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« Loi sécurité globale » : urgence, atteinte à nos libertés ! Par Amal Bentounsi, Juriste et Ibrahim Shalabi, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 12 novembre 2020
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Le 17 novembre 2020 doit être examiné la proposition de loi n°3452 relative à la sécurité globale. Cette loi, en son article 24, propose de créer une nouvelle infraction qui serait intégrée à la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Cette infraction punirait d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende

« le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ».

Cette proposition de loi semble vouloir apporter un cadre légal nouveau en se confrontant, pourtant, à l’état de la jurisprudence et du droit s’agissant du droit à la vie privée, que de la liberté d’information, en interdisant la diffusion, exclusivement malveillante, de vidéos présentant des interventions des forces de l’ordre en y laissant visible des éléments d’identification.

On rappellera que le droit à l’image, dans sa construction jurisprudentielle, est fondé essentiellement sur la jurisprudence et l’interprétation faite de l’article 9 du Code civil qui dispose simplement, en son alinéa 1er :

« Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

D’ailleurs, la jurisprudence considère le droit à l’image comme un corollaire du droit à la vie privée. Il est vrai que, le principe s’agissant du droit à l’image, tient dans le fait que quiconque, dispose sur son image et sur l’utilisation que l’on peut en faire, d’un droit considéré comme exclusif lui permettant notamment de s’opposer à sa diffusion [1].

Néanmoins, la jurisprudence a apporté des précisions s’agissant de la protection à accorder au droit à l’image lorsque la captation trouve son origine dans un lieu public. Dans un tel cas de figure, le champ de protection du droit à l’image est moins important en ce que l’espace public est considéré comme moins intime, et dans la mesure où une interdiction globale en un tel lieu serait susceptible de porter une atteinte manifestement disproportionnée au droit à l’information.

Cette mise en balance a été opérée par la Cour de cassation par un arrêt de la deuxième chambre civile en date du 30 juin 2004 [2].

Le droit à l’image offre une protection globale, sans considération spécifique pour la qualité des personnes présentes dans l’espace public, qu’il s’agisse de membres de force de l’ordre ou de toute personne présente au moment de la captation. Ainsi, dans l’espace public et, en vertu du droit à l’information, il ne serait pas possible de s’opposer à la captation de son image, si celle-ci n’est pas prise de telle sorte à isoler une personne du public environnant [3].

Effectivement, si l’article 24 de la proposition de loi n’entend pas contrevenir à l’état du droit s’agissant de la captation d’images sur la voie publique, la sanction semble néanmoins dangereusement limiter la liberté d’informer puisque la diffusion est restreinte, dès lors que l’identification des forces de l’ordre est possible et qu’elle a pour but d’attenter à son intégrité physique ou psychique.

Une telle limitation peut s’apparenter, à certains égards, à un musèlement de la liberté de la presse et du droit général à l’information, lorsqu’est en cause une action policière, entre autres, sur la voie publique. Par ailleurs, cette sanction a pour effet d’ôter, pour les citoyens, le seul moyen lui permettant de parvenir, par l’exercice du droit à la preuve, à la manifestation de la vérité.

Il semble en effet inconcevable qu’une loi n’entende pas permettre la publicité des actions de l’Etat par ses représentants, étant rappelé que le moyen dont il est souhaité l’interdiction ne peut être considéré comme disproportionné ou illégitime.

En effet ils ’agit là de la seule « arme citoyenne » à disposition, passive et révélatrice, dont les justiciables peuvent user. Cette arme n’attente pourtant pas au droit à l’image tel que construit par la jurisprudence, et son utilisation n’est pas disproportionnée au but poursuivi puisqu’elle est nécessaire aux seules fins de révélations des défaillances d’un service public de l’Etat, d’autant plus lorsque celui-ci dispose en outre du monopole de la violence légitime.

En conséquence, il apparaît nécessaire et proportionné, dans toute société démocratique, de permettre à l’ensemble de la population de contrôler le bon déroulement d’un service de l’Etat, tant par la captation d’images que par leur diffusion.

Or, selon une formulation connue de la Cour européenne des droits de l’Homme, il appartient à l’Etat d’assurer aux droits leur pleine effectivité, en protégeant des droits, non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs. L’interdiction de la diffusion des actions policières ne permettrait pas d’assurer aux droits garantis et construits, tant par le droit que par la jurisprudence, une effectivité et une application concrète.

En effet, la captation, aujourd’hui, ne s’entend plus que d’une captation impliquant une diffusion différée, lorsqu’il existe, à travers les actions journalistiques, le développement de diffusions live. Or, un tel texte, dans une telle mesure et appréciée avec une latitude considérable, pourrait justifier, en ce que le texte entend sanctionner sa violation d’une peine de prison, l’arrestation de toute personne soupçonnée de capter ou diffuser de telles images.

Il convient de préciser que le placement en garde à vue est possible dès lors qu’il existe une simple raison plausible de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement [4]. Ainsi, la combinaison des deux articles [5] permettrait, à tout membre des forces de l’ordre, de procéder à l’arrestation ainsi qu’au placement en garde à vue de toute personne contre laquelle il existerait, simplement, une raison plausible de soupçonner qu’elle a procédé à la diffusion d’images des membres des forces de l’ordre.

En conséquence, une telle mesure aura, dans la pratique, une mise en application susceptible de contrevenir à l’effectivité des droits fondamentaux garantis aujourd’hui par notre droit.

Le droit d’informer semble donc, par l’existence d’une telle proposition de loi, dangereusement atteint.

Shalabi Ibrahim Avocat au Barreau de Paris

[1Cour d’appel de Paris, 16 avril 1996.

[2Cass. 2ème civ., 30 juin 2004.

[3Cass. Civ., 10 mars 2004, n°01-15322.

[4Article 62-2 du Code de procédure pénale.

[562-2 et 24 de la proposition de loi.