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[Point de vue] La reconversion des avocats. Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : samedi 14 novembre 2020
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La mobilité professionnelle au sein de la profession d’avocat est essentielle. Reste à savoir la mettre en œuvre, au bon moment, au bon endroit, dans le bon secteur, avec le bon accompagnement. Toutefois, ne fuyons pas les réalités. La profession souffre de risques psychosociaux très nombreux, poussant nombre de talents à quitter le barreau et à se reconvertir. C’est plus une question de survie que de choix. D’autres ont le choix d’opportunités, permettant de puiser d’autres connaissances dans d’autres secteurs et de revenir au barreau, mieux formés et endurcis.
La question est brûlante, dérangeante et impossible à contourner. Regardons ce qu’on peut faire.

"T’es marrant, toi, je choisissais les profs, pas les matières. Moi, je pouvais tout faire, tant que les profs me plaisaient. J’étais un affectif".

Cela se passe au siècle dernier, dans les années 1995. Dans un café de Coutances. Il y a des régions où la pluie ne tombe pas, elle frappe. Un boucan. Des impacts de plombs de chasse dans les vitres. Quand je demande à Joseph, quelle vision il a de la profession, il me répond, "aie toujours des essuie-glaces en bon état et des phares qui éclairent bien, tu peux éviter les lapins qui traversent". Il n’y a pas moyen de le faire parler. Il me voit venir. Il souffle "tu me demandes ce que j’aurais fait si je n’avais pas été avocat ? Véto." Et si vous aviez du changer de métier ? "Qu’est-ce que tu veux que je fasse, je ne sais faire qu’avocat. Je n’ai jamais fait un CV. Je voulais être mon patron, j’ai réussi, tout va, à 65 ans."

Le lendemain de la fin de son stage, il avait déjà créé son cabinet, sans avoir détourné un seul client de son ex "patron". Question d’éducation, pas seulement de déontologie. A 26 ans. Pas seulement un rêve, un devoir, cette installation.

Il me dit que le procureur ne paie pas ses pensions alimentaires. Avec un reniflement à la Bruno Cremer en gabardine, incarnant Maigret, il siffle "les informations, on gagne plus à les garder qu’à les sortir".

Au pied du bureau de Joseph, s’empilent des JCP édition générale et des Gazette du Palais dont le papier cigarette se recroqueville. "J’ai du retard, je navigue à vue. Normal, je suis tout seul, c’est pas fait pour les pro, ces articles, trop intellos".

A cette époque, on ne martèle pas de devoir changer de métier trois ou quatre fois dans sa vie. Les chasseurs de têtes de juristes ne courent pas la province, sauf pour les bonnes tables et les week-ends.

"Si tu me dis que travailler dans une tour de la Défense et facturer à l’heure, c’est une vie, les gars qui font çà, ils trichent, quand je dis ces gars, il y a des filles aussi".

Joseph est resté au même barreau 45 années. Bon an, mal an, il a godillé entre les écueils. Une carrière linéaire, au cordeau, avec des vrais potes qui ne lui ont pas mangé la laine sur le dos.

De tels parcours sont-ils imaginables aujourd’hui ?

A l’heure où on parle de mobilité professionnelle chez les avocats qui se dé-robent, que de leurs grèves émane le désespoir des mineurs des bassins houillers, la reconversion est-elle pensée ?

Il y a du vent glacial sous la robe des avocats, du blues sous la blouse des médecins. Sur Google, tapez l’expression "reconversion des avocats" et vous trouverez le film d’horreur.

Harcèlements, de tout ordre, discriminations, horaires au-delà de l’imaginable, paupérisation, et tous les risques psychosociaux propres aux avocats, collaborateurs ou non, que je détaille dans mon guide.

La reconversion n’en est souvent pas une, c’est une exfiltration sur un brancard pour certains, un sauvetage pour d’autres. Il y a des blessures profondes, des plaies qui ne se refermeront jamais, du stress post traumatique, des tentatives de suicide, voire des suicides.

Jacques Toubon, l’ex Défenseur des Droits, a tenté de siffler la fin de la partie en publiant une enquête. Son rapport est une bombe atomique dans la profession, incapable de protéger les siens, cibles des plus pervers, parfois connus et protégés. On a compris, les salauds, il faut savoir les détecter et les évincer de sa vie professionnelle, à défaut d’avoir l’aide des barreaux.

L’autre scénario sent l’assouvissement de ses passions, souvent anciennes. C’est à nous de l’écrire au moment parfaitement choisi et non imposé par les affres de la vie.

La reconversion, dans la politique, la culture de la vigne, le design, le théâtre, la librairie, les maisons d’hôtes, l’enseignement, la formation professionnelle, le journalisme juridique, la naturopathie, la reprise d’études comme la médecine (pour les plus acharnés), les galeries d’art, le spectacle vivant, le one woman show, les ressources humaines, en tant que chasseur de têtes, via l’expatriation, existe aussi. En cherchant bien, on trouve de très beaux parcours ; L’intégration dans la magistrature, dans des services juridiques, dans des banques, des compagnies d’assurances, dans l’immobilier, reste logique et attendue.

Vouloir quitter la profession revient à se demander pourquoi vous l’avez choisie. Qu’est-ce que vous ne retrouvez plus dans votre vie professionnelle ?

Parfois, les âmes errantes des palais de justice, aux allures de hub, prennent le dessus. Il y a des signaux. Souvent, malgré les difficultés palpables, visibles, par dépit, le praticien reste au barreau, tout en rêvant secrètement de partir. La plus mauvaise des solutions. Et puis, vous avez l’indécis. Il procrastine. En parle tout le temps. Mais il ne sait pas quoi faire. Il se ronge les sangs.

Le saut dans l’inconnu. Quitter le barreau, c’est dévaler les barreaux de l’échelle sociale. Pas si vous avez bien préparé les étapes.

En revanche, si vous vous échappez du barreau, endetté, cabossé, trop, en proie aux RPS les plus sévères, la guérison ne sera pas miraculeuse. De fortes turbulences sont à craindre. Se redéployer dans un autre secteur, nécessite une capacité d’adaptation, de la résilience, de l’endurance et de la ténacité. Tout ce qu’un cerveau sain peut fournir. A défaut, un échec peut survenir. Soignez les conséquences des RPS dont vous souffrez avant de voler vers d’autres cimes au moment parfaitement choisi et non subi.

Un axe de travail et de réflexion devrait s’imposer comme ouvrir aux avocats des postes bien au-delà de la magistrature, comme dans l’administration pénitentiaire, la police, la gendarmerie, la diplomatie, l’armée, les services de renseignements, les institutions internationales, Interpol, l’université, les lycées, les chambres de commerce.

Pour cela, il faut une palette de formation continue la plus large possible. Au plus haut niveau et au plus bas prix. Les écoles d’avocats sont par définition des pôles de formation. Les tâtonnements pour réformer l’enseignement ressemblent trop à une action en bornage. On n’a pas besoin de géomètres de la profession, mais de visionnaires, de véritables artistes. Les étudiants en architecture peuvent passer un diplôme d’ingénieur ou d’école de commerce.

Pourquoi les écoles d’avocats ne postuleraient pas au statut de grande école, ou du moins, ne s’associeraient pas avec des grandes écoles, des facultés de médecine, des universités étrangères, échangeant, se formant mutuellement, permettant des doubles diplômes ?

Un reconverti n’est ni un défroqué ni un repenti. Rejoindre à nouveau le barreau avec une autre expérience professionnelle, avec d’autres connaissances, un autre réseau, un recul, est une option très payante. Ne tournez pas le dos à vos ex compagnons avec lesquels vous avez sué sous la robe, triez-les quand même sur le volet. Cela permet de conserver un contact étroit avec le milieu. Mais ne jouez pas à l’ancien combattant qui en montre à ceux qui restent sous le feu croisé des RPS, faute de mieux. Sachez aussi que vous serez en manque, que l’adrénaline du métier vous fera souffrir, que la naloxone ne vous fera rien. C’est à vous de vous désintoxiquer, de passer par des étapes. Reste à créer par exemple un office d’accompagnement des carrières d’avocats pour faciliter des bilans de compétences. Une piste parmi d’autres. Il y a une chose qui doit vous obséder, c’est l’anglais. Parlez-le bien, c’est indispensable.

Félicitez Laure pour avoir fini un cours sur Visiplus Academy.

C’est le premier message que j’ai lu en me connectant sur Linkedin ce matin. Nous sommes encouragés à féliciter des inconnus en formation et dans la peine de trouver un emploi. Linkedin, pour ne pas nous fatiguer, choisit pour nous. Un jour, nous nous féliciterons nous-mêmes à travers un algorithme.

L’ère est à l’intelligence artificielle chez les avocats, sans nier l’importance des soft skills.

Mais le marché s’annonce florissant. Le Barreau des Hauts de Seine adopte Case Law Analytics, par exemple. Prédire. Mieux orienter le client. Dans certains contentieux, c’est opportun. Dans d’autres, moins. L’avocat "augmenté" est annoncé.

Les promesses sont séduisantes, à condition que la santé des praticiens demeure un enjeu. Une des causes de la reconversion de certains est la perte du lien social, provoquée par le tout numérique.

Ceux qui s’enrichissent sont les vendeurs de pelles, pas les chercheurs d’or. Avis donc à bien sélectionner la myriade de start up, prétendant révolutionner la profession.

La profession d’avocat reste une jungle bien hostile. Il y a les "go fast" et les chasseurs de primes et puis les idéalistes. Le véritable défi va être de mettre en place des reconversions au sein de la profession, sans la quitter, mais en imaginant d’autres terres à conquérir, suffisamment diverses pour apporter satisfaction et épanouissement à tous. Pour cela, tentons de satisfaire les vrais besoins, comme disposer gratuitement de l’ensemble des décisions de justice. La Covid-19 va-t-elle provoquer assez d’impulsions pour progresser, soulager, aménager ce qui est possible ? C’est une occasion inespérée.

Joseph disait qu’il fallait enseigner le métier aux jeunes, coûte que coûte.

On sait tous que c’est exactement ce qui manque aujourd’hui. La véritable transmission. Le lien.

La mort n’a pas été sournoise avec Joseph. Sa hantise, c’était de rester paralysé à la suite d’un AVC. Mais l’hémorragie massive qui l’a frappé, un beau matin d’automne comme Jim Harrisson les décrit, n’a pas transigé. Jo est resté digne au-delà de la fin. Le cabinet n’a pas été vendu. Il s’est éteint lui aussi.
Souvenez-vous, la clientèle, c’est du vent. Mais il sème les graines, le vent...

Vincent Ricouleau Auteur du Guide des Risques Psychosociaux des Avocats Professeur de droit -Vietnam - Directeur-fondateur de la Clinique Francophone du Droit au Vietnam Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5).