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Amiante et bail commercial : une obligation « toxique » pour le bailleur ? Par Arnaud Boix, Avocat.
Parution : mardi 17 novembre 2020
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L’obligation de délivrance du bailleur d’un local commercial en lien avec l’amiante est une obligation « qui dure un bail ».

En effet, le bailleur doit délivrer un local conforme aux normes en matière d’amiante tout au long du bail, c’est ce que vient de souligner notre haute juridiction dans une décision en date du 18 septembre 2020 [1].

Il convient de rappeler l’obligation pour le bailleur d’un local commercial que même en l’absence de stipulation particulière du bail qui le lie son locataire, il doit lui délivrer les locaux loués et les entretenir en état de servir à l’usage pour lequel ils ont été loués [2].

Aucune clause du bail ne peut déroger à cette obligation qui est de jurisprudence constante d’ordre public, sous peine d’être jugée nulle et inopposable au locataire.

Ainsi, manque à son obligation de délivrance le bailleur qui met à la disposition de son locataire, un local ne respectant pas le seuil réglementaire de niveau d’amiante, et ce même si un seuil nouveau vient résulter d’un décret postérieur à la conclusion du bail.

On aurait pu croire que l’obligation de délivrance du bailleur ne valait que pour la date d’effet du bail et de la mise à disposition effective des locaux…

On aurait pu croire qu’elle ne valait que pour autant que l’obligation en lien avec les normes afférentes à l’amiante porte sur les gros travaux relevant de l’art 606 du Code Civil…

On aurait pu croire que les travaux de mise en conformité ordonnés par l’administration des locaux loués en cours de bail, en principe à la charge du bailleur (sauf clause contraire du bail), pouvaient être contractuellement et librement aménagés, dans la limite, cependant, de la répartition instaurée depuis le 05 novembre 2014, par le Décret Pinel du 03 novembre 2014, aux termes de l’art R140-35-al 2 du Code de Commerce…

Cette décision vient-elle restreindre une nouvelle fois un espace de liberté contractuelle entre les parties à un bail commercial ?

Ainsi, dans cette affaire, le titulaire d’un bail commercial qui avait cessé de payer ses loyers, le bailleur lui a délivré un commandement de payer visant la clause résolutoire.

Le locataire a alors formé opposition au commandement faisant valoir que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance des locaux en ne faisant pas exécuter des travaux de désamiantage des lieux.

Ce faisant, il prétend être déchargé du paiement des loyers tant que ces travaux ne sont pas exécutés.

Rappelons qu’au visa d’un outil juridique qui a été introduit dans notre code civil et effectif au bail neuf ou renouvelé depuis le 1er octobre 2016, c’est le régime de l’exception de l’inexécution qui est sollicité par le locataire [3].

Depuis cette date, tout locataire d’un bail commercial ayant pris effet ou ayant été renouvelé à compter du 1er octobre 2016 peut également demander la résolution du bail au visa de l’art 1229 du Code Civil.

Les conséquences sont graves pour le bailleur.

Des prélèvements et mesures réalisés dans les locaux avaient, en effet, révélé des concentrations de fibres d’amiante par litre d’air jusqu’à trente fois supérieures au seuil sanitaire fixé par le décret en vigueur.

Une cour d’appel écarte cet argument et prononce la résiliation du bail au motif que le seuil réglementaire invoqué par le locataire résultait d’un décret postérieur à la conclusion du bail.

Cette décision est cassée, l’obligation de délivrance incombant au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination contractuelle tout au long de l’exécution du contrat.

En effet, le bailleur ne saurait en principe se soustraire à son obligation de délivrance, notamment au moyen d’une clause relative à l’exécution des travaux.

En l’absence d’une clause dans le bail répartissant entre le bailleur et le preneur la charge des travaux ordonnés par une nouvelle mesure de l’administration en cours de bail, cette décision fondée sur l’obligation de délivrance du bailleur l’obligeant à mettre à la disposition de son locataire un local conforme à sa destination tant lors de son entrée dans les lieux qu’en en cours de bail en raison de l’évolution des normes administratives en matière d’amiante parait en ligne avec la jurisprudence antérieure notamment quand elle a trait à la sécurité des personnes.

Or, une clause du bail commercial pour autant qu’elle existe et qu’elle soit rédigée avec beaucoup de précision, tant en ce qui concerne la prise en charge des travaux que la nature des travaux visés transférés, peut déroger à ce principe mettant à la charge du locataire des travaux ordonnées par l’administration en cours de bail.

Mais il est de principe intangible en cette matière contractuelle particulière, que les clauses générales ou imprécises d’un bail commercial s’interprètent toujours quand elles sont ambiguës en faveur du locataire.

Cet espace de liberté contractuelle est certes un peu plus encadré depuis le 3 novembre 2014 mais toujours à notre sens toujours existant et valable.

La présente décision a trait à un nouveau seuil réglementaire de niveau d’amiante fixé en cours de bail, composante qui touche à la sécurité des personnes.

Gageons que l’excès soudain de sécurité ambiante dans le contexte que nous traversons depuis bientôt un an ne vienne pas sacrifier un espace de liberté en cette matière, permettant à la volonté des parties de s’exprimer et de négocier entre elles aux termes d’une clause particulière la charge des travaux ordonnés en cours de bail par l’administration.

Systématiser ou généraliser à la charge du bailleur nonobstant l’éventuel régime de répartition des charges négocié entre les parties au bail serait une nouvelle fois déséquilibrer l’économie du bail au détriment du bailleur.

Il existe à notre sens d’autres outils juridiques à disposition des parties au bail, l’imprévision [4] par exemple, qui permettent aux parties de s’entendre sur l’impact financier de tels changements de réglementation.

Arnaud Boix, Avocat Cabinet Eloquence Avocats Associés www.eloquence-avocats.com

[1Cass. 3e civ. 10-9-2020 n° 18-21.890 F-D, Sté Acrobarx c/ S.

[2C. civ. art. 1719.

[3Art 1219 du Code Civil.

[4Art 1195 du Code Civil.