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Il y a ITT et ITT ! Par Natacha Haleblian, Avocate.
Parution : samedi 28 novembre 2020
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Par un arrêt du 5 mars 2020 (pourvoi n°19-12720), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle que l’Incapacité Totale de Travail – l’ITT au sens pénal - ne se confond pas avec l’Incapacité Totale de Travail Personnel prévue par l’article 706-3 du Code de procédure pénale.

En l’espèce, un prévenu a été condamné pour des violences volontaires ayant entraîné une Incapacité Totale de Travail (ITT) inférieure à 8 jours selon l’article 222-13 du Code pénal.

La victime avait saisi la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) afin d’être indemnisée de son préjudice.
Sa demande avait été déclarée irrecevable au motif que les faits n’avaient pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure ou égale à un mois tel que cela est prévu par l’article 706-3 du Code de procédure pénale.

Le 5 mars 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel en retenant que :

« En se déterminant ainsi, alors que l’autorité de chose jugée, attachée au jugement déclarant l’auteur des faits, dont M. E... a été victime, coupable de violences avec arme ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours, ne faisait pas obstacle à ce qu’il fût jugé que ces faits délictueux avaient entraîné, pour la victime, une incapacité totale de travail personnel, au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale, supérieure à l’ITT retenue par le juge répressif pour l’application du texte pénal d’incrimination, et qu’il lui appartenait, dès lors, de rechercher si l’incapacité totale de travail personnel subie par M. E... était égale ou supérieure à un mois, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »

Afin de comprendre les enjeux qui se sont posés, quelques précisions terminologiques s’imposent.

En effet, il n’est pas rare que nous utilisions l’acronyme ITT lorsque nous faisons référence à la qualification pénale devant une juridiction pénale ou à l’incapacité totale et/ou temporaire de la victime au plan médical.

Pourtant, ils ne renvoient pas à la même définition.

En effet, au sens pénal, l’ITT est une notion juridique permettant au magistrat d’apprécier la gravité des violences exercées.
L’ITT est quantifiée en fonction de « la durée pendant laquelle une victime éprouve une gêne notable dans les actes de la vie courante (manger, dormir, se laver, s’habiller, faire ses courses, se déplacer, se rendre au travail) ».

Seul le médecin légiste est habilité à évaluer l’ITT au sens pénal. Son évaluation aura une incidence puisqu’elle permettra d’identifier la gravité des faits et plus précisément de donner une qualification pénale à l’infraction (ITT inférieure à 8 jours, ITT supérieure ou égale à 8 jours, …)

Au sens civil ou médical, l’ITT fait référence à l’incapacité temporaire de travail qui permet d’évaluer le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire.

Il est défini par la nomenclature Dintilhac comme le poste de préjudice qui a pour objet d’indemniser :

« l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident jusqu’à la consolidation ».

Le débat portait donc sur le fait de savoir si l’ITT au sens pénal correspondait à l’ITT prévue par l’article 706-3 du Code de procédure pénale (CPP).

Autrement dit, les victimes de faits volontaires ayant entraîné une ITT au sens pénal inférieure à un mois entrent-elles dans le champ d’application de l’article 706-3 du CPP afin d’être indemnisées par la CIVI ?

Le Fonds de garantie soutient depuis plusieurs années une réponse par l’affirmative.

L’enjeu était de taille car en suivant le raisonnement du Fonds de garantie, cela aurait abouti à exclure du champ de la CIVI de nombreuses victimes qui subissent un préjudice conséquent et qui ne peuvent obtenir leur indemnisation autrement que devant cette juridiction notamment en raison de l’insolvabilité de leur auteur.

En répondant par la négative, la Cour de cassation opère donc une distinction entre l’infraction pénale dont l’existence doit être démontrée pour saisir la CIVI et l’ampleur du préjudice qui est naturellement distinct du fait infractionnel en lui-même.
Cette décision est bien heureuse mais était pressentie.
En effet, dans un arrêt du 19 novembre 2015 publié au bulletin (pourvoi n°14-25519), la deuxième chambre civile avait amorcé sa position en dressant les contours de l’Incapacité Temporaire Totale Personnel.

Natacha Haleblian, Avocate Associée de la SELARL HALEBLIAN AVOCATS Auteure du Guide des victimes d'infractions
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