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Comment améliorer l’employabilité des docteurs et doctorants en droit ?
Parution : jeudi 5 août 2021
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C’est le diplôme le plus élevé de l’enseignement supérieur français et pourtant l’entrée sur le marché du travail ne semble pas être un long fleuve tranquille. Trouver un emploi directement après avoir réussi sa soutenance n’est pas garanti pour beaucoup de thésards en droit. Une situation problématique qui interroge sur la manière dont le diplôme est valorisé, et sur les stratégies que doivent mettre en place les différents acteurs du projet professionnel du doctorant en droit pour qu’il trouve sa place.
Pour en parler, le Village de la Justice s’est tourné vers Richard Legrand, titulaire du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) et Docteur en Droit [1], et Yann-Maël Larher, également docteur en droit et avocat au barreau de Paris [2], ont accepté de nous donner leurs avis sur la problématique de l’employabilité des docteurs et doctorants en droit.

Une difficile employabilité des docteurs en droit.

Statistiquement, l’insertion professionnelle des docteurs en droit n’est pas simple. Même si Yann-Maël Larher n’a jamais réussi à trouver des chiffres officiels sur le doctorat en droit, il nous fait remarquer que « sur le site Thèses.fr, qui est actuellement la meilleure source notamment pour les années les plus récentes, on peut observer une baisse importante du nombre de thèses soutenues depuis 5 ans, corrélativement à une baisse du nombre d’inscriptions en thèse. En sciences humaines et sociales, le taux de financement est de seulement 38% contre 96% en sciences exactes. »
Richard Legrand souligne pour sa part que chaque année, « sur la base des estimations que nous faisons avec des échantillonnages au sein des écoles doctorales et écoles d’Avocat, près de 1 000 à 1 200 docteurs en droit sortent chaque année des 73 écoles doctorales. »

La qualité de la recherche française risque de souffrir de la baisse du nombre d’inscrits en doctorat.

Yann-Maël Larher s’alarme du fait que « la baisse prolongée du nombre des inscrits en doctorat peut avoir des répercussions notables à moyen terme sur la recherche publique dont ils constituent le vivier. En effet, la baisse du nombre des personnes attirées par la recherche induit une baisse de la qualité de la recherche française. Les meilleurs chercheurs préfèrent de plus en plus faire leur étude à l’étranger où ils trouvent les moyens et le soutien nécessaire à leurs travaux. C’est notamment le cas de Esther Duflo, dernier prix Nobel d’économie, qui a fait toute sa carrière aux Etats-Unis et qui doit donc sa réussite au système anglo-saxon plus qu’à la France. »

Il ajoute que, d’après la dernière étude sur "L’état de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°13 - Recherche & Innovation", « un an après l’obtention de leur doctorat en 2012, les docteurs en emploi sont 29 % à travailler à l’étranger. Les docteurs de nationalité étrangère sont 59 % à occuper un emploi dans un autre pays que la France. A contrario, l’expatriation des docteurs français est plus limitée : 17 % occupent un emploi à l’étranger. Trois ans après l’obtention de leur doctorat, ils sont un peu plus nombreux à travailler à l’étranger (31 %, contre 29 % au bout d’un an). »

Cette situation est paradoxale pour Yann-Maël Larher car « nous n’avons jamais eu autant besoin de la recherche pour résoudre les grands défis de notre époque, et les évolutions technologiques, écologiques, sociales ou sanitaires bousculent depuis quelques années des pans entiers du droit. »

Une formation doctorale trop théorique ?

Qu’est-ce qui explique cette faible employabilité ? Selon les personnes interrogées, la nature des sujets de thèse, à forte teneur académique dans bien des cas, apporte un début de réponse. En effet, en plus de leur faible propension à avoir une application pratique, les domaines choisis dans les sujets de thèse sont en plus victimes de carences de postes.

Ajoutons-y le dispositif du Crédit d’Impôt Recherche, qui est une aide fiscale pour les entreprises recrutant des jeunes docteurs, et qui représente donc « une bonne chose », mais qui est neutralisé par le fait que « les entreprises dans le domaine juridique ont souvent du mal à voir l’apport concret qu’un docteur pourra effectuer pour leurs activités », se désole Richard Legrand. « D’où la nécessité de revoir la nature des sujets de recherche choisis par les doctorants. »

Il existe un fossé entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise.

Cette inadéquation de la formation doctorale jugée trop théorique est à mettre en parallèle avec la problématique du fossé qui existe entre le monde universitaire et le monde des entreprises. Comme le rappelle Richard Legrand, « le travail de recherche pendant la préparation de la thèse est un travail solitaire. » Le docteur qui arrive par exemple au sein d’une école d’Avocats peut « se sentir perdu du fait du travail plus collectif qu’individuel et de la teneur plus théorique que pratique de son approche du droit développée pendant ses années de recherches. »

Yann-Maël Larher attire également notre attention sur le manque de pédagogie qui est fait sur les dispositifs à disposition des entreprises employeuses : « Les plus petites notamment n’ont souvent pas les ressources suffisantes pour répondre à toutes les démarches administratives, c’est d’autant plus dommage que ce sont souvent ces structures qui ont le plus besoin d’aides pour innover. Il y a en effet un gros travail à faire car même les noms des dispositifs sont contre-intuitifs. Malheureusement, des décisions judiciaires ont également pu jeter le trouble sur les modalités d’attribution du Crédit d’Impôt Recherche avec une interprétation restrictive de la notion de recherche en sciences humaines et sociales. »

Les entreprises auraient tout intérêt à profiter des compétences des docteurs et doctorants.

Et pourtant, tous deux sont unanimes pour saluer les compétences que les docteurs et doctorants ont à faire valoir, telles que des « capacités de recherche, d’analyse, de rédaction et d’écoute » qui font la différence par-rapport au diplômé plus classique. Ils font également preuve d’une « grande capacité d’adaptation aux mutations du droit, ainsi qu’un fort esprit de synthèse et de méthodologie. Leur expertise développée pendant ces années de recherche est un autre atout. » Et s’il effectue des stages en entreprise ou en cabinet, « les compétences pratiques acquises pendant cette expérience lui serviront dans sa vie professionnelle future et lui permettront également d’avoir plus d’options et de choix quant à son projet. »

Que faire dans ce cas pour améliorer leur situation ?

Les pistes d’améliorations sont multiples ! Tout d’abord, le rapport sur la Haute Fonction publique remis par la mission dirigée par Frédéric Thiriez évoque plusieurs pistes pour valoriser le doctorat, et notamment de le reconnaître comme une véritable expérience professionnelle. Les propositions semblent tracer une route intéressante selon Richard Legrand, qui souligne la volonté de généralisation des concours et voies d’accès réservés aux titulaires d’un doctorat qui est un premier pas vers « une fonction publique plus accueillante pour les docteurs », spécifiquement dans ses strates les plus élevées. Un horizon que souhaite également Yann-Maël Larher qui considère que « la science est au cœur de la quasi-totalité des politiques publiques et économiques du XXIème siècle. »

Néanmoins, Richard Legrand rappelle qu’il est essentiel que le travail de recherche soit réalisé pendant les années de préparation de thèse et que cela ne soit pas un prétexte pour « la préparation de diplômes se comparant au doctorat, mais sans la réalisation dudit travail de recherche. » De plus, Richard Legrand s’interroge sur les ambitions en termes quantitatifs. Parmi les potentiels débouchés, la haute administration figure en bonne position, alors qu’elle se refuse à bon nombre d’entre eux. Une situation qui n’est pas du goût de Yann-Maël Larher : « La mission Thiriez recommande pourtant que 20% des postes de la haute fonction publique soient occupés par des docteurs. »

Parmi les leviers d’action, selon Richard Legrand, il faut s’inspirer des études dans les grandes écoles pour amener petit à petit le doctorat vers une « insertion professionnelle quasi garantie. » Pour cela, il faudrait faire dériver la majorité des sujets de thèse vers une approche plus pratique, ou bien faire en sorte que les sujets dits de recherche aient ce versant pratique nécessaire à la réalité des besoins de terrain. Il peut également s’agir de « la promotion de la profession d’avocat en invitant par son intermédiaire les entreprises, cabinets d’avocats et professionnels du monde juridique et judiciaire à participer à des forums des métiers et forums de stage et d’emplois, afin de recruter en amont les futurs docteurs. »

« La synergie doit donc se faire entre les trois parties au projet professionnalisant : l’entreprise, le labo et le docteur. »

La coopération entre les structures est l’autre point crucial pour Richard Legrand : il ne faut pas oublier que le recrutement d’un docteur reste un investissement de la part d’une entreprise et qu’elle recherche une valeur ajoutée. « La synergie doit donc se faire entre les trois parties au projet professionnalisant : l’entreprise, le labo et le docteur. L’entreprise s’impliquera dans le parcours du doctorant, que ce soit dans son travail de recherche, mais aussi dans sa découverte du monde de l’entreprise avec le stage. » Il faut encourager les doctorants et docteurs à faire plus de stages durant leurs années de recherche. Richard Legrand propose également d’instaurer « des modules d’initiation aux différents grands métiers du droit dont ils pourraient bénéficier, et du coaching au monde de l’entreprise, en cabinets et professionnel en général. »

Enfin, ne pas oublier l’État qui a sa part dans la solution de l’équation : valoriser le doctorat fait partie de ses prérogatives, par exemple en instaurant des quotas de docteurs recrutés au sein des entreprises privées ou de la fonction publique.

La communication peut également mieux se faire à l’égard des prix de thèse en relation avec les ressources humaines. Les prix de thèse pourraient en effet être un des vecteurs de valorisation du doctorat en Droit. Richard Legrand estime qu’il n’en existe pas assez, ou qu’ils ne sont pas assez valorisés. « Il faudrait démocratiser ces prix, et inciter plus d’entreprises privées et le secteur public à encourager les doctorants avec ce genre d’événement. Cela encouragerait, la compétitivité des doctorants, une meilleure visibilité, l’excellence du doctorat et renforcerait les liens avec le monde professionnel. » A ce sujet, l’Association Nationale des Avocats et élèves-Avocats Docteurs en Droit (ANAD) organisera prochainement un prix de thèse et d’article sur des thématiques juridiques très larges au niveau national et international.

Du côté des relations avec les ressources humaines en entreprise, selon Richard Legrand, il faut continuer à « développer, en virtuel et en physique, les réseaux d’associations étudiantes et professionnelles et d’Alumni. Cela s’organiserait par des forums de stages, d’emplois, des colloques et des conférences sponsorisés par des entreprises. Les ressources humaines seraient en contact avec ces réseaux d’associations qui joueraient un rôle d’intermédiaire. Les associations centraliseraient par exemple les demandes et diffuseraient les offres des entreprises. »

Yann-Maël Larher propose de promouvoir encore les conventions CIFRE en tâchant de « réduire la durée des thèses et d’anticiper en parallèle la construction d’un projet professionnel. » Ce genre de convention permet au doctorant de « conclure avec l’entreprise un contrat de travail de 3 ans ou bien à durée indéterminée lui assurant une rémunération annuelle minimale. » Il y a cependant d’après lui « un gros travail de pédagogie » à mener envers les structures d’accueil pour faire comprendre les tenants et les aboutissants d’une telle convention. Par ailleurs, « l’expérience professionnelle du doctorat doit être prise en compte au moment de l’embauche dans les secteurs privé comme public. »

« Il faut former les chercheurs à s’adresser au plus grand nombre. »

Un autre nœud du problème se trouve dans la culture française qui, à contrario de celle d’autres pays, ne valorise par l’expertise obtenue par la recherche effectuée par les doctorants et de ce fait n’offre pas autant de débouchés. Yann-Maël Larher préconise donc un changement de prisme, et également de considérer la vulgarisation comme étant un outil de promotion de ce diplôme : « il faut former les chercheurs à s’adresser au plus grand nombre et parallèlement leur donner plus de visibilité notamment dans les médias. »

En tant que « créateurs de solution », Yann-Maël Larher estime que les docteurs et doctorants en droit ont toute leur place dans le processus de la décision publique en tant que conseillers. Plus largement, leurs interventions dans des groupes de réflexions, des conférences et en siégeant au sein d’instances professionnelles, seraient vues comme positives pour aider les responsables politiques et dirigeants d’entreprises dans leur prise de décisions :« Je le constate aujourd’hui avec satisfaction, beaucoup de chercheurs prennent du plaisir à venir partager leurs travaux en entreprises et beaucoup d’entreprises s’y intéressent. Le plus difficile c’est d’adopter les bons codes. » Par ailleurs, le cabinet d’avocats Legal Brain Avocats, créé par Yann-Maël Larher avec Matthieu Quiniou, également docteur, « s’appuie sur l’expertise juridique des chercheurs en droit formés pour s’attaquer à des problèmes dont nul ne connaît la solution. Nous encourageons aussi les docteurs à être plus actifs dans les médias mais aussi sur les réseaux sociaux pour éclairer les débats qui traversent aujourd’hui la société. »

Par Simon Brenot pour la Rédaction du Village de la Justice

[1Il est président de l’Association Nationale des Avocats et élèves-Avocats Docteurs en Droit (ANAD)

[2Il est co-fondateur du cabinet LegalBrains Avocats et secrétaire général adjoint de l’Association Française des Docteurs en Droit

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