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Régularisation en France de comptes à l’étranger et application de la Convention fiscale franco-turque. Par Axelle Keles, Avocate.
Parution : mercredi 2 décembre 2020
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L’échange d’informations bancaires entre la France et la Turquie devrait débuter à compter de janvier 2021 (à confirmer). La mise en place de ce dispositif et sa communication dans les médias est l’occasion pour les contribuables ayant un lien personnel et/ou économique avec la France et la Turquie de faire un point sur leurs obligations fiscales dans chacun de ces pays.

Cet article traite de la procédure de régularisation en France de comptes situés en Turquie par des résidents fiscaux de France.

Depuis 2012, les dirigeants des pays du G20 [1] se sont engagés en faveur de l’échange automatique de renseignements en tant que nouvelle norme mondiale. Le projet s’est concrétisé, le 29 octobre 2014 à Berlin, par la signature d’un accord multilatéral instaurant un système d’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales, pour une application à compter de 2017 [2].

L’accord multilatéral prévoit l’échange (annuel) automatique de renseignements entre les institutions financières et les administrations fiscales des pays dont les titulaires du compte sont les résidents fiscaux. Les informations communiquées sont : le numéro de compte, le montant du solde figurant sur le compte au 31 décembre, le montant des revenus financiers perçus au cours de l’année (intérêts, dividendes, plus-value de cession de titres).

L’échange automatique d’informations bancaires entre la France et la Turquie devrait débuter à compter de janvier 2021 [3]. Au regard des importants flux économiques entre la France et la Turquie (14, 676 milliards d’euros en 2019) [4], il est certain que la mise en place de l’échange automatique d’informations aura un impact pour les contribuables des deux Etats.

Bien souvent, les contribuables ayant un lien personnel et/ou économique avec deux pays pensent à tort que chacun des pays règle les obligations fiscales au niveau local.

Or, dans la majorité des cas, c’est le pays de résidence fiscale qui constitue le pays de rattachement pour le contribuable. Cela signifie que l’Etat de résidence fixe les règles fiscales applicables au contribuable, à ses revenus et à son patrimoine situé en France et à l’étranger. C’est également le pays de résidence qui est en charge d’éliminer les cas de double-imposition, lorsqu’un revenu est imposable dans deux pays à la fois. Ces règles s’appliquent peu importe la nationalité ou la double-nationalité du contribuable.

En raison de la complexité des règles fiscales internationales, il est possible que certains résidents fiscaux de France, détenant des comptes à l’étranger, n’aient pas déclaré leurs comptes ou leurs revenus étrangers auprès des services fiscaux français.

Toutefois, il doit être rappelé que l’absence de déclaration ou le dépôt de déclaration inexacte sont lourdement sanctionnés :
- Majorations entre 10%, 40% ou 80% appliquée selon la nature du manquement ;
- Intérêts de retard 0,20% par mois de retard, soit 2,4% par an ;
- Amende entre 1 500 euros et 10 000 euros par compte non déclaré et par an.

A cela, s’ajoute le montant de l’impôt supplémentaire qui aurait été dû en cas de déclaration dans les délais.

Ce sujet est analysé d’après les dispositions de la Convention fiscale signée entre la France et la Turquie en date du 18 février 1987 (ci-après « Convention France - Turquie »).

L’étude vise les cas de non-déclaration de comptes bancaires situés en Turquie par des résidents fiscaux de France.

Afin de savoir si vous êtes en conformité avec vos obligations fiscales en France, il convient de se poser trois questions :
1) Dans quel état suis-je résident fiscal ?
2) Quelles sont mes obligations en France en tant que résident fiscal ?
3) Comment régulariser ma situation fiscale en France en cas d’erreur ou d’oubli ?

1) Dans quel état suis-je résident fiscal ?

L’Etat de résidence fiscale constitue généralement le pays de rattachement du contribuable, peu importe sa nationalité. C’est cet Etat qui détermine les modalités d’imposition des revenus mondiaux et du patrimoine mondial du contribuable. On parle d’obligation fiscale illimitée.

La résidence fiscale se détermine en fonction de la situation personnelle, économique et patrimoniale des contribuables.

Lorsqu’il existe un doute sur le lieu de résidence d’une personne ayant des liens avec la France et un pays étranger, il convient de rechercher la convention fiscale applicable. Dans le cas d’une personne ayant un lien avec la France et la Turquie, il faut se référer à la Convention France - Turquie.

Prenons un exemple pour illustrer les cas de doute sur la résidence fiscale :
- Une famille dispose de deux habitations, une en France et une en Turquie ;
- Ils perçoivent des revenus commerciaux en France ;
- Ils perçoivent également des revenus financiers et immobiliers en Turquie ;
- Il voyagent fréquemment entre la France et la Turquie.

Dans le cas exposé, il est difficile de prime abord de déterminer le pays de résidence fiscale, dans la mesure où ce foyer dispose d’attaches personnelles et économiques autant avec France qu’avec la Turquie. Il convient donc d’analyser cette situation au regard de la Convention fiscale.

Selon l’article 4 de la Convention France - Turquie, une personne est considérée comme résidente fiscale lorsque la législation locale la qualifie comme telle en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction officiel, du lieu de direction des affaires ou de tout autre critère de nature analogue.

En droit français, une personne est qualifiée de résidente fiscale si elle remplit un des critères suivants (art. 4B Code Général des Impôts) :
- elle dispose en France de son foyer ou la France constitue son lieu de séjour principal ;
- elle exerce en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;
- ou la France constitue le centre de ses intérêts économiques.

En droit turc, une personne est qualifiée de résidente fiscale ("tam mükellefiyet") lorsqu’elle entre dans l’une des catégories suivantes (madde 4 Gelir Vergisi Kanunu - GVK) :
- Elle dispose en Turquie d’un domicile (İkametgah) ;
- Elle réside en Turquie de manière continue depuis plus de six mois sur une année civile (les courts séjours hors de Turquie n’interrompent pas la résidence).

Si le contribuable peut être qualifié à la fois de résident fiscal en France et en Turquie, alors son lieu de résidence devra être déterminé par l’un des critères successifs suivants : le foyer d’habitation permanent, le centre des intérêts vitaux, le lieu de séjour habituel ou encore le pays de nationalité [5]. Si elle n’arrive toujours pas à déterminer sa résidence, il conviendra aux deux Etats de décider ensemble du lieu de résidence fiscale.

La détermination de la résidence fiscale est un sujet très technique, il est donc fortement recommandé de se faire assister par un avocat en cas de doute sur ce sujet.

Note : il est également possible d’être qualifié de non-résident fiscal de France. Ce statut signifie que le contribuable perçoit des revenus en France ou dispose d’un patrimoine en France, sans y être résident fiscal. Ses obligations fiscales en France sont donc limitées. Des règles spécifiques s’appliquent aux non-résidents, celles-ci ne sont pas traitées dans le cadre du présent article.

Dans l’hypothèse où la résidence fiscale est fixée en France, il convient de s’interroger sur l’étendue des obligations fiscales liées à ce statut de résident fiscal.

2) Quelles sont mes obligations en France en tant que résident fiscal ?

Les résidents fiscaux de France sont soumis à une obligation fiscale illimitée en France.

Cela signifie qu’ils doivent déclarer en France :
- l’intégralité de leurs revenus perçus en France et à l’étranger ;
- leur patrimoine immobilier situé en France et à l’étranger lorsque la valeur totale nette du patrimoine atteint le seuil de 1 300 000 euros (impôt sur la fortune immobilière - IFI) ;
- les comptes détenus à l’étranger (peu importe le montant détenu sur le compte).

Ainsi, les résidents fiscaux de France ayant perçu des revenus provenant de Turquie doivent les déclarer en France, même s’ils ont déjà été déclarés et imposés en Turquie. Il s’agit notamment des revenus suivants : les retraites, les revenus immobiliers, les revenus financiers, etc…

La France n’imposera pas une 2ème fois ces mêmes revenus mais les prendra en compte dans le cadre de la progressivité de l’impôt (tranche d’imposition). Les modalités d’élimination de la double-imposition sont prévues par la Convention fiscale France - Turquie.

Au regard de la complexité des règles fiscales internationales, il est possible et même fréquent de commettre des erreurs dans le cadre de ses déclarations fiscales.

Si tel est le cas, il est préférable d’agir immédiatement en régularisant spontanément sa situation, plutôt que d’attendre passivement en risquant d’être soumis à un contrôle fiscal dont les sanctions peuvent être extrêmement lourdes.

3) Comment régulariser ma situation fiscale en France en cas d’erreur ou d’oubli ?

L’entrée en vigueur du nouveau dispositif d’échange automatique d’informations financières entre la France et la Turquie, ainsi que sa communication dans les médias, permet aux contribuables dans les deux pays de faire une mise à jour de leurs obligations fiscales.

Ainsi, si vous constatez une erreur dans le cadre de vos déclarations fiscales françaises passées ou que vous souhaitez déclarer des comptes situés en Turquie, il est fortement recommandé de se mettre en conformité en procédant à une régularisation fiscale spontanée.

La régularisation peut porter sur tous les éléments qui n’ont pas été déclarés antérieurement : des revenus, du patrimoine ou encore des successions. La période de régularisation varie en fonction de l’impôt concerné et de la situation de chacun, avec un maximum de dix années en arrière. Les revenus régularisés devront être fait sur la base de justificatifs étrangers (en Turquie, "banka dekontu, vergi beyannamesi,…").

En tout état de cause, la régularisation des comptes et revenus étrangers ne peut être que bénéfique pour le contribuable car il pourra disposer plus librement de ses fonds (transfert d’argent de Turquie vers la France et de France vers la Turquie).

Dans tous les cas, il est fortement conseillé de se faire accompagner par des avocats expérimentés dans le cadre d’une régularisation, afin de déterminer correctement les limites de ses obligations et de ses droits.

Enfin, il doit être souligné que le gouvernement français a compris l’inquiétude des contribuables ayant commis une erreur dans leur déclarations fiscales. C’est dans ce cadre qu’a été instaurée la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC) qui prévoit un droit à l’erreur en matière fiscale, permettant de régulariser sa situation sans payer de pénalités, lorsque le contribuable a commis une inexactitude ou une omission dans une déclaration de bonne foi. Ainsi, le contribuable devra régler l’impôt supplémentaire résultant de la correction, de l’inexactitude ou de l’omission, ainsi que les intérêts de retard à un taux réduit (1,2%), mais aucune majoration ni amende ne devrait être appliquée.

Même s’il n’est pas certain que le droit à l’erreur puisse être invoqué dans le cadre de régularisations de comptes à l’étranger, ce point pourrait être relevé afin de solliciter une diminution des pénalités.

Axelle Keles, Avocate KELES AVOCAT [->https://www.keles-avocat.com]

[1Le G20 est un groupe crée en 1999, composé de 19 pays et de l’Union européenne dont les ministres, chefs des banques centrales et chefs d’Etat se réunissent annuellement pour déterminer des axes communs de développement économique.

[2Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers - signé le 29 octobre 2014 à Berlin https://www.oecd.org/tax/exchange-of-tax-information/multilateral-competent-authority-agreement.pdf

[3Date à confirmer par les deux gouvernements.

[5Art. 4-2 Convention France-Turquie.