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Liberté d’expression et caricature religieuse. Par François de la Michellerie, Juriste.
Parution : jeudi 12 novembre 2020
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En droit, la conciliation des libertés est une problématique constante qui plus est alarmante lorsque l’intérêt en jeu est le maintien de l’ordre public ou le droit à la sûreté. Aussi l’actualité récente nous a-t-elle rappelé tragiquement et tristement ce problème récurrent de la caricature et du fait religieux dans la nécessité de concilier l’ordre et la liberté.

La satire ne justifie pas l’ignoble.

En France la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi (Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) et nul ne doit être inquiété pour ses opinions (même religieuses) pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi (Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).

Dans notre Etat de droit il semble même que l’atome juridique de toutes ces libertés est le droit à la sûreté, puisqu’il n’aurait pas de liberté possible dans une société où les individus auraient à craindre pour leur propre sécurité en raison même de l’exercice de toutes ces libertés propre à la liberté d’expression. Mais le droit à la caricature religieuse serait-il un droit absolu pour autant ? Bien évidemment discutable et critiquable au nom de la liberté d’opinion, la tentative de réponse appelle nuances et précautions pour ce sujet extrêmement délicat au regard de la sensibilité de tout un chacun, tant pour les partisans d’une liberté totale que pour les opposants à la liberté blasphématoire, dont sans nul doute d’aucun ne cautionne le recours à des violences criminelles à l’occasion de revendications terroristes pour les plus farouchement opposés.

Mais au-delà de cette dualité sociétale parfois exacerbée, si la France est une société multiconfessionnelle et laïque dans laquelle le blasphème est sujet à polémique, l’essentiel est bien que l’ambition universelle du modèle Français n’est pas un devoir de croyance mais un droit au respect : Respect pour la vie de la personne humaine évidemment car la satire ne justifie pas l’ignoble !

L’impression d’une liberté absolue.

En premier lieu dans la sphère de notre République profondément empreinte de laïcité, le blasphème est (a priori) un droit sans considération divine (a fortiori). A l’instar des tenants du positivisme juridique [1], on pourrait ainsi sans complexe soutenir qu’en droit tout est possible dès lors qu’une norme juridique le permet. Cette conception du droit reposerait sur une logique subjectiviste où la liberté du sujet ou des sujets s’impose au monde réel au détriment des idéologies religieuses (sinon des valeurs morales). Par le primat de la volonté, à la question de savoir si l’action revendiquée ou permise est juste ou bien, se substitue alors la seule affirmation de sa nécessité d’être au nom de la liberté.

Par la suite à supposer irréfutable cette présentation du droit, pour le vivre ensemble, en termes de liberté d’expression, alors pourquoi avoir néanmoins établi ici et là des restrictions à cette même liberté d’expression en droit français ? Citons pour exemples non exhaustifs les incriminations de la Loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, relatives à l’injure ou à la diffamation ou encore à la négation des crimes nazismes. Ainsi la liberté d’expression n’est pas sans limites mais cela ne peut constituer un empêchement à la caricature religieuse en droit positif, puisque tout ce qui a été tu par la loi n’est ni illicite ni interdit, avec pour conséquence l’impression d’une liberté absolue en la matière.

Une Œuvre de l’esprit contre le spirituel.

En second lieu dans la sphère du Sacré profondément peu enclin à l’humour caricatural, surtout pour les intégristes sinon du moins pour les rigoristes, le blasphémateur manque assurément de considération pour la liberté de conscience du croyant (toutes confessions confondues) et cela dans la plus intime expression de sa (la) liberté religieuse. La caricature blasphématoire est à cette occasion perçue par certains comme une offense ou une atteinte à leur croyance religieuse. Cette satire extrême ou radicale, qui ne trouve pas d’obstacle immédiat en droit, est une œuvre de l’esprit contre le spirituel. Et pour les citoyens que nous sommes, croyant ou athée, force est de constater que la liberté des uns ne s’arrêtera pas là où commence celle des autres, puisque entre le licite et l’immoral la règle de toutes caricatures serait la permission jusqu’aux frontières les plus reculées et perméables de la liberté de conscience et de la liberté religieuse.

Cela posé, prend alors forme insidieusement un conflit juridico-culturel sur fond d’idéologie cultuelle dont la société dans son ensemble en fait un écho-émotionnel qui, nonobstant la vertu neutralité de l’Etat laïc sur ces questions d’ordre morales et religieuses, constitue au demeurant une menace réelle et sérieuse pour la sécurité publique et notre sécurité nationale [2].

Voilà pour conclure une situation typique où pourrait s’introduire dans le débat la question éthique « Qui est mon prochain en droit ? » en digne esprit des Lumières [3]. Notons par extension, non pas sans intérêt pour la casuistique juridique du sujet qui me préoccupe ici, que la Cour de Cassation dans un Arrêt de 2009, avait confirmé la condamnation d’une Femen par un arrêt de la cour d’appel de Paris (chambre 2-8) en date du 15 février 2017, qui avait été poursuivi du chef d’accusation d’exhibition sexuel dans la prévention de l’article 222-32 du Code pénal, en raison d’un avortement simulé aux seins nus en l’église de La Madeleine à Paris. Ainsi au cas d’espèce, pour retenir l’infraction caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels que moral, il est particulièrement intéressant de souligner que les juges de la cassation avaient opposé à la liberté d’expression de la prévenue la liberté religieuse en raison du lieu de l’action militante. Autrement dit Il y a donc bien en droit des limites à la liberté d’expression pour des motifs religieux ! En ce sens, la jurisprudence de la Cour de cassation est sans ambiguïté [4].

Depuis la Révolution de 1789 la notion de blasphème a été abolie en France par le Constituant. Pour autant il n’y a pas un droit au blasphème puisque ne correspondant nullement explicitement à aucun texte normatif dans l’ordre juridique et cela quand bien même la liberté d’expression serait la première et la plus absolue des libertés en raison de sa valeur constitutionnelle : le "blasphème caricatural" n’est que la manifestation prolongée de la liberté d’expression des uns excédant alors la liberté des autres à honorer Dieu selon la juste règle de leur conscience. C’est vite oublier le sens et la portée de l’article 1er de la constitution de 1958 en vertu duquel la République Française « respecte toutes les croyances » et qu’à ce titre la Puissance Publique doit incidemment garantir à tous les croyants l’exercice paisible de leurs croyances exemptes de toute injure ou offense.

François de la Michellerie Juriste

[1Le positivisme juridique est un courant de la pensée juridique consistant, à rejeter l’importance d’un droit idéal appelé alors droit naturel et, à affirmer que seul le droit positif - aux travers des règle normatives du droit matériel qu’est la loi et de la connaissance de la jurisprudence – a une valeur juridique en théorie du droit.

[2Même si de la jurisprudence du Conseil d’État « si l’autorité administrative a pour obligation d’assurer la sécurité publique, la méconnaissance de cette obligation ne constitue pas par elle-même une atteinte grave à une liberté fondamentale » (CE, ord, 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, n° 236196), et que pour le Conseil Constitutionnel l’ordre public est qualifié seulement d’objectif de valeur constitutionnelle et n’est pas juridiquement une liberté fondamentale garantie par la constitution (Décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982).

[3Etant précisé que les Lumières ne se réclamant pas de l’athéisme mais du Déisme. Dans l’Esprit des lumières il n’y a pas de religions qui se prévalent les unes par rapport aux autres mais la nécessité naturel de respecter toutes les religions ; Confère pour un développement plus complet la Revue Esprit 2009/8-9 (Août/septembre), Les religions avec, après ou contre les Lumières ?

[4Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 9 janvier 2019, 17-81.618 (Publication : Bull. crim. 2019, n° 6).