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Vol d’un steward d’Air France en dehors de son temps de travail = faute grave ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Mélanie Guyard, Juriste.
Parution : mardi 17 novembre 2020
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Un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut-il justifier un licenciement disciplinaire s’il se rattache à la vie professionnelle de ce dernier ?
C’est par l’affirmative que répond la Cour de cassation dans un arrêt publié au bulletin en date du 8 juillet 2020 (n°18-18317) en confirmant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris du 12 avril 2018 (n° 16/11682) qui validait le licenciement pour faute grave d’un steward d’Air France ayant commis un vol hors de son temps de travail.
Cet arrêt de la Cour de cassation illustre la frontière très fine qu’il existe, pour un salarié, entre vie personnelle et vie professionnelle.

1) Principe : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire.

De jurisprudence constante, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire [1].

Toutefois, par exception au principe, la Cour de cassation admet que des faits commis en dehors du temps et du lieu de travail peuvent justifier un licenciement disciplinaire si :
- ces faits constituent un manquement à une obligation contractuelle [2] ;
- ces faits se rattachent, par certains éléments, à la vie professionnelle du salarié (Cass. soc., 8 oct.2014, n°13-16793).

1.1) Exception n°1 : Des faits tirés de la vie personnelle du salarié constituant un manquement à une obligation contractuelle peuvent justifier un licenciement disciplinaire (Steward ayant consommés des produits stupéfiants en escale).

La Cour de cassation affirme qu’un

« motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail », telles que l’obligation de loyauté ou de sécurité [3].

Ainsi, dans un arrêt du 27 mars 2012 (n°10-19915), la Cour de cassation a considéré

« qu’un steward ayant consommé des produits stupéfiants lors d’une escale avait manqué à son obligation de sécurité prévue dans son contrat de travail justifiant son licenciement pour faute grave ».

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel de Papeete, après avoir relevé que « le salarié, qui appartenait au « personnel critique pour la sécurité », avait consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols », que ce dernier « se trouvant sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions, n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et avait ainsi fait courir un risque aux passagers », en a « déduit qu’il avait commis une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail ».

1.2) Exception n°2 : Des faits tirés de la vie personnelle du salarié se rattachant, par certains éléments à sa vie professionnelle peuvent justifier un licenciement disciplinaire.

La Cour de cassation a rendu déjà plusieurs arrêts en la matière à l’instar de celui en date du 8 octobre 2014 (n°13-16793) dans lequel elle a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 27 février 2013 qui avait jugé injustifié le licenciement pour faute grave d’un salarié prononcé en raison de son comportement dans le cadre d’un voyage organisé par son employeur afin de récompenser les salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise.

Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes avait notamment retenu que « les faits reprochés au salarié, commis à l’occasion d’un séjour d’agrément en dehors du temps et du lieu de travail, relevaient de la vie privée quand bien même des supérieurs hiérarchiques et d’autres salariés étaient conviés à participer à ce séjour » de sorte qu’« aucun manquement de l’intéressé à une obligation contractuelle n’était établi ».

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes en considérant que

« les faits de menaces, insultes et comportements agressifs commis à l’occasion d’un séjour organisé par l’employeur dans le but de récompenser les salariés lauréats d’un « challenge » national interne à l’entreprise et à l’égard des collègues ou supérieurs hiérarchiques du salarié, se rattachaient à la vie de l’entreprise ».

2) L’arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-18317) de la Cour de cassation : un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il se rattache à sa vie professionnelle.

2.1) Rappel des faits (Vol par un Steward d’un portefeuille d’un client d’un hôtel partenaire).

Monsieur X a été engagé le 26 février 1999 en qualité de steward par la société Air France.

Il a été licencié pour faute grave le 25 novembre 2013 aux motifs d’avoir manqué à ses obligations professionnelles et porté atteinte à l’image de la compagnie en ayant soustrait le portefeuille d’un client d’un hôtel partenaire commercial de la compagnie aérienne dans lequel il séjournait en tant que membre d’équipage de la société.

Les images de vidéosurveillance de l’hôtel ont identifié le salarié comme l’auteur du vol d’un portefeuille oublié par un client sur le comptoir avec 1 800 dollars qui s’y trouvaient à l’intérieur.

Le salarié a contesté son licenciement pour faute grave estimant que les faits qui lui étaient reprochés relevaient de sa vie personnelle.

Par un arrêt du 12 avril 2018 (n° 16/11682), la Cour d’appel de Paris avait jugé que « le licenciement du salarié pour faute est fondé ».

2.2) Décision de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 : le vol commis par un steward lors d’une escale dans un hôtel partenaire commercial de la société est de nature à se rattacher à sa vie professionnelle, de sorte que le licenciement pour faute grave est justifié.

Dans un arrêt du 8 juillet 2020 (n°18-18317), la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 avril 2018.

2.2.1) Des faits commis en dehors du temps de travail rattachables à la vie professionnelle du salarié…

La Cour de cassation affirme que « les faits de vol visés dans la lettre de licenciement, dont le salarié ne contestait pas la matérialité (…) se rattachaient à la vie professionnelle » de ce dernier.

Afin d’apprécier si les faits commis en dehors du temps de travail du salarié se rattachaient à sa vie professionnelle, la Haute juridiction a relevé plusieurs éléments en l’espèce.

Tout d’abord, la Cour de cassation a considéré que le vol avait été commis

« pendant le temps d’une escale dans un hôtel partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais les chambres ».

Ensuite, la Haute juridiction affirme que « c’est à la société Air France que l’hôtel avait signalé le vol » constituant dès lors l’existence d’un deuxième lien étroit avec la vie professionnelle du salarié.

Enfin, la Cour de cassation a également considéré que

« la victime n’avait pas porté plainte en raison de l’intervention de la société de sorte que les faits reprochés se rattachaient à la vie professionnelle du salarié ».

2.2.2) … dont la gravité justifie un licenciement pour faute grave.

La Cour de cassation confirme que

« la mesure de licenciement pour faute grave n’apparaît pas disproportionnée au regard de la gravité des faits commis par le salarié ».

En effet, ces faits portaient préjudice au client volé et à l’hôtel partenaire commercial de la société ainsi qu’ils « portaient atteinte à l’image de l’entreprise » de sorte qu’ils rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

3) Trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise = pas de licenciement disciplinaire !

Un revirement de jurisprudence a eu lieu en 2007 [4] et confirmé en 2011 [5] concernant le trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise engendré par les agissements d’un salarié lors de sa vie personnelle.

Dans un arrêt du 9 mars 2011 (n°09-42150), la Cour de cassation a affirmé

« qu’un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l’entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire ».

En l’espèce, un directeur général adjoint de la société Radio France Internationale a été licencié pour faute grave suite aux propos que ce dernier a tenu lors de la promotion de son ouvrage et à la relance de cette polémique consécutive à la parution d’un article de presse.

La société a considéré que les messages personnels transférés par courrier électronique et par un article de presse ont engendré des troubles au fonctionnement de l’entreprise.

Cependant, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui, « appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui était soumis » sans les dénaturés, a

« retenu que le reproche fait au salarié, comme constitutif d’une faute grave, d’avoir entrepris de relancer la polémique consécutive à la parution d’un article de presse rapportant des propos dont il contestait la teneur, n’était pas établi ».

Ainsi, le trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise ne peut plus justifier un licenciement disciplinaire.

Sources :

Cass. soc., 8 juillet 2020, n°18-18317.

Cour d’appel de Paris, 12 avril 2018, n° 16/11682.

« Dior peut-elle valablement licencier John Galliano ? », cf notre article sur Village de la Justice : Dior peut-elle valablement licencier John Galliano ? Can Dior dismiss John Galliano ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Camille Colombo, Juriste.

Editions Francis Lefebvre, 31 juillet 2020, « Le vol commis par un steward lors d’une escale se rattache-t-il à sa vie professionnelle ? »

Liaisons sociales, lundi 17 août 2020, « Un vol commis hors du temps de travail peut-il être sanctionné s’il se rattache à la vie professionnelle ? » [6].

Cass. soc., 9 mars 2011, n°09-42150.

Cass. soc., 3 mai 2011, n°09-67464.

Cass. soc, 27 mars 2012, n°10-19915.

Cass. soc., 8 oct.2014, n°13-16793.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Cass. soc., 16 dec.1997, n°95-41329.

[2Cass. soc., 3 mai 2011, n°09-67464.

[3Cass. Soc., 3 mai 2011, n°09-67464.

[4Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n°05-40803.

[5Cass. soc., 9 mars 2011, n°09-42150.