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Comment réduire les risques psychosociaux des étudiants en droit ? Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : mardi 10 novembre 2020
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Vous n’avez pas le monopole des RPS ! pourrait lancer un étudiant en droit à un étudiant en médecine. La publication de mon Guide sur les Risques Psychosociaux des Avocats entraîne des réactions des étudiants français en droit. Dans l’antichambre du monde du droit, extrêmement divers et de plus en plus sélectif, un dénominateur commun pour tous, l’absence de prévention et de prise en charge des RPS lors du cursus juridique.
Quelques pistes parmi bien d’autres dans cet article !

ll était sympa, fort en droit administratif, il est même devenu haut fonctionnaire, mais il était malheureusement assidu. Quand vous l’aviez à côté de vous, vous le détestiez. A 21 ans, c’était un fumeur invétéré de pipe. Il tirait sur l’objet qu’il raclait avec une pièce de 5 francs comme si c’était son dernier souffle. Pendant que d’autres accros au tabac adoptaient des postures d’Alain Delon ou de Catherine Deneuve, les yeux mi-clos.

On part de loin, d’un temps où la santé des étudiants en droit était une chose intime, un périmètre inviolable où on se moquait totalement de leurs addictions et de leur bien-être en général.

Beaucoup ont connu cette époque où la fumée volait comme les rêves dans les amphis aux airs d’abris anti-nucléaires ou de blockhaus du mur de l’Atlantique.

Les sièges crasseux en plastique orange, les tablettes pentues comme des rues de San Francisco, l’éclairage de ruelle, la température tombale, la sonorisation de kermesse, étaient aux antipodes du confort le plus sommaire. Et pourtant, des générations se sont coulées dans ces décors et ont réussi.

Chaque époque se caractérise par sa sensibilisation aux défis posés par la santé et sa capacité de résilience.

Toutefois, la Covid-19, terrible adversaire pour le moment invaincu, achève un peu plus les étudiants déjà mal en point.

Le cumul des dysfonctionnements habituels de l’université, exacerbés par les confinements, et des problèmes personnels, mettent nombre d’étudiants, notamment étrangers, au bord du gouffre. Certains n’ont même plus de quoi se nourrir.

L’université est un baril de poudre qu’une étincelle peut enflammer. Un véritable volcan dont l’éruption est retardée par magie. On n’ose se demander comment le rafiot affronte les tempêtes.

Dans chaque pays, les étudiants en droit présentent certaines caractéristiques. Le rapport d’enquête de l’American Bar Association, datant de juillet 2020, précise que les étudiants américains en droit, ont un endettement moyen de 165 000 dollars. Un étudiant sur 4 est même endetté à hauteur de 200 000 dollars. Nos étudiants français en droit ne sont pas dans cette situation mais affrontent d’autres catastrophes.

Covid oblige, le digital learning, dans l’enseignement du droit, s’est développé. Mais il est considéré par beaucoup seulement comme un outil. Il faut lire l’article du professeur Mustapha Mekki sur le sujet, éclairant sur l’usage du numérique et la nécessité de garder le lien social.

Dans nombre d’universités anglo-saxonnes, les étudiants se sont opposés à cet enseignement à distance, demandant même en justice le remboursement des frais de scolarité.

La Covid-19 bouleverse toute la vie étudiante.

Nous disposons ainsi d’une étude, menée, notamment, par le Centre National de Ressources et de Résilience. Le thème est la santé mentale de la population d’étudiants inscrits à l’université en France, pour la prévalence du trouble de stress post-traumatique au décours de la quarantaine et de l’anxiété, la dépression, le stress perçu, l’insomnie, les idées suicidaires au cours et au décours de la quarantaine [1].
L’étude concerne 69 054 étudiants français. Les résultats ont été publiés le 23 octobre 2020 dans un article de Marielle Wathelet, Stéphane Duhem, Guillaume Vaiva, dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

Les résultats ne surprennent guère, beaucoup d’étudiants souffrent énormément des pires risques psychosociaux.

La santé des étudiants en droit, en tant que tels, n’est pas un sujet en France. Les risques psychosociaux encore moins. Nous sommes encore à l’époque de la marine à voile où le scorbut décimait. Tant à l’université que dans les écoles d’avocats, ou autres centres de formation, contrairement aux pays anglo saxons, où articles, études, sondages sont effectués. Parmi beaucoup d’actions à relever, le programme Pamba au Canada et les actions de l’American Bar Association, expliqués dans mon guide.

Pourtant, les étudiants en droit, pour une partie, vont embrasser des carrières dans la Police, dans la Gendarmerie, dans les Douanes, dans la Magistrature, au Barreau, ou exercer d’autres professions libérales, avec des cadences infernales et des ambiances destructrices. Secteurs où RPS sont légion et tuent facilement. Préparer les étudiants avec des modules, des cours, afin de sensibiliser aux risques, ne serait pas de trop.

Certes, les expositions aux situations traumatiques sont différentes et plus tardives que pour les étudiants en médecine. Mais leur intensité et leur fréquence sont certaines et font les pires dégâts.

Serait-il possible de s’inspirer des études concernant les étudiants en médecine afin de réfléchir sur les difficultés des étudiants en droit ?

En avril 2018, par exemple, le rapport du docteur Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en médecine, avait mis en exergue la nécessité d’une excellente prévention.

L’étude sur les étudiants en médecine français menée par G. Fond et A. Bourbon, publiée en février 2019, montre que les risques de burnout, d’anxiété et de dépression doivent être prévenus dès le début des études de médecine. Environ 12 % des UPMS (undergraduate and postgraduate medical students) sont suivis par un psychiatre ou un psychologue.

L’article de Ariel Frajerman du 2 mai 2020 sur la santé mentale des étudiants en médecine, publié sur le site de la Fondation Jean Jaurès, fait aussi le point sur la question et insiste sur la prévention.

Pour ne parler que de ces études, relativement récentes, puisque il existe quantité de travaux.

Concernant les étudiants en droit, rien.

Comme dans toute crise majeure, certains étudiants se distinguent, voire se révèlent en prenant des initiatives. Les réseaux sociaux, qui n’ont rien de sociaux, revêtent une importance particulière en ces temps de confinement, pour les étudiants en droit.

Ainsi, Julien Rivet.
Il galope à cru depuis la capacité en droit vers le doctorat, comme si il traverse le désert de Gobi, poursuivi par les démons. Il est des non-nantis et surtout des audacieux pressés, avec l’instinct de la panthère des neiges. Il sait escalader. Il sait surtout contourner le mur de verre. Parce que pour devenir enseignant et il l’est déjà, il faut le discerner et l’éviter, ce mur de verre plutôt blindé. Il ne confond pas excellence et perfection mais ne doute jamais du sens de l’effort.

Il n’est pas le premier de cordée mais il propose la courte échelle.

Il a ainsi créé un service de mentorat au sein de son groupe Facebook nommé « L’entraide des étudiants en droit » [2]
Le mentorat consiste à se faire aider, à discuter, à demander des informations. Les étudiants en droit, via ce groupe, peuvent se faire mentorer par des professionnels. C’est une initiative probablement inédite, visant à apporter plus de confiance et de chance de réussir.

Un groupe FB qui est en réalité un gigantesque réseau réunissant plus de 127 000 étudiants en droit et qui grandit de jour en jour !

Les étudiants en droit échangent en temps réel, commentent, s’orientent, se consultent, proposent, critiquent.

On constate aussi le mal être en lisant de nombreux témoignages poignants. Le sommet a été atteint lors de la sélection en Master 1. L’impression d’injustice, de réforme inique, poussant les étudiants à déménager, semble avoir déstabilisé énormément d’étudiants.

Que fera-t-on pour éviter l’année prochaine de telles angoisses ?

Le groupe Facebook de Julien Rivet nous fait prendre conscience que les étudiants sont en attente de cohérence dans l’organisation de leur formation.

Autre sujet qui inquiète légitimement les étudiants, la formation pratique dont dépend l’intégration professionnelle.

La nécessité de cliniques juridiques universitaires.

Les cliniques juridiques en France nécessitent un statut officiel et doivent systématiquement couvrir le territoire, voire proposer des consultations ambulatoires. C’est le seul moyen de former utilement. Pour le moment, nous n’en sommes pas là.

Au Québec, le projet de loi n° 75, annoncé par Le ministre de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, modifiera l’art 128 de la loi sur le Barreau. Les cliniques juridiques, structurées, faciliteront l’accès au droit.
Le projet de loi n° 75 permettra aux étudiants en droit de donner « des consultations et des avis d’ordre juridique dans une clinique juridique universitaire ».

Il s’agit d’une mesure importante visant à favoriser l’accès à la justice en donnant la possibilité à la population de bénéficier de conseils et d’avis d’ordre juridique de qualité de la part d’une étudiante ou d’un étudiant en droit, et ce, gratuitement ou à faible coût.

Le projet de loi n° 75 est le résultat d’une concertation lancée en juin dernier entre le ministère de la Justice ainsi que les partenaires de la Table Justice-Québec. La Table Justice-Québec est une instance de concertation qui réunit les principaux intervenants du milieu juridique québécois, tels que la magistrature (Cour du Québec, Cour supérieure, Cour d’appel), le Barreau du Québec, la Chambre des notaires du Québec, la Commission des services juridiques et le Directeur des poursuites criminelles et pénales.

La formation des élèves avocats.

La Décision du 11 septembre 2020, définissant les principes d’organisation et harmonisant les programmes de la formation des élèves avocats, ne mentionne pas les RPS. La profession rapporte beaucoup, dans le sens où elle gagne du temps en rédigeant des rapports successifs, discutés, qui généreront d’autres rapports.

Ainsi, un rapport sur la formation des avocats a été établi par Sandrine Clavel et Kami Haeri.

Ce rapport prévoit-il une formation aux risques psychosociaux, dont les discriminations et les harcèlements ont laissé de profonds traumatismes dans la profession ? On ne sait. Le rapport Perben ne comportait pas une seule ligne sur la santé des avocats ou des élèves-avocats.

Notons que la formation des avocats est un véritable casse-tête dans nombre de pays.

Le rapport de 114 pages (octobre 2020), Buidling in better bar : the twelve builidng blocks of minimum competences" des américaines Deborah Jones Merrit et de Logan Garnet, pourrait être une bonne source d’inspiration.

Si la substance de la formation des avocats de demain, est encore à déterminer, compte tenu des évolutions dans le domaine de l’intelligence artificielle, les défis posés par la santé des étudiants en droit, restent prioritaires.

Quelques propositions.

Une proposition serait de créer le Centre National d’Aide aux Etudiants en droit (CNAED) sur le modèle du centre créé pour les étudiants en médecine.

Au préalable, faire une étude complète de la situation s’impose via une enquête nationale.

L’enveloppe financière pourrait être constituée par des aides des grands cabinets d’avocats, des Barreaux, des syndicats, et d’une manière générale par des subventions à la fois publiques et privées.

Reste à déclencher la prise de conscience.

Financer des recherches sur le thème des risques psychosociaux, dont des thèses codirigées par des professeurs de droit et de médecine serait une idée.

La Haute Autorité de Santé (HAS) doit aussi publier des recommandations.

Par ailleurs, les services de médecine et d’accompagnement psychologique pourraient se renforcer. Vain espoir quand on connait les difficultés de recrutement des spécialistes. Alors, remboursons systématiquement les consultations des psychologues libéraux. Le jeu en vaut la chandelle. Ces professionnels sont insuffisamment intégrés dans l’offre de soins.

Du yoga, de la méditation à l’hypnose, les ateliers d’eutonie et de gymnastique sensorielle, sans oublier les conseils en nutrition, de plus en plus de facultés de médecine, proposent des ateliers pour enseigner aux étudiants en santé à gérer leur stress. Faisons de même en faculté de droit et dans les écoles d’avocats ou autres visant à former les professionnels du droit.

Si les cours sont ponctuels ou limités, ils sont de toute façon l’occasion de donner aux étudiants des outils pour les réutiliser de manière autonome.

Les modules de sport, optionnels, doivent aussi être intégrés dans les programmes.
Un étudiant en droit, s’il le souhaite, doit pouvoir passer une épreuve de sport lors des examens universitaires.
Lorsqu’on prépare l’école supérieure de police ou d’officiers de gendarmerie, il n’est pas iconoclaste d’avoir contribué à l’obtention de ses diplômes par le sport.

On peut subir sans apprendre, et surtout apprendre sans subir.

A nous de réunir les conditions d’apprentissage, de rendre plus forts les étudiants en droit, et de s’occuper notamment de ceux présentant des handicaps. Il en va de notre Humanité.

A suivre !

Vincent Ricouleau Auteur du Guide des Risques Psychosociaux des Avocats Professeur de droit -Vietnam - Directeur fondateur de la Clinique Francophone du Droit au Vietnam Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5).

[2Groupe "L’entraide des étudiants en droit" créé le 18 novembre 2013.

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