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L’audition libre du mineur : la grande oubliée de la loi du 23 mars 2019. Par Louise’Ange Mesle, Elève-Avocate.
Parution : mardi 10 novembre 2020
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L’audition libre ne permet pas une application effective des droits de la défense du mineur. A l’inverse de la garde à vue ou de la retenue applicable au mineur, l’audition libre n’est pas filmée et l’assistance de l’avocat pourtant rendue obligatoire peut être écartée. Une réalité décevante au regard d’une décision récente du Conseil constitutionnel.

A l’origine, cet acte procédural permettant aux officiers de police judiciaire d’entendre une personne soupçonnée sans qu’elle ne fasse l’objet d’une mesure de contrainte ne bénéficiait pas d’une réelle assise législative. Permise si la personne entendue était avertie des soupçons pesant sur elle et de sa possibilité de quitter les lieux [1], l’audition libre a été consacrée au sein du Code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 [2] sans distinguer son application entre le majeur et le mineur.

De ce fait, les mineurs et les majeurs bénéficient des mêmes droits lors de l’audition libre alors même que ceux dévolus au mineur gardé à vue se sont vus renforcés [3] : droit d’être assisté d’un avocat, à l’enregistrement audio-visuel de l’interrogatoire, à un examen médical et à l’information des titulaires de l’autorité parentale. Par conséquent, si l’encadrement de cet acte procédural a été salué, il était jugé encore timide concernant le mineur délinquant.

Cette insuffisance n’a pas été résolue par la loi du 23 mars 2019 [4] puisqu’elle consacre une assistance obligatoire nuancée de l’avocat (I) et qu’elle n’a pas prévu l’enregistrement audiovisuel (II) pour l’audition libre.

I. La possibilité d’écarter l’assistance de l’avocat.

L’absence d’un véritable régime protecteur consacré par la loi du 27 mai 2014 a été vivement critiquée compte tenu de la fragilité et de l’immaturité du mineur [5].

C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, un avocat soutenant qu’une discrimination injustifiée existait entre le mineur gardé à vue qui bénéficiait de protections renforcées comme l’assistance d’un avocat et le mineur auditionné librement.

La décision du Conseil [6] du 8 février 2019 est sans équivoque : l’article 61-1 du Code de procédure pénale est inconstitutionnel :

« en ne prévoyant pas de procédures appropriées de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale, le législateur a contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ».

Si, traditionnellement, le législateur consolide les droits de la personne soupçonnée uniquement si elle fait l’objet d’une mesure de contrainte, comme pour la garde à vue, un tel raisonnement ne peut s’appliquer au mineur pour qui l’assistance d’un conseil doit intervenir dès qu’il est soupçonné d’avoir commis une infraction. Ainsi, dans la lignée de ce qu’avait décidé la jurisprudence [7], le Conseil constitutionnel estime que l’absence d’un avocat aux côtés du mineur durant l’audition libre ne permet pas de garantir l’effectivité de ses droits.

Pour remédier à cette inconstitutionnalité, la loi du 23 mars 2019 a créé l’article 3-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relatif à l’audition libre. Toutefois, celui-ci ne répond pas totalement aux exigences jurisprudentielles puisqu’il pose une nuance à cette obligation d’assistance par un avocat.

Si l’article 3-1 reprend le principe énoncé à l’article 4 de la même ordonnance [8] - l’assistance obligatoire du mineur par un avocat - il le subordonne à l’approbation du magistrat :

« Lorsqu’un mineur est entendu librement en application de l’article 61-1 du code de procédure pénale, l’officier ou l’agent de police judiciaire doit en informer par tout moyen les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel le mineur est confié.
Il en est de même lorsqu’il est procédé aux opérations prévues à l’article 61-3 du même code.
Lorsque l’enquête concerne un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement et que le mineur n’a pas sollicité l’assistance d’un avocat en application des mêmes articles 61-1 et 61-3, cette demande peut également être faite par ses représentants légaux, qui sont alors avisés de ce droit lorsqu’ils sont informés en application des deux premiers alinéas du présent article. Lorsque le mineur ou ses représentants légaux n’ont pas sollicité la désignation d’un avocat, le procureur de la République, le juge des enfants, le juge d’instruction ou l’officier ou l’agent de police judiciaire doit informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu’il en commette un d’office, sauf si le magistrat compétent estime que l’assistance d’un avocat n’apparaît pas proportionnée au regard des circonstances de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la complexité de l’affaire et des mesures susceptibles d’être adaptées en rapport avec celle-ci, étant entendu que l’intérêt supérieur de l’enfant demeure toujours une considération primordiale
 ».

L’idée étant de pouvoir écarter l’assistance de l’avocat quand le mineur est entendu comme mis en cause pour des faits peu graves, non complexes et appelants uniquement une réponse pénale mineure comme une remise aux titulaires de l’autorité parentale.

Cette exception soulève plusieurs observations :
- son existence même interpelle au regard de l’obligation d’assistance posée par le texte ;
- certains critères restent imprécis comme « la gravité de l’infraction » car même si la volonté est de viser des faits d’une faible gravité, en pratique le risque existe que la nécessité de faciliter le travail des enquêteurs permette d’écarter l’assistance de l’avocat ;
- l’absence d’obligation de motivation de l’autorité judiciaire compétente ne permet pas de contrôler l’utilisation du texte, alors même que, plusieurs critères sont explicitement énoncés appelant une motivation ;
- l’autorité judiciaire pouvant être le ministère public, cela équivaut à laisser les droits de la défense d’une personne vulnérable à l’appréciation du titulaire de l’opportunité des poursuites [9] ;
- Rappeler que l’intérêt supérieur de l’enfant doit guider la décision du magistrat est inutile ; en effet, cet intérêt posé à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant est d’effet direct [10] de sorte qu’il s’impose dans toute décision prise par un magistrat.

Ainsi, le nouvel article 3-1 ne permet pas une protection suffisante du mineur, le législateur continuant de différencier cet acte procédural, ce qui interroge tant on sait que le mineur peut « s’auto-incriminer » au cours de celui-ci.

De plus, alors même que l’enregistrement audiovisuel du mineur voit son champ d’application étendue et son régime renforcé par la loi du 23 mars 2019, l’audition libre en demeure exclue.

II. L’absence d’enregistrement audiovisuel.

Bien qu’envisagé dès 1997, c’est la loi du 15 juin 2000 [11] qui consacre l’enregistrement audiovisuel de l’audition du mineur en garde à vue. La raison de la consécration de cet outil technique paraît évidente : s’assurer que le mineur n’a subi aucune pression de la part de l’officier de police judiciaire. L’assistance de l’avocat n’étant pas obligatoire, les débats parlementaires avaient jugé ce procédé comme « un mécanisme de substitution permettant de pallier l’absence de l’avocat » [12].

Une vision devenue obsolète depuis que la loi du 23 mars 2019 étend le régime de l’enregistrement audiovisuel à la retenue malgré l’assistance obligatoire de l’avocat.

Pour autant, si ce procédé est prévu pour la garde à vue et la retenue, tel n’est pas le cas pour l’audition libre, seul acte procédural non filmé.

Une telle lacune ne permet pas la protection complète du mineur, d’autant plus que s’agissant de l’audition libre le magistrat dispose de la faculté d’écarter l’assistance de l’avocat. Ainsi, alors même qu’à l’origine l’enregistrement était censé pallier l’absence d’avocat, il est aujourd’hui prévu pour les actes pour lesquels l’assistance de l’avocat est assurée de manière absolue et non pour celui qui pourrait se voir en être privé.

Un paradoxe d’autant plus incompréhensible que le régime de l‘enregistrement s’est vu consolidé avec la loi du 23 mars 2019 : si l’enregistrement n’a pu avoir lieu, qu’il soit mentionné ou non dans le procès-verbal, et ait fait l’objet d’un avis au magistrat compétent, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations du mineur si celles-ci sont contestées. Or, puisque ce procédé n’a pas été envisagé pour l’audition libre, elle ne peut bénéficier de cette dernière disposition.

Conclusion.

Sans doute parce que cet acte procédural s’effectue sans contrainte, le législateur persiste-t-il à penser qu’une protection inférieure suffit. Cependant ce n’était pas la position de la jurisprudence [13], qui à juste titre estime que le mineur est particulièrement vulnérable. Il parait incongru de laisser un mineur seul face à des enquêteurs expérimentés [14].

Il est donc dommageable que le législateur s’obstine à ne pas protéger le mineur au sein de cet acte procédural qui peut pourtant avoir un effet décisif sur la suite de la procédure. Une prise de position réitérée dans l’ordonnance du 11 septembre 2019 [15] qui ne manquera pas de se voir sanctionnée par le Conseil constitutionnel.

Louise'Ange Mesle Elève-avocate et juriste en droit pénal au sein du Service d'aide aux victimes de Poitiers.

[1Conseil constitutionnel, 18 novembre 2001, n° 2011-191/194/195/196/197, QPC.

[2Loi n° 2014-735 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

[3Article 4 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

[4Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

[5A. Taleb-Karlsson, « David contre Goliath…une décision majeure pour l’audition libre des mineurs », A.J. Pénal, 2019, p. 278.

[6Conseil constitutionnel, 8 février 2019, n° 2018-762, QPC.

[7Crim. 25 octobre 2000, n° 00-84.726.

[8Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

[9C. KUrek, « Inconstitutionnalité du régime de l’audition libre des mineurs : quand le législateur joue au mauvais élève », Constitutions, 2019, p.235.

[10Civ. 1. 18 mai 2005, n° 02-20613.

[11Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

[12S. Sontag Koening, « Intervention de l’avocat et droits de la défense en garde à vue : quel avenir pour les enregistrements audiovisuels ? », A.J. Pénal, 2012, p.527.

[13Par exemple, Crim. 25 octobre 2000, n°00-84.726 et Crim. 6 novembre 2013, n° 13-84.320.

[14L. Belfanti, « Présomption de contrainte à l’égard du mineur soupçonné conduit au commissariat par les forces de l’ordre », A.J. Pénal, 2014, p. 89.

[15Ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du Code de la justice pénale des mineurs.