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Intermittents : requalification en CDI et licenciement sans cause de 2 électriciens employés sous CDDU. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mélanie Guyard, Juriste.
Parution : lundi 9 novembre 2020
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Les emplois d’électricien-éclairagiste et de road relèvent-ils de l’activité normale et permanente d’une société de prestations audiovisuelles et cinématographiques soumise à la convention collective ETSCE (entreprises techniques au service de la création et de l’événement) ?

Dans 2 jugements du 15 juin 2020 du Conseil de Prud’hommes de Bobigny (départage, définitifs) répond par l’affirmative, faisant droit aux demandes de requalification des CDD d’usage en CDI de deux salariés intermittents du spectacle employés depuis plus de 3 ans pour la société Euromedia.

Du fait de la requalification, la rupture des relations de travail entre les salariés et la société Euromedia ne comportant aucune lettre de rupture, est jugée sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de Prud’hommes de Bobigny.

Les jugements sont définitifs, aucun appel n’a été régularisé.

1) Rappel des faits.

M.X. a été embauché par la société Euromedia en qualité d’électricien éclairagiste par contrats à durée déterminée d’usage sur la période courant du 21 juillet 2008 au 12 mai 2017.

M.Y a quant à lui été employé par la société Euromedia en qualité de road par contrats à durée déterminée d’usage sur la période courant du 1er août 2013 au 19 mai 2017.

Le 20 mai 2017, les sociétés Euromedia et Amp Visual Tv ont conclu un accord de reprise des activités plateaux, incluant le transfert de 97 salariés permanents.

Cependant, Messieurs X et Y n’ont pas été transférés à Amp Visual Tv.

Depuis, Euromedia ne les a plus jamais contactés.

Par requête en date du 5 septembre 2017, les deux salariés ont saisi le Conseil de Prud’hommes de Bobigny d’une demande tendant à la requalification de leurs contrats à durée déterminée d’usage (CDDU) en contrats à durée indéterminée (CDI) ainsi que le paiement de rappels de salaires et d’indemnités de rupture.

Par jugement contradictoire en date du 15 juin 2020, la section activités diverses du Conseil de Prud’hommes de Bobigny a :
- requalifié les CDDU en CDI ;
- fixé le salaire de référence de M.X. à la somme mensuelle moyenne de 1 399,65 euros et celui de M.Y. à celle de 1 097,94 euros ;
- condamné la société Euromedia à payer à M.X. et M.Y. les sommes suivantes :

A Monsieur XA Monsieur Y
Indemnité compensatrice de préavis  2 799,30 euros et 279,93 euros au titre des congés payés correspondants 2 195,88 euros et 219,58 euros au titre des congés payés correspondants
Indemnité conventionnelle de licenciement 2 466,18 euros 834,43 euros
Indemnité de requalification 1 700 euros 1 100 euros
Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 12 600 euros 4 400 euros
Dommages et intérêts pour perte de chance d’avoir bénéficié du transfert de leurs contrats de travail au sein de la société Amp Visual Tv 1 500 euros 1 100 euros

- enjoint à la société Euromedia de remettre à Messieurs X et Y les documents sociaux conformes au présent jugement dans un délai d’un mois suivant sa notification ;
- ordonné le remboursement par la société Euromedia aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M.X. et M.Y. du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de six mois dans les conditions prévues à l’article R1335-4 du Code du travail et dit que le secrétariat greffe en application de l’article R1235-2 du Code du travail adressera à la Direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l’objet d’un appel ;
- condamné la société Euromedia à payer à M.X et M.Y. la somme de 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Euromedia aux dépens ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Les deux salariés obtiennent au total :
- 22 145,41 euros pour M.X,
- 10 649,89 euros pour M.Y.

2) Les deux intermittents du spectacle obtiennent la requalification de leurs CDD d’usage en CDI.

A ce titre, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle que l’article L1242-12 du Code du travail dispose que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

Il rappelle également qu’en application de l’article L1242-13 le contrat de travail est transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche.

Conformément à l’article L1242-1 du présent Code, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Enfin, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle qu’en application de l’article L1242-2 du Code du travail, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas tels que :
1°) le remplacement d’un salarié absent ;
2°) l’accroissement temporaire d’activité de l’entreprise ;
3°) les emplois à caractère saisonnier.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny considère que

« s’il résulte de la combinaison des articles L1242-1, L1242-2, L1245-1 et D1242-1 du Code du travail, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains emplois relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en œuvre par la Directive n°1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi ».

En l’espèce, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny affirme qu’il

« est constant que les contrats à durée déterminée intervenus entre la société Euromedia et [Messieurs X et Y] s’inscrivent dans le secteur de l’audiovisuel dans lequel la convention collective des entreprises techniques au service de la création de l’évènement et l’accord de branche autorisent la conclusion de contrats à durée déterminée d’usage.

Il ressort en effet des contrats de travail litigieux que [Messieurs X et Y ont] été engagé[s] respectivement à compter du 21 juillet 2008 et du 1er août 2013 en qualité d’électricien et de road par la société Euromedia dont l’extrait K-bis mentionne qu’elle a pour activité, notamment, la production d’œuvres et documents audiovisuels, la création, l’acquisition, la vente, la location, la gestion et le stockage de toutes matières, appareils, matériels et documents concernant l’audiovisuel, la création, la conception, la fabrication, l’édition de produits, procédés ou idées dans les domaines cinématographiques, artistiques, musicaux, publicitaires.

Il ne peut être sérieusement contesté que les fonctions d’électricien-éclairagiste, prise de vue ou vidéo et de road [sont] essentielle[s] à l’activité de réalisation et de production de programmes audiovisuels de quelque nature qu’elles soient exercées par la société Euromedia.

S’agissant du caractère permanent de l’emploi d[es] demandeur[s], il est établi par les bulletins de paie produits aux débats sur les périodes courant du 21 juillet 2008 au 12 mai 2017 pour M.X. et du 1er août 2013 au 19 mai 2017 par M.Y, desquels il ressort que [les salariés ont] travaillé plusieurs jours chaque mois, ce qui atteste d’une activité régulière de ce[s] dernier[s] ».

Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny juge que « les contrats à durée déterminée successifs conclus entre la société Euromedia et [les deux salariés] avaient pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. En conséquence, les contrats litigieux sont requalifiés en contrat à durée indéterminée » à effet du 21 juillet 2008 pour M.X et du 1er août 2013 pour M.Y.

3) Sur le licenciement sans cause résultant de la requalification des CDD d’usage en CDI du fait de l’absence de lettre de fin de collaboration.

A cet égard, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle que « la relation de travail s’inscrivant dans le cadre d’un contrat durée indéterminée, sa rupture ne peut se matérialiser, à défaut de rupture amiable entre les parties, que par une prise d’acte ou une démission claire et non équivoque du salarié, ou par un licenciement de l’employeur ».

En l’espèce, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny considère qu’ « en l’absence de démission claire et non équivoque [des deux salariés], ni d’une prise d’acte de la rupture de [leurs] contrat[s] de travail par ce[s] dernier[s], la société Euromedia, qui a cessé de fournir du travail au[x] demandeur[s] et de [leur] verser leur[s] salaire[s], a mis fin [aux] relation[s] de travail à compter du terme du dernier contrat à durée déterminée [de M.X et de M.Y], requalifié en contrat à durée indéterminée, sans que soit mise en œuvre la procédure légale de licenciement ».

Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny juge que les deux « ruptures des contrats de travail liant les parties seront donc qualifié[es] de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui ouvre droit au paiement d’une indemnité de requalification et des indemnités de rupture ».

4) Sur les rappels de salaires et le salaire de référence.

« Arguant du non-respect, par la société Euromedia, des minima conventionnels, [Messieurs X et Y] sollicite[nt] des rappels de salaire ainsi que la fixation de [leurs] salaire[s] de référence à la somme de :
- 1 535,06 euros pour M.X ;
- 1 237 euros pour M.Y.

Le Conseil de prud’hommes de Bobigny rappelle que les salaires et minima conventionnels applicables au litige sont fixés par l’avenant n°4 à la convention collective nationale Création et événement.

Il ressort de cet avenant que le taux horaire des électriciens et machinistes embauchés suivant contrat à durée déterminée d’usage est de 14,49 euros.

Cependant, ce taux horaire tel que mentionné par avenant joint à la convention collective est applicable, selon ses termes, « lors de la conclusion d’un CDD d’usage à temps plein d’une durée minimale supérieure à 15 semaines consécutives ». Compte tenu de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, il sera dit que ce taux n’est pas applicable au litige ».

En conséquence, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny juge que Messieurs X et Y « ser[ont] débouté[s] de [leurs] demande[s] en rappel de salaire et [leurs] salaire[s] de référence ser[ont] fixé[s] à la somme de :
- 1 399,65 euros pour M.X ;
- 1 097, 94 euros pour M.Y
 ».

5) Sur les indemnités de rupture.

5.1) Sur les conséquences financières de la requalification en CDI.

Sur l’indemnité de requalification des CDDU en CDI.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle qu’ « en application de l’article L.1245-2 du Code du travail, l’employeur est condamné au versement d’une indemnité de requalification représentant au minimum un mois de salaire.

Cette indemnité a pour objet de sanctionner l’employeur qui recourt abusivement au contrat à durée déterminée afin de pourvoir un poste permanent et destiné à compenser le préjudice subi par le salarié ».

Aussi, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny considère que « compte tenu de l’ancienneté de[s salariés] au sein de la société Euromedia, qui [ont] travaillé dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs pendant des années avec une régularité qui [leur] offrait un salaire mensuel fixe et régulier, l’indemnité de requalification à laquelle il[s] peu[vent] prétendre sera fixée à la somme de :
- 1 700 euros pour M.X ;
- 1 100 euros pour M.Y
 ».

5.2) Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés correspondants.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle qu’ « en application de l’article 4.1.3 de la convention collective applicable, la société Euromedia sera condamnée à payer à titre d’indemnité compensatrice de préavis la somme de :
- 2 799,30 euros pour M.X ;
- 2 195,88 euros pour M.Y ; outre les sommes au titre de congés payés correspondants s’élevant à :
- 279,93 euros pour M.X ;
- 219,58 euros pour M.Y
 ».

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny juge que « compte tenu de l’ancienneté de 8 ans et 11 mois pour M.X et 3 ans et 10 mois pour M.Y au sein de la société Euromedia, celle-ci sera condamnée, en application de l’article R1234-2 du Code du travail auquel se réfère la convention collective applicable, la somme de :
- 2 466,18 euros pour M.X ;
- 834,43 euros pour M.Y à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
 ».

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny considère que « compte tenu de l’ancienneté [des deux salariés] au sein de la société Euromedia, au vu du salaire moyen [de ces derniers] et alors que le[s] demandeur[s] n’avai[ent] pas revendiqué, antérieurement à la rupture de l[eur] relation de travail, la requalification de celle-ci en contrat à durée indéterminée, la société défenderesse sera condamnée à payer[aux salariés] à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de :
- 12 600 euros pour M.X ;
- 4 400 euros pour M.Y
 ».

6) Sur les dommages et intérêts pour perte de chance d’avoir bénéficié d’un transfert de contrat de travail.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny affirme qu’ « il est constant que le 20 mai 2017, les sociétés Euromedia et Amp Visual Tv ont conclu un accord de reprise des activités plateaux, incluant 97 salariés permanents.

Les contrats à durée déterminée d’usage conclus avec [les deux salariés], dont le dernier avait pour terme le 12 mai 2017 pour M.X et le 19 mai 2017 pour M.Y, ont exclu ce[s] dernier[s] du bénéfice du transfert de [leurs] contrat[s] de travail, et ce [s] dernier[s] apparai[ssent] alors bien fondé à solliciter des dommages et intérêts pour perte de chance d’avoir vu [leurs] contrat[s] transféré[s] ».

Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny juge que « compte tenu de l’ancienneté d[es] demandeur[s] et au vu de [leurs] salaire[s] de référence, la société Euromedia sera condamnée à [leur] payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de :
-  1 500 euros pour M.X ;
-  1 100 euros pour M.Y
 ».

7) Sur les demandes accessoires.

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny « enjoint la société Euromedia de remettre [aux salariés] des documents sociaux conformes au présent jugement dans un délai d’un mois suivant la notification du présent jugement, sans qu’il ne soit justifié d’assortir cette injonction d’une astreinte.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil, les créances salariales seront assorties d’intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2017, date de réception, par la société Euromedia, de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de céans ».

Le Conseil de Prud’hommes de Bobigny rappelle également que « lorsque le licenciement est intervenu pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, l’article L1235-4 fait obligation au juge d’ordonner, même d’office, le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômages versées au[x] salarié[s] licencié[s], du jour de [leur] licenciement au jour du jugement prononcé ».

Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Bobigny « ordonne à la société Euromedia de rembourser aux organismes concernés le montant des indemnités de chômages versées [aux deux salariés] dans la limite de six mois ».

Enfin, il condamne la société Euromedia « à payer à M. X et M.Y la somme de 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre le dépens ».

Sources :

Conseil de Prud’hommes de Bobigny, 15 juin 2020, n° F17/02752.
Conseil de Prud’hommes de Bobigny, 15 juin 2020, n° F17/02753.

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Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum