condamné bénéficie d’une mesure de suspension de peine sur le fondement de l’article 720-1-1, la libération conditionnelle peut être accordée sans condition quant à la durée de la peine accomplie si, à l’issue d’un délai d’un an après l’octroi de la mesure de suspension, une nouvelle expertise établit que son état de santé physique ou mentale est toujours durablement incompatible avec le maintien en détention et si le condamné justifie d’une prise en charge adaptée à sa situation ».

Ainsi, outre le fait de devoir justifier d’efforts sérieux de réadaptation sociale (qui s’opèrent notamment à travers cette évaluation au quotidien), la personne détenue doit justifier de son projet de sortie ou justifier d’un motif de sortie. Ces éléments se déclinent sous 5 formes prévues par l’article 729 du code de procédure pénale :

1° Soit de l’exercice d’une activité professionnelle, d’un stage ou d’un emploi temporaire ou de leur assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ;
2° Soit de leur participation essentielle à la vie de leur famille ;
3° Soit de la nécessité de suivre un traitement médical ;
4° Soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes ;
5° Soit de leur implication dans tout autre projet sérieux d’insertion ou de réinsertion.

Evidemment, ces critères ne sont pas cumulatifs mais alternatifs.

Ce même article prévoit la libération conditionnelle à partir de 70 ans ainsi que la libération conditionnelle médicale prononcée à la suite d’une suspension de peine d’une durée d’un an.

Il existe en outre la libération conditionnelle dite "expulsion" prévue par l’article 729-2 du code de procédure pénale ainsi que la libération conditionnelle parentale prévue par l’article 729-3 du même code.

Si la juridiction de l’application des peines fait droit à la demande de libération conditionnelle, la personne détenue, une fois libérée, peut être soumise à divers obligations et interdictions (interdiction de paraître dans certains lieux, interdiction d’entrer en contact avec la victime, obligation d’indemniser les victimes, obligation de soins…etc) et/ou à des mesures particulières (avoir satisfait à une mesure probatoire par exemple), outre les obligations générales (répondre aux convocations, prévenir le travailleur social de ses changements de résidence ou tout déplacement à l’étranger…etc).

Notons que la durée des mesures d’assistance et de contrôle ne peut être inférieure à la durée de la partie de la peine restant à subir au moment de la libération s’il s’agit d’une peine à temps. Néanmoins, elle peut la dépasser pour une période d’un an maximum sans que la durée totale des mesures d’assistance et de contrôle ne puisse excéder 10 années.

Comment se déroule la fin d’une libération conditionnelle ?

- En premier lieu, la personne détenue peut tout simplement refuser de bénéficier de la mesure avant même qu’elle ait débuté (sauf exception).

- La libération conditionnelle octroyée peut également prendre fin par un retrait de la libération conditionnelle avant exécution. Cette hypothèse intervient en général lorsque la personne détenue ne remplit plus les critères ayant amené la juridiction de l’application des peines à faire droit à la demande.

- La libération conditionnelle peut également prendre fin au cours de son exécution si la personne placée sous main de justice ne respecte plus les obligations, interdiction ou les mesures auxquelles elle est soumise. Ainsi, la libération conditionnelle fera l’objet d’une révocation après que la question a été débattue contradictoirement.

Il est à noter que la personne placée sous main de justice peut faire l’objet d’une détention provisoire dans l’attente du débat contradictoire qui conduira à la révocation ou non de sa mesure de libération conditionnelle.

Le juge de l’application des peines peut également délivrer un mandat d’amener ou d’arrêt à l’encontre de la personne placée sous main de justice.

- Enfin, et si la personne placée sous main de justice respecte le cadre de sa libération conditionnelle, celle-ci s’achèvera dès la fin du délai d’épreuve.

Sabah Kammoussi Avocat 2, Rue des Aqueducs 42300 ROANNE Portable : 06.03.03.32.20 Mail: [->kammoussi.sabah@gmail.com]
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