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Salarié : vous n’êtes pas contraint d’accepter une rupture conventionnelle. Par Abdelbahri Souad, Avocate.
Parution : vendredi 30 octobre 2020
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La rupture conventionnelle permet à l’employeur et au salarié de convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat les lie.
Leur consentement doit être libre s’agissant :
- du choix de la rupture conventionnelle pour rompre le contrat de travail ;
- de ses conditions de mise en œuvre (montant de l’indemnité de rupture, date de fin du contrat de travail, etc.).

Cela passe par l’organisation d’un ou plusieurs entretiens avec le salarié concerné.

Dans un arrêt en date du 8 juillet 2020, la Cour de cassation réaffirme le principe de liberté du consentement dans le cadre de la rupture du contrat de travail. Une rupture conventionnelle ne peut être imposée à aucune des deux parties au contrat sous peine de nullité.

Les faits.

Dans cette affaire, une salariée a été sanctionnée par deux avertissements successifs avant de se voir proposer une rupture conventionnelle.

La salariée saisit alors le Conseil des prud’hommes en contestation de la validité de la rupture conventionnelle.

L’affaire est portée devant la Cour d’appel de Versailles, laquelle relevait dans son arrêt du 6 février 2019, que :
- l’employeur avait fait pression sur la salariée, dont la compétence n’avait auparavant jamais été mise en cause, en lui délivrant deux avertissements successifs et injustifiés ;
- qu’il l’avait dévalorisée et avait dégradé ses conditions de travail, ce qui avait eu des conséquences sur son état de santé ;
- qu’il l’avait incitée, par les pressions ainsi exercées, à accepter la voie de la rupture conventionnelle.

La Cour d’appel requalifiait alors la rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Une réaffirmation du principe du consentement libre et éclairé.

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel affirmant que :

« Si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L1237-11 du code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ».

La Haute juridiction confirme le raisonnement de la Cour d’appel de Versailles et rappelle les conditions de validité de la rupture conventionnelle notamment en invoquant le principe posé à l’article L1237-11 alinéa 2 et 3 du Code du travail qui prévoit que :

« La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties.

Elle résulte d’une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties ».

La nullité : sanction traditionnelle du vice du consentement.

Dans le prolongement de sa jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme le raisonnement des juges du fond et considère que le consentement est entaché d’un vice en ce que :
- D’une part, les deux avertissements successivement délivrés à la salariée se sont avérés être injustifiés puisque sa compétence professionnelle n’avait jamais été remise en cause jusqu’à lors ;
- D’autre part, l’employeur avait dévalorisé la salariée dégradant ainsi ses conditions de travail. Cette dégradation des conditions de travail a eu des répercussions sur son état de santé puisque la plaignante a été placé en arrêt maladie à trois reprises pour syndrome anxio-dépressif.

Il en résulte que l’employeur a bien, par son comportement, incité la salariée à conclure une rupture conventionnelle, ce qui viciait nécessairement le consentement de la salariée.

La rupture conventionnelle assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La nullité de la rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La salariée est donc en droit de percevoir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis.

Quelques précisions et conseils.

Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreux salariés se sont vus proposer une rupture conventionnelle.

- Si vous êtes salarié et que le principe et/ou les modalités (notamment le montant de l’indemnité) ne vous conviennent pas, vous êtes libre de refuser une rupture conventionnelle et poursuivre ainsi votre relation de travail.

Si vous subissez des menaces et/ou des pressions, vous devrez vous en ménager la preuve (sanctions adressées, emails virulents, témoignages, arrêt de travail, suivi psychologique etc.) afin de solliciter la nullité de la convention de rupture conventionnelle voire poursuivre l’employeur pour harcèlement moral.

- Si vous êtes employeur et que vous envisagez de conclure une rupture conventionnelle, il est recommandé d’organiser au moins deux entretiens avec votre salarié.

Ces entretiens vous permettront de vous assurer du consentement libre et éclairé de ce dernier et d’éviter ainsi une rétractation ou une contestation judiciaire devant le Conseil des prud’hommes.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2020, 19-15.441, Inédit.

Maître Abdelbahri Souad Avocate au Barreau de Paris www.juridis-lab.com [->contact@juridis-lab.com]