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La participation au service public au centre de la notion de contrat administratif. Par David Taron, Avocat.
Parution : mercredi 25 novembre 2020
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Bien que le législateur soit plusieurs fois intervenu afin de définir la qualification juridique de catégories entières de contrat, il demeure des cas où une analyse au prisme des critères dégagés par le jurisprudence s’impose.

Cela permet de constater que le service public demeure certainement la pierre angulaire de la notion de contrat administratif.

En dépit des interventions du législateur visant à procéder à la fixation du régime juridique - droit privé ou droit administratif - applicable à de nombreux contrats, demeurent des incertitudes qui impliquent une analyse au regard des critères prétoriens que l’on peut qualifier de « classiques », à savoir la présence de clauses exorbitantes du droit commun, la participation au service public et l’existence d’un régime exorbitant du droit commun.

Revenons brièvement sur chacun de ces critères.

La notion de clause exorbitante du droit commun s’attache aux modalités d’exécution du contrat et tire son origine dans la jurisprudence Granits porphyroïdes des Vosges [1].

Le critère de la participation au service public a, pour sa part, trait à l’objet du contrat et renvoie à la question suivante : le contrat participe-t-il à l’exécution d’une mission d’intérêt général assumée ou assurée par une personne publique ? C’est la jurisprudence Epoux Bertin [2], qui a systématisé ce critère.

Enfin, la référence au régime exorbitant du droit commun procède de l’idée selon laquelle un contrat est administratif quand il « baigne » dans un environnement qui le détache des relations contractuelles de droit commun. L’exemple le plus connu est celui de l’obligation qui pèse sur l’opérateur historique d’acheter d’électricité produite par les producteurs autonomes [3].

L’importance de chacun de ces critères est variable et on peut observer que le critère de la clause exorbitante du droit commun est de plus en plus utilisé avec parcimonie en tant que critère discriminant. Il en est de même du critère relatif à l’existence d’un régime exorbitant du droit commun. On peut ici y voir une convergence du droit commun des contrats et de l’action administrative.

Pour cette dernière, il semble bien que ce soit le service public qui fonde en premier lieu l’application du droit administratif et donc la compétence des juridictions administratives.

Une décision récente du tribunal des conflits [4] milite à première vue en faveur de cette analyse.

Dans cette affaire, le tribunal des conflits avait à se prononcer sur la qualification d’un contrat conclu entre une société publique locale d’aménagement (SPLA), société à capitaux exclusivement publics agissant pour le compte de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix, et l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), établissement public d’Etat à caractère administratif. L’objet de ce contrat était la réalisation de fouilles préventives et ce, préalablement à la réalisation d’une zone d’aménagement concertée. Le donneur d’ordre était la SPLA qui avait par ailleurs la qualité de pouvoir adjudicateur.

Ce contrat avait été contesté par une société qui estimait avoir été illégalement évincée du processus d’attribution dudit contrat. On rappellera en effet que les prestations en cause entrent dans le champ de la commande publique.

Saisi en première instance, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté la requête de la société candidate à l’attribution du contrat. En cause d’appel, la Cour administrative d’appel de Marseille avait considéré que la question de sa compétence soulevait une difficulté sérieuse [5]. C’est dans ces conditions que le tribunal des conflits a eu à se prononcer.

Pour défendre la soumission du contrat au droit administratif, l’INRAP faisait valoir que : 1) le contrat comportait des clauses exorbitantes du droit commun et 2) qu’il s’inscrivait dans un contexte exorbitant.

En effet, le contrat prévoyait que la SPLA pouvait unilatéralement résilier le contrat. De plus, il s’inscrivait dans le cadre d’une opération de fouilles, opération reposant sur un contrat de fouilles réglementé par la puissance publique.

Ceci étant, pour le tribunal des conflits, ces arguments n’étaient pas suffisamment pertinents pour permettre la qualification d’un contrat administratif. Cette qualification n’était en effet possible qu’au regard de la notion de service public.

1) La clause exorbitante et le régime exorbitant écartés par le tribunal des conflits.

La position du tribunal des conflits est, en l’occurrence, des plus claires :

« Si un contrat passé entre une personne publique et une personne privée qui comporte une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, est un contrat administratif, la circonstance que le contrat litigieux, passé entre la SPLA Pays d’Aix territoires et l’INRAP, comporte des clauses conférant à la SPLA des prérogatives particulières, notamment le pouvoir de résilier unilatéralement le contrat pour motif d’intérêt général, n’est pas de nature à faire regarder ce contrat comme administratif, dès lors que les prérogatives en cause sont reconnues à la personne privée contractante et non à la personne publique ».

S’agissant de la notion de régime exorbitant, le tribunal des conflits n’apporte aucune véritable explication. On peut le regretter même si, à l’examen, la seule sujétion exorbitante semble être celle tenant à l’obligation de réaliser des fouilles préventives, chose qui n’a pas de lien direct avec la qualification du contrat par lequel le prestataire en charge des fouilles est choisi.

Pour ce qui concerne le critère de la clause exorbitante, la juridiction a entendu préciser la portée de sa jurisprudence SA AXA France Iard [6] selon laquelle les clauses exorbitantes du droit commun

« ne s’entendent pas seulement de celles qui seraient impossibles ou illicites dans un contrat de droit privé mais également de celles qui n’y sont pas usuelles ou habituelles ».

Or, dans les contrats de droit privé, il est maintenant incontestable que la clause de résiliation unilatérale est largement admise et ce, au nom de la prohibition des engagements perpétuels [7]. Elle n’a donc plus grand-chose d’exorbitant.

Mais elle demeure malgré tout consubstantielle à la notion de contrat administratif [8] … pourvu que son bénéficiaire soit une personne publique.

En l’espèce, la SPLA étant une personne morale de droit privé - certes avec des capitaux publics - il convenait de considérer, selon le tribunal des conflits, que la clause de résiliation unilatérale n’était pas exorbitante.

La solution ainsi dégagée n’avait rien d’évident dans la mesure où il résulte des articles L327-1 et L327-2 du code de l’urbanisme que les sociétés publiques locales d’aménagement sont le « faux nez » des collectivités territoriales actionnaires.

Aussi, il aurait pu être considéré que la SPLA ici en question était transparente à l’égard de la personne publique à l’initiative de la concession d’aménagement (i.e. la communauté d’agglomération du Pays d’Aix), ce qui aurait pu amener à considérer que la clause de résiliation unilatérale profitait in fine à cette personne publique. C’est d’ailleurs ce que faisait valoir la SPLA auprès du tribunal des conflits.

Force est de constater que le tribunal des conflits a privilégié une approche formelle en s’abstenant d’aller au-delà de la nature juridique de la SPLA, limitant par là même l’incidence de la clause de résiliation unilatérale sur la qualification du contrat. En ce sens, il semble avoir suivi la Cour administrative d’appel de Marseille (point n°6 de l’arrêt du 15 juin 2020 précité :

« Il résulte, en troisième lieu, de l’instruction que ni la concession d’aménagement de la zone d’aménagement concerté de la Burlière, ni les statuts de la SPLA Pays d’Aix territoires, ni les dispositions de l’article L327-1 du code de l’urbanisme ne confèrent à cette société un mandat général ou spécifique en vue d’agir au nom et pour le compte de la communauté d’agglomération du pays d’Aix puis de la métropole Aix-Marseille Provence, autorités concédantes. Le marché ne peut donc être regardé comme ayant été conclu pour le compte d’une personne publique, alors même que les personnes publiques actionnaires de la SPLA Pays d’Aix territoires exerceraient sur celle-ci un contrôle analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services »).

2) Le service public comme critère discriminant pour le tribunal des conflits.

Faute de clause exorbitante du droit commun, le contrat conclu entre la SPLA et l’INRAP était-il pour autant un contrat de droit privé ? - Assurément non si l’on se réfère à son objet, lequel consistait en la réalisation de fouilles d’archéologie préventive préalables aux travaux d’une zone d’aménagement concerté.

Comme l’a relevé le tribunal des conflits, l’archéologie préventive est définie à l’article L521-1 du code du patrimoine. Ce texte dispose ainsi qu’elle pour objet « d’assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l’étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l’aménagement » ainsi que « l’interprétation et la diffusion des résultats obtenus ». Ce même texte précise que l’archéologie préventive « relève de missions de service public ».

Au-delà de cette définition légale, le tribunal des conflits a constaté qu’en matière d’archéologie préventive les autorités étatiques jouent un rôle déterminant puisque l’article L522-1 du code du patrimoine dispose que l’Etat veille « à la cohérence et au bon fonctionnement du service public de l’archéologie préventive » et exerce « la maîtrise scientifique des opérations d’archéologie préventive ». Et si plusieurs opérateurs peuvent réaliser des fouilles archéologiques, la possession d’un agrément délivré par l’Etat est nécessaire quand l’opérateur considéré est une personne privée.

Clairement, les missions d’archéologie préventive constituent des missions d’intérêt général placées sous le contrôle de l’Etat et sont, dès lors, un service public selon la définition qu’en avait donné le professeur Chapus.

C’est donc fort logiquement que la juridiction en a conclu que :

« le législateur a entendu créer un service public de l’archéologie préventive et a notamment, dans ce cadre, chargé l’INRAP de réaliser des diagnostics d’archéologie préventive et d’effectuer, dans les conditions prévues par le code du patrimoine, des fouilles. Il suit de là que le contrat par lequel la personne projetant d’exécuter les travaux qui ont donné lieu à la prescription, par l’Etat, de réaliser des fouilles d’archéologie préventive confie à l’INRAP, établissement public, le soin de réaliser ces opérations de fouilles a pour objet l’exécution même de la mission de service public de l’archéologie préventive »

Le tribunal prend soin de préciser ensuite que les fouilles objet du contrat litigieux présentent, à partir du moment où elles sont réalisées par l’INRAP, le caractère de travaux publics, chose logique à partir du moment où, selon la jurisprudence Effimief, énonce qu’un travail effectué par une personne publique dans le cadre d’une mission de service public peut être considéré comme un travail public [9].

Cette nouvelle décision du tribunal des conflits illustre avant tout le fait que la notion de clause exorbitante s’avère de plus en plus floue, en particulier quand il est question de résiliation unilatérale.

Pour autant, il serait hâtif de conclure à l’obsolescence de cette notion, la solution dégagée dans l’arrêt du 2 novembre 2020 étant largement dictée par la nature juridique du maître d’ouvrage. Si celui-ci avait été une personne publique, il y a fort à parier que l’existence d’une clause exorbitante aurait été retenue.

Il n’en demeure pas moins que l’analyse de l’objet du contrat demeure essentielle. Outre qu’elle renseigne sur la nature juridique du contrat, elle permet également de déterminer le régime de responsabilité applicable en cas de dommage lié à l’exécution des prestations stipulées.

Il faut donc veiller à ne pas surinterpréter une décision qui, loin de marginaliser définitivement la notion de clause exorbitante du droit commun, en précise la portée.

David TARON Avocat au Barreau de Versailles

[1CE, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des Vosges Rec. 909.

[2CE, 20 avril 1956, Epoux Bertin, n°98637.

[3CE Sect., 19 janvier 1973, société de la rivière du Sant, n°82338.

[4T. confl. 2 novembre 2020, société Eveha, n°4196.

[5CAA Marseille, 15 juin 2020, n°19MA00013.

[6T. confl., 13 octobre 2014, SA AXA France Iard, n° 3963.

[7Const., 9 novembre 1999, DC n° 99-419. Depuis la réforme du 10 février 2016, l’article 1212 du code civil dispose également que : « lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

[8CE, ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, n°32401 ; pour une application aux contrats de la commande publique, voir l’article L6 du code de la commande publique.

[9T. confl., 28 mars 1955, Effimieff, n°01525.