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Liberté de culte et état d’urgence sanitaire. Par Olivier Grunenwald, Juriste.
Parution : jeudi 26 novembre 2020
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Comme nous le disait le professeur Rivero : « L’attitude choisie à l’égard des croyances religieuses est celle qui engage sans doute le plus profondément le comportement de l’homme » (J. Rivero, Les libertés publiques, Thémis droit public, PUF). Le juge administratif est de nouveau amené à se positionner sur une mesure concernant la liberté de culte, va-t-il se positionner comme au printemps dernier ?
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

A l’occasion du second confinement lié à la seconde vague du coronavirus, le juge administratif a eu à se positionner encore une fois sur la liberté de culte. A la suite de l’ordonnance de mai dernier, intimant au gouvernement de revoir sa position sur la restriction apportée à la liberté de culte, [1], ce dernier est à nouveau saisi de la même question dans un contexte sanitaire fort différent.

Le juge du Palais Royal était saisi d’un référé liberté [2] contestant la légalité de la restriction apportée à la liberté de culte (plus précisément à l’article 47 du décret du 29 octobre 2020 n°2020-1310 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire) décidée par le Gouvernement pour limiter la propagation du virus en France.

I) Rappel quant à la liberté de culte :

La liberté de culte est une composante de la liberté religieuse. Cette dernière est composée à la fois d’une composante individuelle, la liberté de conscience permettant ainsi à chacun de décider s’il veut croire ou de ne pas croire et d’adhérer à la religion qu’il souhaite le cas échant, et à la fois d’une composante collective, la liberté de culte. Cette dernière est la faculté offerte à chacun de pouvoir se retrouver à plusieurs dans le but d’extérioriser sa foi.

Elle se réalise le plus souvent dans un espace public qui lui est réservé, comme une église, une mosquée, une synagogue, un temple... Mais elle peut aussi s’effectuer dans la rue, par exemple une procession... A noter que les prières de rue sont soumises au régime de la déclaration préalable [3].

La liberté de culte est garantie à la fois constitutionnellement (rattachée à la liberté religieuse entre autres prévue à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), et conventionnellement [4]. La liberté de culte est prévue au niveau législatif par la loi sur la laïcité de 1905 (loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat), et par des textes spéciaux pour les départements composant l’Alsace et la Moselle (Convention passée à Paris le 26 messidor n IX entre le pape et le gouvernement français, loi 18 germinal an X...).

II) Liberté de culte, liberté fondamentale pour le Conseil d’Etat :

En matière de référé liberté, il est nécessaire que soit mise en jeu une liberté que le Conseil d’Etat ait reconnu précédemment comme liberté fondamentale. Ce qui est le cas en l’espèce puisqu’en 2001 : le Conseil d’Etat avait accepté de se positionner sur cette liberté, la concernant ainsi comme liberté fondamentale [5]. C’est ce qu’il rappelle d’ailleurs dans cette décision : « La liberté de culte présente le caractère d’une liberté fondamentale » (considérant 10).

III) Liberté restreinte de manière manifestement grave et illégale pour les requérants :

Pour les requérants, l’exercice de cette liberté, c’est à dire la manifestation publique et collective du culte, devait pouvoir se réaliser. Pour eux, le simple respect des gestes barrières, à savoir la distanciation sociale, le port du masque, le lavement des mains au gel hydroalcoolique... était suffisant et n’avait jusqu’à présent pas exposé autrui à un risque trop important pour sa santé. Il est tout à fait légitime de se poser la question et de s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure de restriction.

IV) Décision sage de suivre l’avis du comité de scientifiques :

Le Conseil scientifique (appelé aussi autrement Conseil scientifique covid-19 ou encore le comité de scientifiques, il est prévu par la loi n°2020 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et par le décret du 3 avril 2020 portant nomination des membres du comité de scientifiques constitué au titre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à l’épidémie de covid-19, et à l’article L3131-19 du code de la santé publique semble être l’organe étant le plus légitime pour se positionner sur cette question.

Les médecins, les personnels soignants, les pharmaciens, les scientifiques français... ont aussi un avis à ne pas prendre à la légère, mais la voix des requérants croyants ne semblent pas être la voix la plus appropriée pour dicter les solutions pratiques pour faire face à cette pandémie. Leur avis, bien évidemment, comme l’avis de tout citoyen est « entendable », c’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a estimé leur recours recevable, les conditions du référé-liberté étant réunies. Bien que la réponse à apporter à ce problème national semble être assez unanime par la communauté médicale, à l’exception de quelques médecins, le juge, non connaisseur, tout comme le politique d’ailleurs, préfère se ranger derrière la prudence et la précaution face aux risques mortels au pied de notre porte.

V) Le positionnement cohérent d’un Etat laïc face à la crise sanitaire :

La liberté de culte est une liberté fondamentale essentielle pour ces requérants. Ils en ont besoin pour vivre chaque jour, ils se nourrissent de leur foi et pour eux, rien ne justifie la restriction d’une telle liberté. Ils ne font pas forcément la distinction entre la sphère publique et privée et pour eux, la santé de l’âme est primordiale.

Cependant dans un Etat laïc, cette conception, parfois jugée « archaïque », est difficilement défendable.

D’ailleurs, si le juge ouvrait la porte à une telle brèche, pourrait-on ensuite justifier la fermeture d’autres lieux : lieu de rassemblement pour des associations, lieu des petits commerces, lieu de jeux, lieu de loisirs ? A noter, certains requérants arguaient d’une autre liberté fondamentale à l’appui de leur recours, celle de la liberté du commerce et de l’industrie. Ces deux libertés ne sont-elles pas égales au regard de la Constitution ?

Pour l’Etat laïc, neutre, toutes les religions sont perçues pareillement et se valent, et ne peuvent justifier un traitement particulier.

Pour l’Etat laïc, non croyant, la religion n’est pas supérieure à la protection de la santé. L’Etat ne peut donc pas commencer à se positionner favorablement par rapport aux religions et défavorablement par rapport à certains autres intérêts tout aussi importants dans la sphère publique laïque. Autoriser les réunions publiques religieuses et interdire d’autres réunions publiques n’aurait aucun sens et serait alors la porte ouverte peut-être à une rébellion générale, et sans doute aussi et sans doute plus sûrement à la fin de l’état d’urgence sanitaire dans une « cacophonie » sanitaire horrible et vraisemblablement très meurtrière.

Pour un Etat laïc, soit défenseur de toutes les libertés, la liberté de religion est sur le même niveau que la liberté du travail.

Cette décision sage semblait donc bien s’imposer au juge du Palais Royal. Une religion ne peut être perçue comme essentielle par un Etat non croyant, en comparaison à d’autres intérêts, comme celui de travailler, celui d’ouvrir certains petits commerces non essentiels, celui d’ouvrir les associations en réunissant tous les membres...

VI) Une décision bien rédigée et juridiquement parfaite :

Le Conseil d’Etat met en balance deux intérêts équivalents. D’un côté la liberté fondamentale de liberté de culte et de l’autre, l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. En d’autres termes, la restriction apportée à la liberté de culte serait justifiée par l’objectif de protection de la santé des français. Pour rappel, les objectifs de valeur constitutionnelle sont des « orientations dégagées par le Conseil constitutionnel données au législateur permettant au Conseil constitutionnel de limiter certains principes constitutionnels dans le but de rendre certains autres droits constitutionnels plus effectifs » [6]. Par exemple il s’agit de la sauvegarde de l’ordre public [7], de la recherche des auteurs d’infractions [8]...

Pour la Haute juridiction, cette restriction, mise en place par le décret de 2020 appliquant l’article L3131-12 du code de la santé publique est justifiée par cet intérêt prépondérant d’essayer de protéger la santé de tous.

Pour finir, le Conseil d’Etat adopte une position prudente et s’aligne sur celle choisie par le gouvernement. Il préfère ainsi restreindre la liberté au profit d’autres intérêts, ici celui de la protection de la santé. Néanmoins, cette restriction reste relative puisque les enterrements peuvent être célébrés dans la limite de trente personnes [9], les mariages dans la limite de six personnes [10], les offices religieux peuvent être retransmis par le biais d’un moyen de communication électronique...

En 2015, les libertés étaient restreintes en raison des menaces pesant sur l’ordre public à la suite de nombreux attentats, en 2020 elles sont restreintes en raison de la préservation de la santé publique. L’intérêt général semble l’emporter sur les intérêts individuels, à se demander si aujourd’hui il ne faudrait pas retourner la célèbre formule du commissaire du gouvernement Corneille : la liberté est l’exception et la restriction de police la règle [11].

Olivier Grunenwald Juriste en droit public des affaires

[1Ordonnance du 18 mai 2020 M. W... et autres n°440366, 440380, 440410, 440531, 440550, 440562, 440563, 440590.

[2Article L521-2 du code de justice administrative.

[3Décret-loi du 23 octobre 1935, codifié aujourd’hui aux articles L211-1 et suivants de code de la sécurité intérieure.

[4Article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, et article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[5CE., réf., 10 août 2001, Association La Mosquée, n°237004.

[6Fiche d’orientation Dalloz « Objectif de valeur constitutionnelle » - juin 2020.

[7Cons. Const., 27 juill. 1982, n°82-141DC.

[8Cons., const., 16 juill. 1996, n°96-377DC

[9L’’article 47 du décret du 29 octobre 2020 n°2020-1310.

[10Article 3 du décret du 29 octobre 2020 n°2020-1310.

[11Commissaire du gouvernement Corneille dans l’arrêt CE, 10 août 1917, n°59855, Baldy.