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« Faillite » ouverte en France, le salarié travaillant à l’étranger bénéficie-t-il de la garantie AGS ? Par Dalila Madjid, Avocat.
Parution : mercredi 18 novembre 2020
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Tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés mentionnés à l’article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire (Art. L. 3253-6 du Code du travail).

En France, le régime de garantie des salaires (AGS) intervient si une entreprise se trouve en procédure collective, c’est-à-dire en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire et n’a pas de fonds disponibles pour payer les salaires, préavis ou indemnités, pour garantir le paiement des sommes qui sont dues aux salariés, en exécution de leur contrat de travail.

Ainsi, en application de l’article L3253-6 du Code du travail, sont bénéficiaires de l’AGS, les salariés liés par un contrat de travail à l’entreprise, sans condition d’ancienneté, y compris ceux qui sont détachés à l’étranger, expatriés et salariés étrangers en situation régulière, qu’ils soient ou non ressortissants des Etats-membres de l’Union européenne.

Afin de déterminer si la garantie AGS s’applique ou non, il est indispensable de faire la distinction entre salarié détaché, expatrié d’une part et salarié domicilié et recruté à l’étranger d’autre part.

1- Le cas des travailleurs transfrontaliers : salariés détachés et expatriés.

Comme le précise l’article L3253-6 du Code du travail, l’employeur doit garantir le salaire de ses salariés y compris lorsqu’ils sont détachés à l’étranger ou expatriés.

Petit rappel, un salarié détaché conserve son contrat de travail avec son entreprise d’origine et demeure sous le lien de subordination de son employeur. Il demeure soumis aux lois françaises et continue de bénéficier du régime de protection sociale français.

Alors que le salarié expatrié ne fait plus partie de l’effectif de l’entreprise d’origine et n’est plus rattaché à son employeur initial par un lien de subordination. En principe, son contrat de travail doit prévoir la loi qui lui est applicable. Et il est affilié à la protection sociale du pays où il est affecté [1].

Le 4 décembre 2012, il a été jugé qu’un salarié, domicilié en France et engagé par une société ayant son siège social en France pour exercer son activité sur des chantiers en Allemagne, peut bénéficier de la garantie AGS suite à son licenciement pour motif économique et à la liquidation judiciaire de la société située en France.

La haute juridiction s’est référée d’une part à l’article 8 bis de la directive n°2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 devenu l’article 9 de la directive n°2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 qui dispose que :

« lorsqu’une entreprise ayant des activités sur le territoire d’au moins deux Etats membres se trouve en état d’insolvabilité, l’institution compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs est celle de l’Etat membre sur le territoire duquel ils exercent ou exerçaient habituellement leur travail ».

La Cour de cassation a considéré néanmoins que cet article

« ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale prévoit qu’un travailleur puisse se prévaloir de la garantie salariale, plus favorable, de l’institution nationale, conformément au droit de cet Etat membre [2] »

D’autre part, la Cour de cassation s’est référée aux dispositions de l’article L3253-6 du Code du travail, pour conclure que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la garantie de l’AGS, plus favorable que celle résultant du droit allemand, devait bénéficier au salarié qui, travaillant sur des chantiers à l’étranger, avait choisi de maintenir son domicile sur le territoire français.

De la même manière, une société de droit italien, qui a été déclarée en faillite par le tribunal de Rome, avait licencié pour motif économique ses salariés qui exerçaient leur activité dans un établissement situé sur le territoire français. Dans cette affaire, il a été jugé que conformément à l’article 3 de la directive CEE n° 80 / 987 tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes [3] l’AGS était compétente pour garantir les créances des salariés qui exerçaient leur activité dans l’établissement situé en France [4].

2- Le cas des salariés d’entreprises ayant leur siège social en France, domiciliés et recrutés à l’étranger et ayant toujours exercé leur activité pour l’établissement situé à l’étranger.

Il est important de préciser qu’un salarié n’a pas le statut d’expatrié ni celui de détaché, lorsqu’il a été recruté hors de France pour travailler dans un établissement à l’étranger d’une société française et a son domicile hors de France. Ce salarié bénéficie du régime de protection correspondant à son lieu habituel de travail.

Ainsi, dans un arrêt du 28 mars 2018, un salarié a été engagé en qualité de commercial pour l’Allemagne par une entreprise dont la liquidation judiciaire a été prononcé par le tribunal de commerce de Montpellier, il demandait que sa créance soit fixée et garantie par l’AGS.

Sa demande a été rejetée en appel. Selon les juges du fond, l’institution compétente pour la garantie des créances impayées des salariés est celle de l’Etat membre sur le territoire duquel le salarié exercent habituellement son travail, en l’occurence il s’agit de l’Allemagne.

La Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel en considérant que :

« selon l’article 8 bis de la directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, devenu l’article 9 de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, lorsqu’une entreprise ayant des activités sur le territoire d’au moins deux Etats membres se trouve en état d’insolvabilité, l’institution compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs est celle de l’Etat membre sur le territoire duquel ils exercent ou exerçaient habituellement leur travail ; que, si cette disposition ne s’oppose pas, eu égard à l’article 11 de la directive 2008/94/CE, à ce qu’une législation nationale prévoit qu’un travailleur puisse se prévaloir de la garantie salariale, plus favorable, de l’institution nationale, conformément au droit de cet Etat membre, l’article L. 3253-6 du code du travail se borne à imposer à tout employeur de droit privé d’assurer ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en cas de liquidation judiciaire. »

Et enfin la Haute juridiction estime que la Cour d’appel a exactement déduit que le salarié domicilié en Allemagne y avait été recruté et y avait toujours exercé son activité, en application de l’article L3253-6 du Code du travail, il ne pouvait se prévaloir de la garantie plus favorable de l’institution nationale française et qu’il n’était ni expatrié ni en position de détachement [5].

En somme, pour pouvoir bénéficier de la garantie de l’AGS, dans l’hypothèse où une société, ayant son siège social en France, est mise en redressement ou liquidation judiciaire, le salarié doit avoir un lien suffisant avec la France, c’est-à-dire, qu’il doit avoir son domicile habituel en France, il doit avoir le statut de détaché ou d’expatrié, et enfin, il doit avoir été recruté en France.
Tout autre rattachement est inopérant.

Dalila Madjid Avocat au Barreau de Paris [->dalila.madjid@avocat-dm.fr] https://dalilamadjid.blog http://www.avocat-dm.fr/

[1Lire à ce sujet cet article.

[2CasS. soc. 4 déc. 2012 n°11-22166.

[3Arrêt du 16 décembre 1999 C 198 / 98 J…C / K…

[4Cass. soc. 2 juillet 2002 n°99-46140.

[5Cass. soc. 28 mars 2018, n°16-19086.