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Avocat et victime d’un accident médical : où demander l’indemnisation du préjudice ? Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : jeudi 19 novembre 2020
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Depuis presque deux décennies suivant la publication de la loi du 4 mars 2002, la jurisprudence a montré les nombreuses contestations pouvant survenir notamment quant à son application en matière d’accidents médicaux non fautifs indemnisables par l’ONIAM y compris ceux survenus lors de manoeuvres pratiquées par un gynécologue-obstétricien pendant un accouchement. La victime d’un accident médical et son avocat en droit de la santé doivent en tenir compte afin de choisir entre le juge et la CCI pour obtenir l’indemnisation du préjudice.

Pendant des années suivant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 [1], la saisine de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI devenue CCI mais les deux sigles seront utilisés ci-dessous indistinctement) par la victime était une démarche souvent motivée par la nouveauté du dispositif voire des encouragements des acteurs de santé qui avaient une nette préférence pour la voie amiable.

Presque deux décennies après la publication de cette loi quel doit être l’état d’esprit de la victime d’un accident médical et de l’avocat en droit de la santé ?

Cet article a pour objectif de donner des repères à ce titre (II) après avoir rappelé brièvement la procédure amiable devant la CRCI (I).

I. Procédure de la CCI statuant en formation de règlement amiable (articles L1142-1 à L1142-29 du code de la santé publique) [2].

1) Qui peut demander l’indemnisation devant la CCI ?

Aux termes de l’article L1142-7 du code de la santé publique, peut saisir la CCI d’une demande d’indemnisation toute victime [3] d’un accident médical, d’une affection iatrogène (effet indésirable d’un traitement) ou d’une infection nosocomiale (infection contractée dans un établissement de santé) qui a subi un dommage consécutif à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisé à compter du 5 septembre 2001.

Encore faut-il que cette demande soit recevable auprès de la CRCI au regard notamment de la gravité du dommage et de son imputabilité à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Suivant les dispositions de l’article D1142-1 du code de la santé publique, la procédure devant la CRCI est ouverte aux victimes ayant subi : tantôt une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieure à un taux de 24% (ou un décès), tantôt un arrêt temporaire des activités professionnelles pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, tantôt des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50%, tantôt, à titre exceptionnel, l’inaptitude à exercer son activité professionnelle ou des troubles particulièrement graves dans ses conditions d’existence [4].

2) Demande de la victime et la procédure amiable.

La demande initiale comprend le formulaire de demande d’indemnisation (CERFA 12245*03), une description des faits et les pièces visées dans la fiche pratique qui accompagne le formulaire. Elle doit être envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception (ou sinon par dépôt contre récépissé) à la CCI compétente pour la région dans laquelle a été réalisé l’acte de prévention, de diagnostic ou de soins.

Certaines pièces exigées dans la fiche pratique se trouvent dans le dossier médical qui doit faire l’objet d’une demande de communication. A cette fin, la victime d’un accident médical peut dorénavant télécharger en ligne sa lettre de demande du dossier médical [5].

La CRCI vérifie la recevabilité de la demande notamment si le préjudice subi est au-dessus du seuil de gravité et s’il est directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins étant ajouté qu’en cas de doute elle peut demander à un expert de se prononcer. Dans le cas où la demande serait recevable, la CRCI désigne un expert (ou des experts) qui convoquera la victime et les acteurs de santé à une réunion d’expertise contradictoire.

A partir du moment où le dossier est complet et le rapport d’expertise est déposé, la CCI aura 6 mois pour rendre un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue des dommages subis ainsi que le régime d’indemnisation applicable.

Dans le cas d’un avis positif d’un accident médical non fautif, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) fait une proposition d’indemnisation à la victime dans un délai de 4 mois. En cas d’acceptation de la proposition, la victime reçoit son indemnisation dans un délai d’un mois. En cas de refus, la victime peut saisir le juge compétent.

De la même manière, dans le cas d’un avis positif d’un accident médical fautif, l’assureur du professionnel de santé en cause fait une proposition d’indemnisation dans un délai de 4 mois. En cas d’acceptation de la proposition, la victime reçoit son indemnisation dans un délai d’un mois. De même, en cas de refus, la victime peut saisir le juge compétent.

En cas de silence ou de refus de l’assureur de faire une offre, l’ONIAM est substitué à l’assureur sur demande de la victime en ce sens envoyée à l’ONIAM par lettre recommandée avec accusé de réception étant précisé qu’en cas de refus écrit de l’assureur il faut y joindre une copie du courrier.

II. Où demander l’indemnisation d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale ?

Avant de répondre à cette question, la victime d’un accident médical et l’avocat peuvent tenir compte des points suivants.

1) Condition légale des conséquences anormales d’un accident médical non fautif.

Dans le cadre de l’application du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique relatif à l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la condition de l’anormalité des préjudices imputables à un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale est problématique en raison de la difficulté de distinguer entre les préjudices normaux et anormaux [6].

Heureusement en 2014 le Conseil d’Etat a élaboré une jurisprudence qui comporte des précisions utiles sur cette distinction [7] :

« Considérant que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».

Dans des termes identiques, la Cour de cassation a suivi cette approche par un arrêt rendu le 15 juin 2016 [8].

Selon cette jurisprudence, pour apprécier la condition d’anormalité du préjudice, il convient de rechercher si les conséquences de l’acte médical étaient notablement plus graves que celles de l’évolution naturelle de la pathologie de la victime. A défaut, il faut déterminer si la survenance du dommage présentait une probabilité faible. La limite supérieure de la probabilité faible est difficile à cerner mais la jurisprudence permet de dégager un chiffre autour de 5 % [9].

Dans un arrêt récent du 13 novembre 2020 mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a décidé que les conséquences sont notablement plus graves

« alors même que la victime aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l’évolution prévisible de sa pathologie » [10].

Cependant, en cas d’absence de conséquences notablement plus graves, il restait le problème de la méthode de l’appréciation de la probabilité de la survenance du dommage afin de savoir si celle-ci est faible. S’agit-il d’une probabilité générale ou spécifique ?

Il fallait attendre octobre 2018 pour que le Conseil d’État donne une réponse à cette question [11].

Dans cet arrêt mentionné dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a décidé :

« Considérant que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; que, pour juger que la survenance du dommage subi par M. A... ne présentait pas une probabilité faible, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que l’intéressé se trouvait exposé, compte tenu de l’intervention chirurgicale pratiquée, à un risque d’hémorragie présentant une probabilité de 20% ; qu’en se fondant sur la probabilité générale de subir une hémorragie lors d’une telle intervention, au lieu de se fonder sur le risque de survenue d’une hémorragie entraînant une invalidité grave ou un décès, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé ».

Ainsi la probabilité analysée est spécifiquement celle d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.

En 2019, la Cour de cassation a suivi cette décision de son homologue administratif [12].

La solution est d’impact majeur car il y a souvent une grande différence entre la probabilité générale (tous préjudices confondus) et celle du risque spécifique d’invalidité grave ou de décès.

Cependant, les chiffres peuvent varier sensiblement selon les publications ce qui est source de contestations.

Une procédure amiable est moins adaptée qu’une procédure judiciaire à de telles contestations. Dans cette hypothèse, le juge devient l’interlocuteur naturel de la victime d’un accident médical non fautif.

2) Accident médical subi dans une maternité.

Depuis 2019 l’accident médical non fautif subi lors de manœuvres obstétricales peut bénéficier d’une indemnisation par l’ONIAM (a). En outre, le lien de causalité est devenu plus complexe dans le cadre d’un accident médical, fautif ou non fautif, subi pendant l’accouchement et la naissance d’un enfant handicapé (b).

a) Manœuvres obstétricales.

Avant 2019 l’accouchement dans une maternité était considéré comme un processus physiologique qui n’était pas un acte de soins et ne pouvait ainsi donner lieu à une indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale y compris lorsque des manœuvres ont été pratiquées par un gynécologue-obstétricien et parfois par une sage-femme.

Par un arrêt rendu le 19 juin 2019 la Première chambre civile de la Cour de cassation en a décidé autrement [13] :

« Mais attendu que, si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L1142-1 du code de la santé publique ».

Le juge administratif a suivi cette solution [14].

Il en résulte que les manœuvres pratiquées par le gynécologue-obstétricien lors d’une dystocie des épaules et les extractions instrumentales par forceps ou ventouse sont désormais des actes de soins. Dans le cas où les autres conditions du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique seraient remplies, les préjudices subis ouvrent droit à l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Il n’en demeure pas moins que ces préjudices donnent lieu à des contestations fréquentes difficilement compatibles avec une procédure amiable.

b) Lien de causalité de l’infirmité motrice cérébrale.

La détermination de l’origine d’une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC) est complexe en raison des nombreux critères relatifs au lien de causalité entre une anoxie cérébrale du fœtus (« souffrance fœtale ») et une IMOC, appelée aussi paralysie cérébrale (PC).

Ces critères font également l’objet de contestations fréquentes en raison de l’évolution des données acquises de la science médicale. Par exemple, le seuil du pH au cordon qui traduit une anoxie fœtale, un critère important car objectif, apparaît trop bas au regard des données récentes [15] [16]. Or, il n’est plus possible d’apprécier cette question d’un point de vue strictement médico-légal car les nouveau-nés sont sélectionnés pour l’hypothermie thérapeutique sur la base de ce critère lorsqu’un prélèvement au cordon a été effectué.

Vu cette complexité, source de contestations, une procédure amiable est moins adaptée qu’une procédure judiciaire. Dans ces conditions, le juge devient à nouveau l’interlocuteur naturel de la famille d’un enfant IMOC à la suite d’un accident médical, fautif ou non fautif, survenu dans une maternité.

3) Quantum de la perte de chance.

En cas de faute, les experts ont recours souvent au préjudice spécifique de la perte de chance lorsqu’il y a une incertitude sur le lien de causalité direct et certain [17]. Dans ce cas, l’indemnisation de la perte de chance correspond à une fraction des différents préjudices subis.

Malheureusement l’importance de la perte de chance retenue par l’expert est souvent insuffisante aux yeux de la victime et de l’avocat spécialisé en droit de la santé.

La victime doit alors contester le quantum de la perte de chance, laquelle contestation trouve sa place naturelle devant le juge.

4) Souci de la meilleure indemnisation.

Lors d’une éventuelle proposition d’indemnisation en cas d’avis positif de la CRCI, la victime doit se contenter de la position du régleur de la compagnie d’assurance en cas d’accident médical fautif ou du référentiel d’indemnisation de l’ONIAM en cas d’un accident médical non fautif. A ce titre, certains points peuvent poser une difficulté.

a) Barème de capitalisation.

Le 15 septembre 2020, la Gazette du Palais a publié l’actualisation de son barème de capitalisation avec un taux de 0% ce qui tient compte de la conjoncture économique actuelle et du taux d’inflation nécessaire pour préserver le pouvoir d’achat du capital alloué à la victime [18].

A l’heure actuelle, la table de capitalisation du dernier référentiel de l’ONIAM se sert d’un taux trop élevé au regard de la conjoncture économique. Il en va de même des taux du barème BCRIV des assureurs [19].

Le choix de la voie de recours de la victime d’un accident médical ou de son avocat en droit de la santé en tiendra compte dans le cas où l’indemnisation dépendrait de la capitalisation de préjudices futurs.

b) Tarif horaire de la tierce personne.

Dans le cadre d’une proposition d’indemnisation après un avis positif de la CRCI, le tarif horaire de la tierce personne peut être nettement inférieur à celui retenu par le juge judiciaire. L’écart peut se creuser davantage lorsque la victime verse aux débats des factures probantes par exemple du tarif horaire en mode prestataire. En revanche, ce raisonnement n’est pas toujours applicable devant le juge administratif [20].

Le choix de la voie de recours de la victime ou de son avocat en tiendra compte dans le cas où une assistance par tierce personne serait nécessaire.

c) Perte de gains professionnels, perte de chance professionnelle, incidence professionnelle.

Il en va de même pour ces postes de préjudice qui donnent lieu à des contestations fréquentes.

III. Conclusion.

Pour une affaire simple qui ne pose pas de difficulté particulière, la procédure de la CRCI peut être un choix avantageux. En effet, elle est relativement rapide par rapport à celle devant le juge et évite les voies de recours à l’encontre de la victime en cas d’acceptation de la proposition d’indemnisation par celle-ci.

En outre, l’ONIAM prend en charge le coût des missions d’expertise étant observé que la victime a souvent souscrit une garantie de protection juridique qui prend en charge les frais d’expertise devant le juge.

En revanche, en cas de contestations, complexités ou préoccupations prévisibles, comme celles évoquées dans le présent article, le litige concernant la victime d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale trouve sa place naturelle devant le juge comme la jurisprudence citée le montre.

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

[2Il ne sera pas question ici de la CCI statuant en formation de conciliation.

[3Ou son ayant droit en cas de décès ou son représentant légal en cas de mineur ou majeur protégé.

[4La victime de dommages subis à l’occasion de recherches biomédicales peut être indemnisée sans conditions de gravité.

[6Quant aux préjudices indemnisables par l’ONIAM, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article L1142-1-1 du code de la santé publique ouvrent droit à réparation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale les dommages résultant d’infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l’article L1142-1 correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25% déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.

[7CE 5e/4e SSR 12 déc. 2014, n° 355052.

[8Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824.

[9Idem.

[10CE 5e/6e CR 13 nov. 2020, n° 427750.

[11CE 5e/6e CR 15 oct. 2018, n° 409585.

[12Civ. 1e, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20883.

[13Civ. 1e, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20883.

[14CAA Nancy, 3e chambre, 3 mars 2020, n°18NC00386

[15Vesoulis ZA, Liao SM, Rao R, Trivedi SB, Cahill AG, Mathur AM. Re-examining the Arterial Cord Blood Gas pH Screening Criteria in Neonatal Encephalopathy. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed. 2018 ; 103(4) : F377–F382.

[16Yeh P, Emary K, Impey L. The relationship between umbilical cord arterial pH and serious adverse neonatal outcome : analysis of 51 519 consecutive validated samples. BJOG 2012 ;119:824–831.

[17Civ. 1e, 7 décembre 2004, pourvoi n° 02-10957.

[18Gaz. Pal. 15 septembre 2020, n° hors-série.

[19D Philopoulos. Nouveau barème de capitalisation (BCRIV) proposé par les assureurs : les taux ne sont pas conformes aux exigences de l’EIOPA, Gaz. Pal. 18 juill. 2017, n° 298t5, p. 18.

[20CE 5e/6e CR 25 mai 2018, n° 393827