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Réagir face aux violences conjugales : l’ordonnance de protection. Par Johanna Bouhassir, Avocat.
Parution : jeudi 26 novembre 2020
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La cellule familiale est souvent représentative d’un espace de rencontres et d’interactions au sein d’un lieu en principe sécurisé.
Si le confinement dû à l’épidémie Covid-19 a eu pour principal objectif la protection de l’ensemble de la population par une mise à l’isolement forcée, cela n’a pas été sans conséquences pour de nombreuses familles. En effet pour un grand nombre de victimes de violences conjugales le confinement a sonné le glas de l’enfermement avec leur bourreau.
Plus de 44 000 appels au 3919 ont été émis par des femmes victimes sur la période mars-mai 2020.

La loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 a mis en place un dispositif civil d’urgence par l’instauration de l’ordonnance de protection délivrée par le Juge aux Affaires Familiales aux personnes victimes de violences au sein du couple.

Dans cette lignée, la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 est venue renforcer les moyens de lutte contre les violences et leur incidence au sein de la famille.

L’analyse du dispositif de l’ordonnance de protection permettra d’en appréhender les rouages. Les mesures relatives à la protection des victimes de violences sont codifiées au Titre 14 du Code Civil en vertu des dispositions des articles 515-9 et suivants.

Afin de prévenir toute interprétation restrictive et protéger un grand nombre de victimes les dispositions ont été définies largement.

Ainsi les personnes concernées par les dispositions de l’ordonnance de protection sont les victimes de violences ainsi que leurs enfants.

L’auteur des faits est défini comme auteur des faits actuels ou ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, compagnon.

Il est important de soulever que l’absence de cohabitation des membres du couple ne fait pas obstacle à la délivrance d’une ordonnance de protection.

De plus la nature des violences est entendue largement comme psychologiques, physiques, économiques ou sexuelles.

Ainsi le Juge aux Affaires Familiales du lieu de résidence du couple, saisi par voie de requête, délivre l’ordonnance de protection s’il estime au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus qu’« il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».

La notion de violences est ainsi soumise à l’appréciation souveraine du Juge.

C’est pourquoi l’un des préalables à la saisine du Juge est la réunion de preuves affirmant au minima la vraisemblance et la véracité des faits notamment par le récépissé de dépôt ou le procès-verbal de main-courante/plainte, les certificats médicaux (blessures, ITT, dépression, stress post traumatique…), arrêts de travail attestations.

A l’occasion de la délivrance de l’ordonnance de protection le Juge aux affaires familiales est compétent notamment pour :
- Interdire à l’auteur des violences de recevoir, de rencontrer, d’entrer en relation avec la victime, de quelque façon que ce soit ;
- Lui interdire de se rendre dans certains lieux dans lesquels se trouve de façon habituelle la victime (lieu de travail) ;
- Statuer sur la résidence séparée des époux. La jouissance du logement conjugal est attribuée, sauf circonstances particulières, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence ;
- Se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par PACS ou de concubins ;
- Se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, les modalités du droit de visite et d’hébergement, la contribution aux charges du mariage, l’aide matérielle pour les partenaires d’un PACS et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
- Autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la représente ou auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire pour toutes les instances civiles dans lesquelles elle est également partie.

Lorsque le juge délivre une ordonnance de protection, il en informe sans délai le Procureur de la République, auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants.

Selon le décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 l’ordonnance de protection est délivrée, par le Juge aux Affaires Familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience. Ce délai commence à courir le lendemain de la fixation de la date d’audience.

Il est prorogé au premier jour ouvrable suivant s’il expire un samedi, dimanche ou jour férié.

Les mesures prononcées ont une durée maximale de six mois qui peuvent être prorogées au-delà par l’introduction en justice d’une requête en divorce, en séparation de corps, ou d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale.

Le fait, pour une personne faisant l’objet d’une ou plusieurs obligations ou interdictions imposées dans une ordonnance de protection rendue en application des articles 515-9 ou 515-13 du code civil, de ne pas se conformer à cette ou ces obligations ou interdictions est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende [1].

Les victimes sont sous le prisme de l’ordonnance de protection protégées de leur agresseur leur laissant ainsi le temps de s’organiser et réfléchir aux suites à donner.

Le législateur a ainsi donné au Juge aux Affaires familiales des moyens pour lutter contre les violences conjugales sur le plan civil indépendamment de la sphère pénale.

Maître BOUHASSIRA Johanna Avocat au Barreau de Paris 49 Avenue Foch 75116 Paris [->jbouhassira.avocat@gmail.com]

[1Article 227-4-2 du code pénal.