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La procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : vendredi 30 octobre 2020
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La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interprète la législation européenne afin d’en garantir l’application uniforme dans tous les pays de l’UE et statue sur les différends juridiques opposant les gouvernements des Etats membres et les institutions de l’UE.
Elle peut également, dans certaines circonstances, être saisie par des particuliers, des entreprises ou des organisations souhaitant intenter une action contre une institution de l’UE lorsqu’ils estiment qu’elle a porté atteinte à leurs droits.

Tout ce que vous voulez savoir sur la Cour de justice sans oser le demander. L’objectif est d’une part d’informer et d’autre part, d’alerter sur ce qui paraît frappant.

La Cour de justice est dotée de compétences juridictionnelles bien définies qu’elle exerce dans le cadre de la procédure de renvoi préjudiciel et de diverses catégories de recours.

Quelle que soit la nature de l’affaire, elle comprend une phase écrite et, le cas échéant, une phase orale, qui est publique.

1°- Les diverses formes de procédures.

Le renvoi préjudiciel.
La Cour de justice travaille en collaboration avec l’ensemble des juridictions des Etats membres, lesquelles sont les juges de droit commun du droit de l’Union. Pour assurer une application effective et homogène de la législation de l’Union et éviter toute interprétation divergente, les juges nationaux peuvent, et parfois doivent, se tourner vers la Cour de justice pour demander de préciser un point d’interprétation du droit de l’Union, afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale.

La demande préjudicielle peut aussi viser le contrôle de la validité d’un acte du droit de l’Union. La Cour de justice répond non pas par un simple avis, mais par un arrêt ou une ordonnance motivée. La juridiction nationale destinataire est liée par l’interprétation donnée quand elle tranche le litige pendant devant elle. L’arrêt de la Cour de justice lie de la même manière les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème identique.

C’est aussi dans le cadre des renvois préjudiciels que tout citoyen européen peut faire préciser les règles de l’Union qui le concernent. En effet, bien que ce renvoi ne puisse être formé que par une juridiction nationale, toutes les parties déjà présentes devant cette dernière juridiction, les Etats membres et les institutions de l’Union peuvent participer à la procédure engagée devant la Cour de justice.

C’est ainsi que plusieurs grands principes du droit de l’Union ont été énoncés sur la base de questions préjudicielles, parfois posées par des juridictions nationales de première instance.

Le recours en manquement.
Il permet à la Cour de justice de contrôler le respect par les Etats membres des obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union. La saisine de la Cour de justice est précédée d’une procédure préalable engagée par la Commission qui consiste à donner à l’Etat membre concerné l’occasion de répondre aux griefs qui lui sont adressés.

Si cette procédure n’amène pas l’Etat membre à mettre fin au manquement, un recours pour violation du droit de l’Union peut être introduit auprès de la Cour de justice. Ce recours peut être engagé soit par la Commission - c’est, en pratique, le cas le plus fréquent - soit par un Etat membre. Si la Cour de justice constate le manquement, l’Etat est tenu d’y mettre fin sans délai.

Si, après une nouvelle saisine par la Commission, la Cour de justice constate que l’Etat membre concerné ne s’est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d’une somme forfaitaire et/ou d’une astreinte. Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d’une directive à la Commission, sur proposition de cette dernière, une sanction pécuniaire peut être infligée par la Cour à l’Etat membre concerné dès le stade du premier arrêt en manquement.

Le recours en annulation.
Par ce recours, le requérant demande l’annulation d’un acte d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union (notamment règlement, directive, décision). A la Cour de justice sont réservés les recours formés par un Etat membre contre le Parlement européen et/ou contre le Conseil (sauf pour les actes de ce dernier en matière d’aides d’Etat, de dumping et de compétences d’exécution) ou introduits par une institution de l’Union contre une autre institution.

2°- La procédure écrite et l’audience publique.

A la Cour de justice, chaque affaire est assignée à un juge (« juge rapporteur ») et à un avocat général. La procédure se déroule en deux étapes :

Etape écrite.
Les parties présentent des déclarations écrites à la Cour. Les autorités nationales, les institutions de l’UE et, dans certains cas, des particuliers, peuvent également envoyer des observations.
Toutes ces informations sont résumées par le juge rapporteur, puis examinées lors de la réunion générale des juges et des avocats généraux, qui décide :
- du nombre de juges assignés à l’affaire : 3, 5 ou 15 (soit l’ensemble de la Cour), selon l’importance et la complexité de l’affaire. La plupart des affaires sont entendues par cinq juges. Il est très rare que la Cour statue en plénière sur une affaire ;
- si une audience (étape orale) doit être tenue et si l’avocat général doit rendre des conclusions.

Etape orale : audience publique.
Les avocats des deux parties exposent leurs arguments aux juges et à l’avocat général, qui peuvent les interroger.
Si la Cour a estimé que l’avocat général devait rendre des conclusions, celles-ci sont transmises quelques semaines après l’audience.
A l’issue de cette procédure, les juges délibèrent et rendent leur décision.

La procédure d’audience au Tribunal est similaire, si ce n’est que la plupart des affaires sont traitées par trois juges et que les avocats généraux ne remettent pas de conclusions

3°- Les arrêts.

La CJUE rend des arrêts dans les affaires qui lui sont soumises.
Son activité consiste notamment à :

- Interpréter la législation de l’UE (décisions préjudicielles).
Les juridictions nationales doivent veiller à la bonne application de la législation de l’UE, mais il arrive qu’elles l’interprètent différemment. Si une juridiction a un doute à propos de l’interprétation ou de la validité d’un acte législatif européen, elle peut demander des éclaircissements à la Cour. Cette procédure peut également servir à déterminer si une loi ou une pratique nationale est compatible avec la législation de l’UE ;

- Veiller à la bonne application de la législation de l’UE (recours en manquement).
Cette procédure est appliquée lorsqu’un Etat membre ne respecte pas la législation de l’UE. Elle peut être engagée par la commission européenne ou un autre Etat membre. Si le manquement est constaté, le pays en cause doit immédiatement y mettre fin, faute de quoi il risque de faire l’objet d’un second recours et de payer une amende ;

- Annuler des actes législatifs européens (recours en annulation).
S’ils estiment qu’un acte législatif européen enfreint les traités de l’UE ou viole des droits fondamentaux, le Conseil de l’UE, la Commission européenne ou, dans certains cas, le Parlement européen peuvent demander à la Cour de l’annuler ;

Un particulier peut également demander à la Cour d’annuler un acte qui le concerne directement :
- Garantir une action de l’UE (recours en carence).
Le Parlement, le Conseil et la Commission doivent prendre certaines décisions dans certaines circonstances. S’ils ne le font pas, les Etats membres, les autres institutions européennes ou (dans certains cas) des particuliers ou des entreprises peuvent saisir la Cour ;

- Sanctionner les institutions de l’UE (actions en dommages et intérêts).
Toute personne ou entreprise dont les intérêts ont été lésés à la suite de l’action ou de l’inaction de l’UE ou de son personnel peut saisir la Cour.

En pratique :

Les juges délibèrent sur la base d’un projet d’arrêt établi par le juge rapporteur.

Chaque juge de la formation de jugement concernée peut proposer des modifications. Les décisions de la Cour de justice sont prises à la majorité et il n’est pas fait état des éventuelles opinions dissidentes.

Seuls les juges ayant assisté au délibéré oral au cours duquel l’arrêt est adopté signent celui-ci, sans préjudice de la règle selon laquelle le juge le moins ancien de la formation de jugement ne signe pas l’arrêt si cette formation se trouve en nombre pair.

Les arrêts sont prononcés en audience publique.

Les arrêts et les conclusions des avocats généraux sont disponibles sur le site Internet CURIA le jour même de leur prononcé ou de leur lecture.

Ils sont, dans la plupart des cas, publiés ultérieurement au Recueil de la jurisprudence.

4° - Les procédures spécifiques.

La procédure simplifiée.
Lorsqu’une question préjudicielle est identique à une question sur laquelle la Cour de justice a déjà été amenée à se prononcer ou lorsque la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute raisonnable ou peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, après avoir entendu l’avocat général, statuer par voie d’ordonnance motivée, en faisant notamment référence à l’arrêt déjà rendu sur cette question ou à la jurisprudence pertinente.

La procédure accélérée.
La procédure accélérée permet à la Cour de justice de statuer rapidement dans les affaires présentant une urgence extrême en réduisant les délais au maximum et en accordant à ces affaires une priorité absolue.

A la suite d’une demande introduite par l’une des parties, il appartient au président de la Cour de décider, sur proposition du juge rapporteur et après avoir entendu l’avocat général et les autres parties, si une urgence particulière justifie le recours à la procédure accélérée.

Une telle procédure est également prévue pour les renvois préjudiciels.
Dans ce cas, la demande est faite par la juridiction nationale qui saisit la Cour et doit exposer, dans sa demande, les circonstances établissant l’urgence extraordinaire à statuer sur la question posée à titre préjudiciel.

La procédure préjudicielle d’urgence (PPU).
Cette procédure permet à la Cour de justice de traiter dans un délai considérablement raccourci les questions les plus sensibles relatives à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (coopération policière et judiciaire en matière civile et pénale ainsi que visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes).

Les affaires soumises à la PPU sont confiées à une chambre à cinq juges spécialement désignée et la phase écrite se déroule, dans la pratique, essentiellement par voie électronique et est extrêmement réduite, tant dans sa durée que dans le nombre d’acteurs autorisés à soumettre des observations écrites, la plupart des acteurs intervenant lors de la phase orale de la procédure, qui est obligatoire.

Le référé.
Le référé vise à obtenir le sursis à l’exécution d’un acte d’une institution, faisant également l’objet d’un recours, ou toute autre mesure provisoire nécessaire pour prévenir un préjudice grave et irréparable au détriment d’une partie.

Benoit HENRY, Avocat [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau RECAMIER Membre de GEMME-MEDIATION https://www.facebook.com/ReseauRecamier/