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Les avocats se cachent pour mourir ! Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : mercredi 4 novembre 2020
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Non, c’est une boutade, du moins espérons-le. Les avocats ne se cachent pas pour mourir mais tentent de survivre. Certains réussissent d’ailleurs relativement bien. D’autres non. Pour diverses raisons que les rapports successifs sur la profession, très hétérogène, expliquent. En revanche, du moins en France, les risques psychosociaux ne semblent pas mobiliser. Ils contribuent pourtant à fragiliser la profession qui a l’art du camouflage. D’où l’écriture d’un Guide sur les Risques Psychosociaux des Avocats (Première édition). Les tabous sont faits pour être levés.

La couleur de la robe est le même que celle du deuil. Pourtant la profession d’avocat n’est pas prête à rendre l’âme. Malgré les grèves plus paralysantes qu’efficaces, les deux confinements, les réformes incessantes donnant le tournis, les enjeux de cette profession universelle, si résiliente que cela en devient inquiétant, détonnent.

Pour cela, la santé mentale et physique des praticiens reste évidemment une priorité. En théorie. Car, contrairement aux médecins qui tirent la sonnette d’alarme, bardés d’un nombre impressionnant d’enquêtes et de sondages sur leurs souffrances, les avocats, eux, aux allures de Samouraïs, cultivent, en apparence, résistance et endurance. Les praticiens du droit souffrent en silence et se cachent peut-être même pour mourir. Qui sait, la profession si diverse pourrait ne pas avoir vraiment d’unité.

Quelques enseignements sur les risques psychosociaux existent bien, çà et là. Mais fondamentalement, l’avocat qu’on promet augmenté, digital, numérique, as de l’intelligence artificielle, qui en montrera, s’avère en péril.

En France, nous n’avons pas de spécialistes des risques psychosociaux des avocats comme la professeure canadienne Nathalie Cadieux ou l’avocat californien Patrick Krill. A quoi bon, les colloques annoncés de toute part donnent le change, La profession innove, est à la pointe, demeure un partenaire ou un adversaire sans faille du gouvernement, qu’elle défie, tente de convaincre, résiste, propose. Elle a raison.

Mais l’avocat ressemble à un polytraumatisé, muet de douleur, refusant les soins qui finissent par devenir palliatifs. Donner le change à travers un déni au lieu d’opter pour le vrai changement ? Tant que le pied du miroir tient, le reflet ne tremble pas.

Les syndicats s’essaient régulièrement à la démonstration. Mais l’interdépendance des avocats, magistrats, greffiers, qui justifierait un syndicat unifié pour lutter contre les RPS, est encore un concept préhistorique. Churchilliens, les représentants de la profession sont des modèles d’abnégation. Sans être capables d’unir.

Parlons un peu du Guide des Risques Psychosociaux des Avocats.

Le guide est divisé en 42 chapitres. On ne peut plus et mieux verser dans la simplicité. Les sources très riches à la fin de chacun d’eux. Les traquer n’est pas aisé. Elles sont le plus souvent en anglais, dispersées, multiples. L’entreprise d’écrire un tel guide est une cavalcade mais pas à bride abattue. Il a fallu sélectionner d’une manière draconienne les thèmes. Pas une thèse. Pas un rapport. Ce guide contient juste des pistes, pour justement éviter le hors piste et l’avalanche. L’appel de phare dans les yeux. Sans chercher à éblouir, juste à réveiller, pour, à terme, éveiller. Un essai, cette première édition, car elle se complétera très vite en une deuxième fournée et détonnera. Le Guide recense des exemples de RPS et leur traitement dans d’autres pays que la France, pour comparer, mettre en perspective.

D’abord, l’hommage à la professeure Nathalie Cadieux et à ses si courageux équipiers, dont Martine Gingues. Une équipe de choc. Une task force. Des études sur l’ensemble des RPS des avocats, dont les addictions, sous l’égide du Barreau de Montréal, sur la durée, complètes, nourries, documentées, qui font autorité. Une référence incontournable, la professeure Cadieux, de Sherbrooke. Mais dont on ne parle pas en France.

Le Pamba, le service d’aide du Barreau de Montréal, ressemblerait à s’y méprendre à un hôpital virtuel pour avocats.

Enchaînement sur les actions de l’association du Barreau du Canada, du Barreau de Paris, du Royaume-Uni, des Barreaux américains.

Palme d’or pour l’avocat californien Patrick Krill, spécialiste des RPS de la profession. Une gigantesque étude est en cours portant sur 70 000 professionnels.

Du Krill, associé à un professeur de psychiatrie, surpuissant, pionnier, déjà très remarqué pour ses travaux sur la question. Lecture conseillée de mon article sur ce même site, sur les questions portant sur la santé mentale des candidats aux Barreaux américains.

Et puis, on arrive à un triste constat. La sirène du Stuka en piqué. Nos jeunes. Les étudiants en droit. Faculté. Ecoles d’avocats. Comment les traite-t-on en France ? On ne les maltraite même pas, on fait comme si ils n’existaient pas. On ignore la prévention.

On rentre enfin dans le vif. Certaines pathologies. Le burn out. Le séisme. La dépression. Deux maladies invalidantes, destructrices, traîtres, venant sur la pointe des pieds, évoluant à bas bruit.

D’autres affres guettent la profession. Le stress, l’aigu, le post traumatique.

L’extrême, les suicides des avocats. Aucune étude en France. Les psychiatres français ne s’intéressent pas aux avocats et les avocats ne s’intéressent pas aux avocats. Ces derniers ont l’art du camouflage et le divorce avec la médecine est un fait.

Cerner les RPS des avocats, c’est ne jamais oublier les clients. Faire face à leurs failles psychologiques, fait partie du job. Mais quand un client met fin à ses jours, l’onde de choc n’est pas un effet optique. L’avocat doit apprendre à se protéger.

Dans le passé, en France, la guillotine. L’enfer. Assister à l’exécution de son client. Coutume ? Etait-ce nécessaire ? Il faut lire l’Abolition de Badinter. Le bruit de la lame. Le sang. Le panier. L’avocat français n’est plus concerné.

Actuellement, ailleurs, notamment aux States, toujours, la dose létale, la chaise électrique, le peloton d’exécution, la pendaison.

Brow out, blur out, locutions anglophones aux faux airs branchés mais redoutables.

Puis on attaque un gigantesque chapitre qui restera comme les autres tout petit, dimension du guide oblige. Le sommeil. Causes et conséquences des RPS. Son architecture mérite d’être connue.

Ensuite, le combat poignant des avocats souffrant de handicaps, visibles ou invisibles et le travail de deux associations pionnières, Droit Pluriel et Droit comme un H, pour leur recrutement et leur intégration.

La profession en France est familière de l’omerta dans certains domaines. Harcèlement de tout ordre, racisme, discriminations, exclusion. Le rapport de Jacques Toubon, Défenseur des droits, a été d’ailleurs une véritable bombe atomique. Pensez-vous, la profession d’avocat qui se fait rappeler sa vocation, défendre les plus faibles, notamment les siens. Rappel des actions du Barreau de Paris.

Mais le versant parisien ne vaut pas le versant canadien. Brad Regehr, originaire des Premières Nations canadiennes, vient d’être élu président des 37 000 avocats de l’association du barreau canadien. Vous lirez mon article publié sur ce même site, sur la diversité ethnoculturelle dans la justice canadienne. L’association du barreau autochtone mène aussi une lutte âpre et sans merci contre la discrimination au Canada.

En France, nous ne savons pas combien d’avocats de couleur noire exercent. Poser la question revient à poser un problème. Au Canada, l’initiative BlackNorth pulvérise les habitudes, celles de proclamer des principes au lieu d’agir. BlackNorth un engagement à éradiquer le racisme systémique. Les plus grands avocats canadiens y souscrivent. Tout est fait, nous lirons les lettres du 14 septembre 2020 adressées au pouvoir exécutif, pour exhorter le gouvernement à nommer des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) dans la magistrature canadienne. Le débat est ouvert, à vif, sans limite relancé par Brad Regehr, succédant à Vivene Salmon, ex présidente de couleur noire.

Toutefois, l’avocat est bien souvent en sursis. Assassinat par la pègre, les mafias, les cartels. Menaces de groupes terroristes. Les persécutions politiques font plus que jamais de l’avocat une cible, lui et ses proches. Les pires RPS en découlent. De Nelson Mandela à un nombre astronomique d’avocats emprisonnés et torturés en Chine, à Hong Kong, en Turquie, en Iran. Que faire ? Exemples dans le guide.

Un aspect oublié, les RPS inhérents à l’exposition médiatique. Le craving de la célébrité éphémère et la chute libre. Savoir s’entourer.

Puis, les RPS découlant de l’image publique de la profession. Les pilleurs de CARPA, les blanchisseurs d’argent sale font beaucoup de mal à la profession. Les conflits de valeur pullulent et poussent au départ de la profession. Fantastique réussite du consortium des journalistes indépendants, que d’avoir mis à jour les Panamas Papers.

Autre énorme risque dans la vie de l’avocat, le hacking.

Doxing oblige, attention aux publications sur Internet.

Les troubles musculo-squelettiques font des ravages, que probablement une meilleure utilisation des documents uniques d’évaluation des risques professionnels pourrait amoindrir.

Parler du confort "corporel" de l’avocat revient à aborder la typologie de son bureau. Comment le télétravail peut-il tout remettre en question. L’avocat sera-t-il encore plus nomade en ces temps covidiens ?

Parmi beaucoup d’autres thèmes, quelques réflexions sur les déplacements de l’avocat, l’annonce au client d’un échec, le coping, le travail le week-end, quand le juge est un inconnu, la nécessité de savoir refuser un dossier.

Sans oublier le bouleversement provoqué par la Covid-19 avec les multiples mésaventures lors du passage de certains examens d’avocats en ligne, aux Etats-Unis et au Canada.

Alors, face à tant de RPS aussi divers, quelles parades ? Les groupes Balint, comme celui du Barreau de Paris, le mentorat, le counselling, le yoga, la méditation, le repérage, sont des pistes très efficaces. Aura-t-on un jour des salles de yoga et de méditation parfaitement ventilées, communes aux avocats, magistrats, greffiers au sein des tribunaux ?

Dernier chapitre du guide mais dont le thème, la reconversion, est si important.

Rebondir.

Les conséquences des RPS non maîtrisés aboutissent fréquemment à une reconversion désirée, préparée ou imposée. Là aussi, les capacités de mobilité professionnelle de l’avocat sont perfectibles. Beaucoup de praticiens rêvent de faire autre chose mais procrastinent. L’avocat reconverti n’est pas un repenti. Il revient bien souvent au Barreau plus fort, dans une niche, doté d’un réseau. Exemples et conseils.

Les Nostradamus de la profession, les éditeurs de logiciels, les start up, les legal tech continueront de dessiner des plans sur la comète et de spéculer, tant sur les nouveaux rôles de l’avocat que sur ses modalités de travail. C’est d’ailleurs très bien. Mais en oubliant, régulièrement, que les neurosciences n’abstraient pas les fonctions du cerveau mais en découlent, sans toutefois le contrôler. Il est de toute façon bien téméraire de dresser le portrait de l’avocat de demain, tellement il devra s’adapter et répondre aux besoins d’une clientèle très hétérogène.

Une chose est certaine, une santé préservée lui permettrait évidemment d’affronter certaines transitions. La prise de conscience et les actions de prévention des RPS sont parfaitement possibles, sans délai.

Si la volonté est présente.

Sinon, désastre annoncé.

A suivre.

Vincent Ricouleau Auteur du Guide sur les risques psychosociaux des avocats Professeur de droit -Vietnam - Directeur fondateur de la clinique francophone du droit au Vietnam Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5).