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Redressement fiscal de vos revenus 2018 : une double imposition inconstitutionnelle ? Par Thomas Ramon, Avocat.
Parution : mardi 3 novembre 2020
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La loi de finances pour 2017 a instauré à compter du 1er janvier 2019, un prélèvement afférent à l’impôt sur le revenu, contemporain de la perception des revenus, appelé « prélèvement à la source ».
Ce prélèvement, qui ne modifie pas les règles de calcul de l’impôt sur le revenu, a supprimé le décalage d’une année existant entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt sur le revenu correspondant.

A titre de mesure transitoire, le législateur avait instauré un crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR), dont les contribuables ont pu bénéficier à raison de leurs revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement, afin d’assurer, pour ces revenus 2018, l’absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l’impôt sur le revenu.

Cependant, le législateur a prévu une exception concernant les revenus rectifiés par l’administration fiscale et qui n’ont pas été spontanément déclarés.

I) La notion de revenus déclarés spontanément.

En application de l’alinéa 3 du L du II de l’article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, seuls les revenus déclarés spontanément par le contribuable sont pris en compte dans le calcul du montant du CIMR.

La doctrine de l’administration fiscale est venue préciser que les revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement à la source et déclarés après l’engagement d’une procédure contraignante de contrôle fiscal ne peuvent bénéficier du CIMR [1].

Selon le Service, constitue l’engagement d’une procédure contraignante la réception par le contribuable :
- d’un avis d’examen de situation fiscale personnelle ;
- d’un avis de vérification ou d’examen de comptabilité ;
- d’une proposition de rectification ;
- d’une demande d’éclaircissements ou de justifications prévue à l’article L16 du livre des procédures fiscales (LPF).

Enfin, le CIMR ne s’applique pas non plus lorsque le contribuable fait l’objet d’une procédure d’imposition d’office. Notamment, s’il s’est abstenu de répondre à une demande de justification, si sa réponse est assimilable à un défaut de réponse [2] ou encore lorsque la demande de justification est suivie de l’envoi d’une mise en demeure [3].

A l’inverse, la réception par le contribuable d’une demande d’information ou de renseignement relative aux déclarations souscrites prévue à l’article L10 du LPF ne constitue pas l’engagement d’une procédure administrative contraignante. Ainsi, le dépôt d’une déclaration rectificative suite à la réception d’une telle demande est considéré comme spontané. Il en est de même pour toute déclaration déposée dans le cadre d’une relance amiable.

II) Le refus d’appliquer le CIMR est-il constitutionnel ?

Il convient de relever que l’absence de bénéfice du CIMR pour les revenus redressés s’avère particulièrement sévère dans certains cas. A titre d’exemple, un contribuable qui a déclaré ses revenus étrangers sur la déclaration n°2047 mais qui a omis de reporter le montant de ces revenus sur la déclaration n°2042 a ainsi fait l’objet d’un redressement fiscal de ses revenus, sans prise en compte du crédit d’impôt correspondant.

Celui-ci se voit ainsi doublement imposé :
- Il a été prélevé à la source en 2019 sur ses revenus 2019 ;
- Il doit aujourd’hui régler un impôt sur ses revenus 2018 correspondant à ceux dont il aurait dû être exonéré en 2019.

Cette double imposition paraît contraire à certains principes constitutionnels issus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), à savoir :
- Le principe d’égalité devant la loi, prévu à l’article 6 ;
- Le principe d’égalité devant les charges publiques, prévu à son article 13.

L’article 6 de la DDHC prévoit en effet que la loi

« doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Ainsi, l’omission déclarative d’un contribuable ne saurait être sanctionnée en lui faisant supporter un impôt dont il n’aurait jamais dû s’acquitter en temps normal.
Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général.

Cependant, le contribuable qui fait l’objet d’un rehaussement de ses revenus déclarés ne se situe pas dans une situation juridique différente de celui qui n’a commis aucune erreur dans sa déclaration de revenus.

Quant au motif d’intérêt général, l’erreur déclarative du contribuable doit pouvoir être corrigée dans le cadre d’un contrôle fiscal, sans pour autant lui faire supporter une imposition indue. La double imposition paraît ainsi contraire à l’intérêt général.

La non-conformité constitutionnelle paraît encore plus marquée si on se base sur le fondement de l’article 13 de la DDHC qui indique que :

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose d’atteindre. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

Une différence trop importante de traitement entre plusieurs contribuables selon qu’ils aient fait l’objet ou non d’un contrôle fiscal conduit à les placer dans une situation anormale au regard de l’obligation de contribuer aux charges publiques.

Ainsi, lorsque le redevable est imposé d’une manière excessive, voire confiscatoire ou bien encore lorsqu’il est privé de la faculté de rapporter la preuve de sa bonne foi pour contrer une présomption de fraude ou d’évasion fiscales, la loi est contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

En l’espèce, il est clair que la formulation donnée par la loi de « revenus déclarés spontanément » prive le contribuable de toute possibilité d’apporter la preuve de sa bonne foi.

Il est étonnant de constater que les députés ont déposé un recours contre l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 devant le Conseil Constitutionnel sans que cette question de la suppression du CIMR en cas d’omission déclarative ne soit évoquée [4].

Cette interrogation doit pouvoir faire l’objet d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité en raison de sa nouveauté.

En outre, nul doute que les fondements constitutionnels susvisés permettront de vérifier le caractère sérieux de cette question.

La double imposition résultant d’une erreur déclarative mérite d’être prise en considération sur le plan de l’équité.

Thomas Ramon Avocat au barreau d'Aix-en-Provence [->www.ramon-avocat.fr] Magistère de droit des affaires, fiscalité et comptabilité Master 2 Droit et fiscalité des entreprises

[1BOI-IR-PAS-50-10-30-10.

[2BOI-IR-PAS-50-10-30-20 n°160.

[3BOI-IR-PAS-50-10-30-20 n° 130.

[4Cons. const., décision n° 2017-759 DC, du 28-12-2017, Loi de finances rectificative pour 2017.