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La responsabilité de l’Exécutif sous la Vème République. Par Antoine Lunven, Etudiant.
Parution : vendredi 6 novembre 2020
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A l’heure de la crise de la Covid-19, des actions en responsabilité sont engagées contre des (anciens) membres du Gouvernement et soulèvent la question de la responsabilité des ministres sous la Vème République. Mais plus généralement, ces collaborateurs tournent autour véritablement d’une pièce maîtresse dans ce régime parlementaire à tendance présidentialiste, le Président de la République. Celui-ci décide véritablement des politiques à mener et se pose, donc, la question de l’engagement sa responsabilité.

Olivier Beaud ainsi que Jean-Michel Blanquer, dans l’ouvrage, La responsabilité des gouvernants, expriment l’idée selon laquelle « la responsabilité est le passif qui vient équilibrer l’actif du pouvoir ». Cette dualité montre en effet que les actions effectuées par les gouvernants, notamment les membres de l’exécutif sont répréhensibles, et par conséquent font offices de contre poids face à de possibles dérives qui découleraient d’une impunité fonctionnelle.

Par conséquent, il serait pertinent de s’interroger (de savoir) si sous la Vème République, les membres de l’exécutif (les gouvernants) doivent-être considérés comme des justiciables de droit commun ?

En premier lieu, le justiciable de droit commun peut être défini comme étant « l’individu en tant qu’il peut être entendu ou appelé en justice pour y être jugé ; en tant qu’il peut obtenir justice et être soumis à la justice. »

Si nous décortiquons cette définition : pour être un justiciable de droit commun, il faut être jugé devant une juridiction (de droit commun) et cela à n’importe quel moment. Autrement formulé, il faut correspondre à des critères de juridictions, de temps, mais aussi de compétences ou de domaines. Un justiciable de droit commun voit sa responsabilité civile et pénale engagée, sans restriction. Il comparait devant les juridictions de droit commun et non devant une juridiction d’exception.
Le justiciable n’est pas seulement celui qui « subit une accusation ou un jugement », il peut aussi mener des recours. Cela va, en effet, dans les deux sens. Il peut être entendu à tout moment, finalement. De plus, la Vème République est un régime parlementaire "renouvelé", institué par la Constitution du 4 octobre 1958, en réponse aux instabilités des républiques précédentes, est héritière des conceptions du statut pénal (ou civil) des gouvernants sous les autres régimes. Cette Constitution, sexagénaire en cette années 2018, n’a cessé d’évoluer. Cependant, malgré ces réformes, elle connait aujourd’hui, des critiques récurrentes, notamment sur le statut du Président de la République. La vision de Charles de Gaulle a évolué par les conjectures politiques qui ont frappé cette Vème République. Les membres de l’exécutif qui sont au départ des justiciables de droit commun voient leur responsabilité modifiée lorsqu’ils deviennent des gouvernants. En ce qui concerne les membres de l’exécutif, il faut comprendre l’exécutif en tant que le Président de la République d’une part, et par le Gouvernement en ce qu’il est formé de ministres, d’autre part. Autrement formulé, l’exécutif en tant qu’organe bicéphale. Il s’agit de savoir si les membres de l’exécutif sont des justiciables de droit commun.

Dans le cadre de cette analyse, nous allons évoquer uniquement la responsabilité pénale, en éliminant l’étude de la responsabilité politique des gouvernants. En effet, les justiciables de droit commun n’ont pas de responsabilité politique car ils n’ont, tout simplement, pas de mandat politique. Il n’y a, par ailleurs, que peu d’intérêts de se focaliser sur la responsabilité civile des membres de l’exécutif lors de cette étude (même si elle pourra être évoquée ponctuellement pour faire une analogie avec la responsabilité pénale).

Ce sujet présente de nombreux intérêts historiques, de droit comparé, mais également des intérêts d’actualité qui interviennent dans le débat et la vie politique. En termes de droit comparés, dans le cadre de la procédure d’empeachement aux Etats-Unis, il s’agit d’une procédure de destitution du Président dont s’est inspiré la France pour sa révision de 2007. La chambre basse vote à la majorité simple le déclenchement de cette procédure, le sénat va concourir au procès, après enquête. Ce procès politique est suivi d’un vote. La majorité qualifiée des 2/3 est requise pour destituer le Président. Par ailleurs, l’article 56-3 de la Constitution Espagnole de de 1978 dispose que « la personne du Roi est inviolable et n’est pas soumise à responsabilité » pour les actes contresignés. Cette immunité royale trouve ses sources dans les Constitutions du XIXème siècles. Cependant, le Roi n’est pas non plus à l’écart de toute justice, cela n’est valable selon les constitutionnalistes que pour les actes contresignés ou ceux qui relèvent de sa fonction. Les actes, actions commis hors de sa posture royale peuvent être constitué en termes de délit pénal. Cet intérêt historique recoupe l’intérêt historique, car en France, un adage énonçait que « le roi ne pouvait mal faire », ainsi, il était irresponsable totalement.
La Constitution grecque fait référence elle aussi à la trahison, mais contrairement en France, une loi est venue préciser cette expression. En effet, la loi n°265 du 17 février 1976 intitulée « De la responsabilité du Président de la République ». La haute trahison se traduirait par un abus de ses pouvoirs constitutionnels, par la volonté de changer le régime politique du pays, par la force notamment. De plus, la haute trahison se traduit par « l’accomplissement d’un acte contraire (…) à l’une des dispositions de la Constitution ayant pour conséquence objective une grave perturbation du fonctionnement du régime politique ».
Pour les ministres, Benjamin Constant estimait « Les ministres sont souvent dénoncés, accusés quelques fois, condamnés rarement, punis jamais ». La mise en responsabilité en jeu de la responsabilité pénale des membres de l’exécutif, et plus particulièrement des ministres est courante, de par les nombreux scandales qui frappent cette République, cette vie politique. Ces scandales font même changer les procédures de jugement, comme ce fut le cas pour l’affaire des poches de sang contaminé sous Fabius. Cependant, les condamnations sont rares, et les peines légères. Au cours des dernières années, a émergé une pratique selon laquelle un ministre qui serait mis en examen devrait démissionner. Cette règle n’est pas écrite dans la Constitution, pourtant dans les faits, elle semble s’imposer de plus en plus comme étant obligatoire pour une cohérence et une meilleure image du Gouvernement. De plus cette pratique tend à montrer la responsabilité des ministres en tant qu’un passif dont ils ne peuvent pas se priver. Le premier ministre actuel, Edouard Philipe, a rappelé le devoir d’exemplarité qui incombe aux ministres, ce qui ne doit pas les différencier des autres justiciables. Cette pratique aurait été influencée par une tradition britannique.

Pour répondre au problème posé, les membres de l’exécutif ne sont pas assimilables à des justiciables de droit commun, cependant le statut du Président de la République diffère de celui du ministre. Le Président de la République est semblablement plus protégé que les ministres qui l’entourent, en ce qu’il jouit d’une large immunité présidentielle, durant son mandat et après son mandat, qui peut être écartée pour des cas exceptionnels. Quant aux ministres, leur responsabilité pénale peut être engagée même dans l’exercice de leurs fonctions selon une procédure spéciale, avec des filtrages, qui n’est pas comparable à la procédure des justiciables de droit commun mais qui tente de s’en rapprocher.

Il serait adéquat, d’une part, d’analyser le Président de la République comme un justiciable hors du commun (I). D’autre part, il serait intéressant de se focaliser sur le Gouvernement, en particulier les ministres qui peuvent-être assimilés à des justiciables semi-privilégiés (II).

I) Le Président de la République, un justiciable hors du commun.

Le Président de la République ne peut pas être considéré comme un citoyen, un justiciable de droit commun de par ses fonctions importantes. En effet, pour cela il est protégé par un arsenal constitutionnel soit perpétuellement soit temporairement. Cependant, en vue de la gravité de ses fonctions et des dérives qui peuvent s’en suivre, sa responsabilité pénale est de plus en plus engagée bien que celle-ci soit accompagnée de restrictions, et de privilèges. Il serait convenable dans une première mesure d’analyser, l’immunité présidentielle étendue (A). Dans une seconde mesure, il serait adéquat d’étudier l’élargissement progressif de la responsabilité du chef d’Etat, accompagné de privilèges (B).

A. Une immunité présidentielle étendue.

Le Président ne peut pas être considéré un citoyen ordinaire, il est, certes, issu du peuple, mais il est titulaire de pouvoirs très importants. En effet, en tant que le chef de l’Etat, ce dernier dispose de prérogatives exceptionnelles. Il est le garant e la continuité de l’Etat en vertu de l’article 5 de la Constitution. Le président est au-dessus des contingences politiques, pour se forger comme un arbitre national qui règle les conflits et différends. Il est le garant de la constitution, il doit être protégé de toute tentative de déstabilisation pour qu’il puisse respecter, mettre en œuvre la stabilité de l’Etat. Il dispose de pouvoirs graves comme l’article 16 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs temporairement, mais aussi du droit de dissolution de l’article 12 de la Constitution. Le président de la République doit être protégé dans ses choix.

En effet, l’immunité présidentielle a vocation a protégé le titulaire de cette fonction durant la durée de ce mandat afin qu’il ne puisse pas être remis en question. Le juge Thierry Jean-Pierre a exprimé l’idée selon laquelle, « Si le Président commence à répondre aux convocations, il passera plus de temps dans le cabinet des juges qu’au Conseil des ministres. » En effet, si la responsabilité pénale (ou civile) du Président serait ouverte (totalement), cela pourrait conduire à des dérives, et à une obstruction conséquente. Ainsi, on protège non pas la personne mais la fonction présidentielle. Il faut que le Président de la République assure ses devoirs et ses pouvoirs, ainsi il ne peut être « bloqué » judiciairement. Il doit assurer la continuité de l’Etat, la voie lui est dégagée.

Ensuite, Georges Vedel « explique qu’il faut “protéger la fonction” dans un système constitutionnel où le Président de la République joue un rôle essentiel, « toute appréciation de ses actes doit être politique ».

Par ailleurs, Jean Gicquel définit la haute trahison, contenue initialement à l’article 68 de la Constitution comme « un manquement grave du chef de l’Etat aux devoirs de sa charge, tels qu’ils sont énoncés à l’article 5 de la Constitution, ou, si l’on veut, en cas de violation manifeste de la Constitution ». Cette responsabilité pénale est en fait une irresponsabilité puisqu’il n’y avait que cette exception (jusqu’en 1999). Le Président est ainsi protégé.

L’article 67, qui est issu de la révision de 2007, énonce que « le président de la république n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ».

Cette première partie de la disposition constitutionnelle est fondamentale en ce qu’elle est à l’origine d’une immunité plénière. Ainsi, « l’irresponsabilité du chef de l’Etat est absolue, perpétuelle et personnelle ». Cette dernière est totale et permanente pour les actes commis dans ses fonctions. Certes, cet article prévoit de rares exceptions qui n’ont jamais fait jurisprudence. Cette révision de 2007 consacre véritablement une irresponsabilité profonde du chef de l’Etat

Originellement, l’arrêt Breisacher, rendu par la Cour de cassation en Assemblée plénière, le 10 octobre 2001, a consacré cette irresponsabilité temporaire, dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris où était impliqué notamment le Président de la République, Jacques Chirac. Cet arrêt confirme en ce point la décision du conseil constitutionnelle de 1999 qui fut primordiale en la matière. Cependant, il y a eu des contradictions entre ces deux décisions séparées de deux ans.

L’article 67 alinéa 2 dispose que « il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. »

Le Président de la République est immunisé de toutes atteintes pour les actes commis hors de ses fonctions pendant la durée de son mandat. En effet, nous verrons qu’il pourra rendre des comptes et faire l’objet d’une procédure pour les actes commis hors de ses fonctions, dans notre seconde partie. Cette immunité semble essentielle afin de protéger la garantie de ses fonctions qui lui sont conférées. Il ne peut être soumis à aucune juridiction, c’est une protection certes temporaire, mais d’aucun justiciable de droit commun ne pourrait en bénéficier. Ainsi, le Président est « sanctuarisé ». En cela, Badinter utilise l’expression selon laquelle le Président serait « sous globe ». Finalement, après cette analyse de cette disposition, on en conclue à l’inviolabilité temporaire du Président de la République. Par exemple, un juge d’instruction n’a pas pu perquisitionner l’Elysée, dans le cadre de l‘affaire du juge Borrel, le 2 mai 2007, sous la présidence de Jacques Chirac. (En somme, l’immunité est globale et non pas seulement pénale, en ce qu’elle concerne toutes « instances et procédures »).

Il bénéficie d’une immunité juridictionnelle provisoire pour les actes commis hors de ses fonctions, et une immunité totale, absolue et perpétuelle pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions (sauf si cela relève de crimes graves ou de manquements).

Ainsi, selon la doctrine de l’Elysée pourrait être une zone de « non-droit » ce qui étend l’inviolabilité du Président de la République « à sa résidence temporaire » qui est plus bien qu’une simple résidence en réalité.

L’impunité qui entoure le Président de la République avait été étendue à ses collaborateurs, dans l’affaire des sondages de l’Elysée, par la décision de la cour d’appel de Paris, le 7 novembre 2011. Cependant la cour de cassation n’a pas admis cette pratique, en ce qu’elle a rendu un arrêt le 19 décembre 2012, en démontrant « qu’aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit l’immunité ou l’irresponsabilité des membres du cabinet du Président de la République ».

Dans une première partie, nous avons étudié l’immunité présidentielle qui est très étendue en raison des fonctions et des pouvoirs qui sont attribuées à cet acteur de la continuité de l’Etat. Il serait adéquat, dans une seconde partie, de voir l’élargissement de la responsabilité pénale de l’Etat, qui serait une exception à son irresponsabilité.

B. Un élargissement de la responsabilité pénale, accompagné de privilèges.

Le chef de l’Etat jouit d’une très grande immunité, symbolisée par un globe. Cependant, selon les conjectures politiques actuelles, il apparait que le Président ne peut rester impuni dans l’exercice de ses fonctions. En effet, il y aura des cas spécifiques où sa responsabilité pénale pourra être engagée. Sa responsabilité ou l’exception à son irresponsabilité est progressivement mise en exergue.

La responsabilité du chef de l’Etat peut être engagée au terme de l’article 53-2 de la Constitution qui résulte d’une révision conséquente, en 1999. En effet, le traité de Rome est adopté le 18 juillet 1998 qui prévoit la création d’une juridiction d’exception compétente pour des crimes graves, qui n’est d’autre que la Cour Pénale Internationale. Cette juridiction siège de manière permanente, en vertu de l’article premier du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. L’article 5 de ce même statut énumère les cas crimes dont elle est compétente, qui sont au nombre de quatre, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le crime d’agression. Les domaines dans lesquels le Président de la République est responsable sont étendus et ne relèvent plus seulement de la haute trahison en 1999, ou de manquements graves à partir de 2007. C’est une extension du domaine d’application, d’engagement de la responsabilité du chef de l’Etat. Le Prince n’est plus si intouchable bien que cette révision constitutionnelle n’a pas eu à faie l’objet de jurisprudence vis-à-vis des chefs d’Etat français. En effet, le fait que le France ait livré des armes au Gouvernement rwandais (bien que ce soit contesté après le 8 avril 1994 avec l’embargo de l’ONU) et son inaction lors du Génocide Tutsi en 1994, ces évènements ne cessent d’émettre le débat sur une possible responsabilité pénale.

L’article 27 du Statut de Rome nous éclaire quant à la responsabilité du Chef de l’état. En son 1, il est disposé que « le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité́ officielle. » En effet, il apparait clairement que l’immunité du Chef de l’Etat ne semble pas permise dans cette disposition. En effet, le Président est responsable pénalement, bien qu’il bénéficie en droit interne d’une immunité, comme le précise en son 2, « les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ».

Le Président n’est pas et ne peut pas être considéré comme un justiciable de droit commun puisqu’il bénéficie d’un privilège de juridiction qui est à l’occurrence dans ce cas, la cour pénale internationale. Sa qualité de Chef d’état ne justifie pas son irresponsabilité pénale, il est responsable tout comme un justiciable de droit commun des actes les plus graves. Cela a pour but d’éviter toute dérive qui découlerait de ses pouvoirs étendus.

Le Président est le chef des Armées en vertu de l’article 15 de la Constitution, il est doté d’un pouvoir de force et de contrainte conséquent. Il parait d’une part logique que le Président doit exercer ce pouvoir sans être empêché judiciairement, mais ce pouvoir ne doit pas être absolu, dans la mesure selon laquelle elle pourrait conduire à des dérives, sanctionnées par la Cour Pénale Internationale.

De plus, les prescriptions ne continuent pas sous le mandat du Président de la République puisqu’il ne peut faire l’objet d’une quelconque procédure en ce sens. Ainsi, elles sont stoppées, le temps de son mandat. Dès la fin de son mandat (plus un mois), ces prescriptions continueront alors comme tout justiciable de droit commun. L’article 67 alinéa 2 consacre ce "globe temporaire" qui fige « le temps » autour du Président de la République en disposant que « tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. » L’enjeu d’un second mandat pour repousser cette échéance est confirmée par la volonté de Jacques Chirac de se représenter pour un nouveau mandat en 2002.

Le statut du Président de la République fait toujours l’objet d’un débat récurrent en ce qui concerne l’engagement de sa responsabilité pénale (mais aussi civile) pour les actes détachables de ses fonctions.

La Cour européenne des droits de l’Homme, dans un arrêt du 2 décembre 2014, Urechean et Pavlicenco c/ République de Moldova, admet qu’une immunité Présidentielle pouvait céder face à des poursuites en diffamation.

En tant qu’individu, le président de la république pouvait être poursuivi devant une juridiction de droit commun pour les actes détachables de sa fonction. Il était, constitutionnellement, un justiciable de droit commun pour ces actes. Or dans les faits ce ne fut pas le cas. En effet, le conseil constitutionnel en 1999 et la cour de cassation en 2001 ont tous deux estimé que le Président ne pouvait pas être poursuivi pour ces faits durant son mandat (devant une juridiction de droit commun).

Il y a un déséquilibre si on se réfère à la définition de justiciable. En effet, outre le fait que le justiciable est soumis à la justice, il peut, dans l’autre sens, obtenir justice. Pour le Président de la République, ceci est problématique, puisqu’il ne peut plus être entendu par la justice depuis la jurisprudence étoffée en 1999 et 2001, il ne peut plus être soumis à la justice, mais il pourrait demander justice.

Jacques Chirac a notamment refusé de témoigner lors de l’affaire Clearstream en 2007. Le juge s’est déclaré incompétent. Ainsi, il ne peut être considéré comme un juge de droit commun, puisqu’il bénéficie d’une immunité juridictionnelle provisoire également en la matière. L’exemple ici relève d’une situation en matière civile, mais par analogie cela serait valable en matière pénale, bien que cela soit plus problématique, au vu des enjeux.

Le justiciable de droit commun peut aussi obtenir une justice, comme l’a fait plusieurs fois Nicolas Sarkozy au cours de son mandat, notamment le 5 février 2008 devant le TGI de Paris, contre Ryanair. Cependant, le Président François Hollande, durant son quinquennat, a refusé d’introduire une procédure en justice contre un magazine pour qu’il y ait une équité, et que le Président ne soit pas sur une position de déséquilibre qui irait en son sens.

Dans un premier temps, nous avions décortiqué la responsabilité (ou irresponsabilité) pénale du Président de la République. Il serait convenable, dans un second temps, d’analyser la responsabilité pénale des ministres en tant que justiciables semi-privilégiés.

II) Les ministres, des justiciables semi-privilégiés.

Les Ministres forment le Gouvernement, le second organe de l’exécutif. Ces derniers ne sont pas autant protégés que le Président de la République, qui est un prince intouchable, mais ils bénéficient néanmoins d’un certain nombre des privilèges conséquents qui les différencient de justiciables de droit commun. Il serait adéquat de voir, premièrement que, la responsabilité pénale (des ministres) est plénière (A). Cependant, il conviendra de nuancer en ajoutant que les ministres disposent de privilèges juridictionnels, procéduraux (B).

A. Une responsabilité pénale plénière.

Le Président est de plus en plus actif dans la vie politique, mais il reste irresponsable, cela n’est pas cohérent. Ainsi bien que sa responsabilité pénale ait été élargie, elle reste néanmoins très exceptionnelle. Ainsi, il faut qu’un organe soit responsable à sa place, le Gouvernement. Comme Le président est irresponsable, ce sont les ministres qui recouvrent cette irresponsabilité en étant responsables à sa place. Gicquel parle ainsi d’un « transfert » de responsabilité.
Ce transfert s’effectue notamment par le contreseing ministériel (article 19 de la constitution). Le gouvernement assume toutes les « conséquences » de l’irresponsabilité du Président de la République (au plan politique ainsi qu’au plan pénal).

La responsabilité pénale des ministres a toujours été en vigueur sous la Vème République, mais les modalités pour l’engager ont évolué. En effet, la version initiale de l’article 68, en son alinéa 2, de la Constitution disposait que « Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. La procédure définie ci-dessus leur est applicable ainsi qu’à leurs complices dans le cas de complot contre la sûreté de l’Etat. ». L’article 68-1 a enlevé la seconde disposition que contenait l’article 68, cité précédemment. La grande innovation de la révision constitutionnelle portant sur le statut pénal des membres de l’exécutif est l’article 68-3, « les dispositions du présent titre sont applicables aux faits commis avant son entrée en vigueur ».

Daniel Colliard, au cours du compte rendu de 3ème séance du 23 juin 1993, a estimé que « les ministres ne doivent bénéficier d’aucune immunité pour échapper à la justice. C’est pourquoi nous continuerons à demander qu’ils soient des justiciables comme les autres ». Cette idée ne fut pas retenue. Cependant, elle ressurgit souvent dans le débat politique. En effet, François Hollande, en 2013, a élaboré un projet de loi selon lequel, les ministres seraient soumis aux juridictions de droit commun, y compris pour les actes qui relèvent de leurs fonctions ministérielles (après un filtrage auprès d’une commission afin d’éviter des procédures abusives). Ce projet, s’il avait été adopté, aurait consacré l’idée selon laquelle, les ministres seraient des justiciables de droit commun. Cependant, le projet a été abandonné, sans même faire l’objet d’un vote.

En ce qui concerne les actes commis hors de leurs fonctions, les ministres ne bénéficient pas de protection ou d’immunité particulière. En effet, ils sont considérés comme des justiciables de droit commun à part entière, en ce qu’ils ne comparaissent pas devant une juridiction d’exception mais devant une juridiction de droit commun, à tout moment, ils peuvent être entendus. Ainsi, contrairement au Président, leur responsabilité pénale peut être engagée dans tous les cas, que ce soit dans ou hors leurs fonctions, mais les modalités changent.

Finalement, les ministres peuvent être jugés devant la Cour Pénale Internationale, en vertu de l’article 27 du statut de Rome (portant sur la Cour Pénale Internationale) depuis la révision constitutionnelle de 1999. Leur responsabilité pénale est engagée, en dépit de leurs fonctions ministérielles, au même titre que le Président de la République. Cependant, il n’y a pas non plus eu de précédents en France (alors qu’il y aurait pu avoir des inculpations, notamment lors du scandale du Rainbow Warrior qui provoqua la mort d’un photographe.

Dans une première mesure, nous nous étions focalisés sur la responsabilité totale des ministres que ce soit dans leurs fonctions ou hors de ces dernières. Il serait pertinent, finalement, de voir que bien qu’ils soient assimilables à des justiciables de droit commun sur cet aspect, ils bénéficient d’un certain nombre de privilèges.

B. Des privilèges juridictionnels, procéduraux.

La doctrine s’est longtemps divisée, et se divise toujours, sur le fait de savoir si les ministres doivent être protégés dans l’exercice de leurs fonctions en ce qu’ils doivent comparaitre devant une juridiction d’exception prévue à cet effet, ou devant une juridiction de droit commun. C’est un débat ancien entre deux « écoles » ayant des opinions divergentes. Finalement, les ministres ont un statut intermédiaire entre le justiciable de droit commun et celui du Président de la République.

La juridiction, elle-même, a mué. Au départ, les ministres étaient jugés devant la Haute Cour de Justice de 1958 à 1993. Cette dernière ne remplissait pas ses fonctions, puisqu’il n’y pas eu de jurisprudence en la matière. L’une des principales causes de ces dysfonctionnements est la composition de cette juridiction, qui est plus de nature politique que juridique. Or il ne fallait pas oublier le principe de séparation de pouvoir. Dans cette juridiction, il y avait un empiètement du législatif sur le judiciaire, puisque des pairs rendaient la justice, alors que ce n’est pas leur rôle. Ainsi, les ministres étaient irresponsables dans les faits. Désormais, Ils sont jugés devant la cour de justice de la république depuis 1993. Cette dernière a véritablement été créée pour juger l’affaire des poches de sang contaminé dans laquelle plusieurs ministres étaient impliqués dont Laurent Fabius. Un titre a été créé, lors de cette révision de 1993, le titre X, intitulé, « De la responsabilité pénale des ministres ».

La composition de la juridiction d’exception que connaisse les ministres pour les actes commis dans leurs fonctions a changé. Au départ, la Haute Cour de Justice était une juridiction composée uniquement de parlementaires issus de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Or cette composition juridictionnelle n’était pas comparable à celle des justiciables de droit commun. Ainsi, la composition des membres composant la Cour de Justice diffère de la Haute cour de justice. En effet, cette « nouvelle » juridiction est composée, selon l’article 68-2 alinéa 1, de quinze juges, de douze parlementaires (élus par leurs pairs), de six députés et six sénateurs, ainsi que de trois juges de la Cour de Cassation (dont l’un d’eux sera Président). C’est une composition mixte, qui mélange les parlementaires et de hauts magistrats. En effet, cette composition tente de rapprocher les ministres à des justiciables de droit commun, ce qui est fait partiellement. Cette juridiction est ainsi moins politisée. Lors des débats parlementaires, André Fanton estime qu’elle « n’a pas pour but de protéger les hommes politiques, mais au contraire, de protéger la justice de la politique ». Ainsi, cette Cour de Justice de la République tend à respecter le principe de séparation des pouvoirs, puisqu’elle incorpore de hauts magistrats dans sa composition.

Cécile Guérin-Bargues, dans son ouvrage « Juger les politiques ? » La Cour de Justice de la République, considère que cette juridiction, la Cour de Justice de la République « s’efforce de concilier les aspirations à la soumission de tous au droit commun et la volonté de prendre en compte le caractère particulier des fonctions ministérielles ». Cette analyse montre que les ministres ne sont pas totalement des justiciables de droit commun puisqu’ils bénéficient de privilèges, justifiés par leurs fonctions ministérielles (dans le cadre des actes commis dans leurs fonctions). Ils doivent être considérés comme des justiciables semi-privilégiés. Il y ressort une idée de modération, en prenant en compte l’idée d’égalité devant la justice mais aussi celle de la gravité des fonctions ministérielles.

En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité des ministres :

De 1958 à 1993, les ministres voyaient leur responsabilité pénale engagée uniquement par le Parlement, et non par n’importe quel citoyen, justiciable (pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions). C’est un privilège qui se révèle être une certaine immunité pour protéger l’action ministérielle de toute remise en cause. En effet, tout le monde ne pouvait pas engager la responsabilité pénale des ministres pour leurs actes commis dans leurs fonctions, mais seuls… le pouvaient.

Après la révision constitutionnelle de 1993, a été introduit une disposition essentielle pour engager la responsabilité des ministres. En effet l’article 68-2 alinéa 2 dispose « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes. » Cette révision est fondamentale puisque chacun pourra, selon des conditions, engager la responsabilité pénale des ministres pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui n’était pas possible avant, et ce qui n’est pas encore possible pour le Président de la République. Ainsi, ils ne bénéficient plus d’une immunité quant à l’engagement de leur responsabilité pénale, au même titre que tout justiciable.

La procédure de filtrage des requêtes, qui a pour but d’engager la responsabilité (pénale) des ministres, n’est pas non plus celle que connaisse les justiciables de droit commun. En effet, est mise en place une commission des requêtes qui pourra ou non soumettre cette requête au procureur général près de la cour de cassation ou la classer.
Toutefois, si elle n’est pas comparable à celle des justiciables de droit commun, elle tente de s’en rapprocher. En effet, « la mission dévolue à la commission dévolue à la commission des requêtes s’apparente à celle exercée par le parquet », selon les débats parlementaires. Ainsi les ministres bénéficient d’une structure judiciaire parallèle, qui tend de se rapprocher au fur et à mesure des révisions constitutionnelles, de celle que connaisse les justiciables de droit commun. A titre indicatif, cette commission est composée, selon l’article 12 de la loi organique n°93-1252 du 23 novembre 1993, de hauts magistrats élus par leurs pairs. En somme, on rapproche la procédure du droit commun en la réajustant avec des filtrages. Il s’agit de rapprocher le droit commun du droit d’exception, comme l’affirme Edouard Balladur, sans toutefois, le calquer entièrement. Par ailleurs, Pierre Mauroy estime que « la procédure d’instruction serait ainsi proche du droit commun » tout en laissant une commission des lois.

La Cour de Justice de la République (CJR) est vivement critiquée par le Président de la République actuel, Emmanuel Macron, en ce qu’il a exprimé sa volonté de la supprimer, à travers son discours tenu devant le Congrès à Versailles mais aussi lors de son discours concernant l’ouverture annuel de la Cour de Cassation. De plus, la « CJR » est critiquée puisqu’elle a inventé une dispense de peine pour Edmond Hervé alors que cette « peine » n’existe pas dans le Code pénal.

Antoine Lunven, étudiant en Master 1 de droit public approfondi à l'Université de Bordeaux Passionné par les droits et contentieux constitutionnels, administratifs, européens et internationaux. Mais aussi par rapport aux questions des droits de l'Homme, de l'Etat de droit et de la démocratie. Linkedin : https://www.linkedin.com/in/antoine-lunven-01/