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Burn-out des professions juridiques : regard d’un chasseur de têtes. Par Marina Bourgeois, Directrice.
Parution : lundi 16 novembre 2020
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J’ai interviewé Ian De Bondt, Directeur de Fed Legal, afin d’apporter aux lecteurs et clients professionnels du droit (avocats, juristes, DJ, notaires, assistants juridiques, notaires, legal tech, etc) le regard d’un chasseur de têtes sur les principales difficultés rencontrées dans les métiers du droit.

Marina Bourgeois : Vous êtes le Directeur de Fed Légal, pouvez-vous expliquer quelle est votre activité ?

Ian De Bondt : « J’ai monté Fed Légal en janvier 2010. Nous sommes 13 aujourd’hui à être dédiés au recrutement juridique et fiscal. Notre approche sectorielle nous permet d’être ultra spécialisés sur chacun des 5 pôles sur lesquels nous intervenons :
- Les avocats, collaborateurs et associés ;
- Les directeurs juridiques et fiscaux ainsi que leurs équipes ;
- Les notaires et les professionnels qui les accompagnent ;
- Les métiers paralégaux ainsi que tout le « support staff » en cabinet d’avocats, secrétaires généraux, office managers, KM, PSL,…etc. ;
- Les conseils en propriété industrielle, qu’ils soient ingénieurs brevets ou juristes marques/dessins et modèles. »

J’ai accordé il y a peu de temps une interview à Madame Figaro concernant le burn-out des jeunes avocates, hélas de plus en plus fréquents. J’en parlais également dans le cadre d’un article consacré au burn-out des professions juridiques. Constatez-vous, comme nous, cette tendance en tant que chasseur de têtes ?

« Oui, et malheureusement cela ne date pas d’hier. Comme dans beaucoup d’autres domaines, les pratiques n’ont guère évolué. La parole s’est simplement libérée. Les cas de harcèlements moraux, d’humiliations, et plus globalement les comportements malsains sont préoccupants. »

Comment voyez-vous évoluer le métier ?

« Il est de plus en plus évident que le caractère libéral de la profession, dans les cabinets d’affaires, est de plus en plus ignoré.

Les cabinets en sont responsables mais il ne faut pas dédouaner les jeunes collaborateurs qui eux-mêmes s’enferment dans un schéma par sécurité et se complaisent dans des cages dorées. Etre avocat, selon moi, c’est être avant tout un entrepreneur.

Plus largement, je crois que beaucoup ne saisissent pas la spécificité des métiers du conseil - c’est vrai aussi dans la chasse de têtes d’ailleurs - et n’en comprennent pas les nécessités (disponibilité, empathie, anticipation, spécialisation). »

Voyez-vous une différence entre les juristes et les avocats en matière d’épuisement professionnel ?

« Certains juristes travaillent tout autant que les avocats, même si ces derniers aiment à penser le contraire. La différence réside peut-être dans le caractère déceptif de la profession d’avocats. Ceux qui choisissent cette voie le font peut-être encore plus par vocation et sont d’autant plus déçus lorsque leurs attentes et leurs ambitions ne pas satisfaites. Et c’est souvent de ce constat que naît l’épuisement professionnel. Une perte de sens, c’est ce que je perçois le plus souvent. »

Vous côtoyez tous les jours des avocats. Certains progressent, sont heureux et réussissent, alors que d’autres quittent l’avocature précipitamment. Pourquoi ?

« La réalité - et là aussi je peux faire le parallèle avec mon métier - c’est qu’aujourd’hui, ceux qui réussissent, ce sont ceux qui s’en sont donné les moyens. Le métier d’avocat est très concurrentiel. Etre un bon juriste qui fait bien ce qu’on lui demande est loin d’être suffisant pour se différencier et donc exister. Cela fait 12 ans que je fais passer des entretiens. Et je m’étonne tous les jours de l’écart abyssal qui existe entre les très bons et les autres. C’est dur à entendre mais beaucoup ne sont juste pas faits pour ça. Personne n’a été là pour le leur dire. Ils finissent pour beaucoup malheureux professionnellement. »

Je constate de fréquentes reconversions chez les professionnels du droit. Le constatez-vous aussi ? Quel regard portez-vous sur cet état de faits ?

« Je trouve ça très sain de constater que des avocats, ou des juristes d’ailleurs, finissent par exercer d’autres professions, montent leur entreprise, passent du côté opérationnel. L’inverse devrait d’ailleurs pouvoir se voir aussi. Il faut donner de l’air à tout ça.
Le droit est un merveilleux outil. Les juristes, avocats ou non, ont vocation à sortir de leur pré carré, et à s’alimenter de professionnels venus d’autres horizons. »

Marina Bourgeois - Directrice du cabinet Oser Rêver Sa Carrière