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Un éclairage sur le droit voisin des éditeurs de presse. Par Jonathan Elkaim, Avocat.
Parution : mercredi 2 décembre 2020
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Cour d’appel de Paris, 8 octobre 2020 n°20/0871 (Sociétés Google c/ SPEM, AFP, L’Alliance d’Information de la Presse d’information Générale).
Aux termes d’un arrêt particulièrement motivé, la Cour d’appel de Paris a confirmé le 8 octobre dernier, une décision rendue par l’Autorité de la Concurrence rendue le 9 avril 2020 au terme de laquelle elle avait enjoint aux sociétés Google de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective, dans un délai de trois mois à partir de leur demande, la rémunération due à ces derniers pour toute reprise de leurs contenus protégés sur ses services conformément à l’article L218-4 du Code de la propriété intellectuelle.

Pour rappel, la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse » a instauré un droit voisin exclusif d’autorisation ou d’interdiction d’usage en ligne de leur publications par des fournisseurs de services de la société de l’information.

Ainsi et en cas de reprise de leurs publications, ces éditeurs de presse peuvent donc négocier une rémunération avec des plateformes d’agrégation de contenu en ligne, laquelle sera évaluée sur l’assiette des recettes réalisées ou bien de manière forfaitaire.

Un principe qui n’est pas sans rappeler celui de la rémunération de l’auteur.

Cette négociation a également vocation à prendre en compte les investissements tant humains, matériels que financiers réalisés par les éditeurs mais également "la contribution des publications de presse par les services de communication au public en ligne" [1]

En outre, cette loi a instauré un nouvel article L218-4 au Code de la propriété intellectuelle enjoignant désormais aux sociétés de presse de partager cette rémunération de manière « appropriée et équitable » avec les journalistes.

C’est sur la base de ces dispositions nouvellement applicables que l’Autorité de la Concurrence a été saisie par Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), ainsi que l’Agence France presse (AFP) les 15 et 19 novembre 2019, au titre de pratiques restrictives de concurrence imputables aux sociétés Google.

Ces syndicats reprochaient notamment au membre fondateur de l’alliance GAFAM d’avoir imposé à l’ensemble des éditeurs et agences de presse des conditions de vente totalement défavorables dans le cadre des modalités de publication de leurs contenus en ligne, lesquels sont protégés par le droit voisin du droit d’auteur nouvellement instauré.

Les sociétés Google avaient en effet informé les éditeurs et agences de presse qu’elle ne reproduirait plus les contenus protégés à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2019, sauf à que ces mêmes éditeurs lui accordent une autorisation par le biais des paramètres d’affichages des balises HTML.

Les sociétés du géant américain avaient également fait savoir à ces mêmes éditeurs qu’elle ne les rémunérerait plus pour la reprise de leurs contenus, lui évitant ainsi toute négociation concernant la rémunération liée à un tel usage.

Profitant des exceptions prévues à l’article 15, paragraphe 1 de la directive (UE) 2019/790,excluant un tel principe de rémunération aux « actes liés aux hyperliens » ainsi qu’à l’usage de « mots isolés ou de très courts extraits d’un article de presse », les sociétés Google instituaient ainsi un système de rémunération nulle à l’égard de l’ensemble des éditeurs de presse.

Or, et en imposant un principe de gratuité à l’ensemble de ces éditeurs sans prendre en considération les conditions propres à chacun d’entre eux, les Syndicats estimaient que les sociétés Google avaient opéré un traitement discriminatoire au sens des articles L420-2 du Code de commerce et 102 alinéa 1er c) du TFUE et avait abusé de leur position dominante pour éluder l’esprit de la loi du 24 juillet 2019.

Aux termes de sa décision rendue le 9 avril dernier, l’Autorité de la Concurrence a considéré que les pratiques révélées étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante dès lors que Google, fort de son influence quasi absolue sur le trafic des sites internet, ne laisse d’autres choix aux éditeurs de presse que de se conformer à sa nouvelle politique de publication sans pouvoir être rémunérés au titre de l’exploitation de leurs droits voisins.

Elle a donc enjoint aux sociétés Google d’avoir à :

« - négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective, dans un délai de trois mois à partir de leur demande, la rémunération due par Google à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés sur ses services selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires ;
- communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due ;
- maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d’affichage mis en place depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2019-775, selon les paramètres retenus par les éditeurs ;
- de conduire des négociations dans un délai de 3 mois à partir de la demande d’ouverture de négociation émanant d’un éditeur de presse/agence de presse ou organisme de gestion collective ;
- prendre les mesures nécessaires pour que l’existence et l’issue des négociations prévues par les injonctions n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ;
- faire en sorte que ces négociations n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse ;
- adresser à l’Autorité un rapport mensuel sur la manière dont elle se conforme aux injonctions, dans un délai de quatre semaines à compter de l’ouverture des négociations, puis un nouveau rapport le 5 de chaque mois
 ».

Aux termes de son arrêt du 8 octobre 2020, la Cour d’Appel de Paris est venue confirmer la décision rendue le 9 avril 2020.

En premier lieu, la Cour a fait preuve de clairvoyance en rappelant de manière fort opportune que les modalités d’affichage sous la forme de très courts extraits « snippets » n’échappent pas « par principe » au champ d’application de la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 [2].

Ainsi et en érigeant les exceptions posées en principe général, les sociétés Google ont tout bonnement privé les éditeurs de presse du « bénéfice de la loi de 2019 » en les soumettant à des « conditions inéquitables ».

En second lieu, la Cour a rappelé que les agissements des sociétés Google consistant à priver les éditeurs et agences de presse de toute négociation potentielle de leur rémunération en lien avec la reproduction des extraits de publication de presse sur le moteur de recherche éponyme « alors même que cette loi, sur un plan juridique et économique un élément central des relations entre service de communication au public en ligne et éditeurs et agences de presse » [3], constituait un abus de position dominante.

Ce faisant, les sociétés Google entravent nécessairement au marché de l’octroi de licences payantes du fait de leur position dominante dès lors que les autres concurrents, déjà bien en peine sur ce marché, ne pourront négocier avec les titulaires des droits voisins et se verront bien souvent contraints d’accepter les conditions qui leur seront soumises, au contraire de leurs concurrent direct qui s’affranchit d’une telle contrainte.

C’est donc à fin de prévenir un abus de position dominante - restant tout de même à caractériser - que la Cour approuve l’Autorité de la concurrence d’avoir mis à la charge des sociétés Google à titre conservatoire, une obligation de négocier de bonne foi afin que les éditeurs de presse puissent bénéficier de la protection du droit voisin.

La Cour d’appel rappelle en effet au visa de l’article L446-1 du Code de commerce que cette mesure se justifie par une « atteinte grave et immédiate » des sociétés Google à « la pérennité du secteur de la presse en général » [4] mais de manière plus générale à la pluralité des offres numériques proposées aux consommateurs.

Plusieurs enseignements semblent se dégager de la motivation très complète de la Cour d’appel.

L’on y apprend tout d’abord que le droit à rémunération des éditeurs de presse prévue à l’article L218-4 du Code de la propriété intellectuelle n’est pas obligatoire, ni même « garanti » dès lors qu’il n’a pas pour objet de « contraindre les sociétés de service de communication en ligne de payer la licence demandée par le titulaire des droits » [5].

La nuance vient néanmoins du fait qu’il appartient au titulaire des droits de pouvoir, au moins, la demander sans que son cocontractant ne puisse lui imposer de facto une gratuité si ce dernier souhaite continuer à bénéficier d’un service au moins aussi important que le référencement de contenus [6].

La Cour d’appel affine donc de manière très subtile le régime juridique de ce droit à rémunération encore méconnu des praticiens, en soulignant la place prépondérante du consentement du titulaire des droits, lequel doit librement exprimer son souhait de concéder ses droits, et ce même à titre gratuit s’il l’entend [7].

Néanmoins la Cour rappelle que la philosophie de l’article L218-4 du Code de la propriété intellectuelle est de rétribuer le titulaire des droits voisins « au titre de la reproduction des contenus protégés » comme pour rappeler, au bon souvenir des services de communication en ligne, qu’il reste avant tout un droit exclusif d’exploitation impliquant une communauté d’intérêt [8].

Enfin, la Cour prend soin d’affiner également le régime juridique des extraits ou « snippets » et de l’exception en découlant, en rappelant que « l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de presse (…) ne peut affecter l’efficacité des droits ouverts » à l’article L218-2 si et seulement si leur usage ne se « substitue pas à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer » [9] .

Il faut ainsi comprendre que si l’exception prévue à l’article L211-3-12° du Code de la propriété intellectuelle doit être appliquée, elle ne doit pas devenir un principe, sauf à vider de sa substance les droits prévus par la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019.

Pour autant, et même si la Cour d’appel réaffirme avec force un principe de rémunération au profit des éditeurs de presse, sa mise en pratique au même titre que sa portée peut interpeller.

L’article L211-4 V du Code de la propriété intellectuelle nouvellement institué, dispose que, « la durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse et des agences de presse est de deux ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d’une publication de presse », laissant en pratique peu de marge de manœuvre aux titulaires concernés.

Bien que ces délais extrêmement courts se justifient à raison du caractère ponctuel des évènements d’actualité, ils sont néanmoins susceptibles de préjudicier aux intérêts des éditeurs de presse, que la loi précitée s’échine pourtant à protéger.

En outre, il est en effet fort possible que certains contenus puissent être de nouveau exploités ou mis en ligne postérieurement au délai édicté, laissant ainsi toute latitude aux contrefacteurs pour les exploiter.

Dans le même ordre d’idées, il convient de relever que l’article 14 de la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 dispose que cette dernière ne s’applique pas aux publications de presse publiées pour la première fois avant la date d’entrée en vigueur, restreignant d’autant plus le champ d’action de certains titulaires.

Des difficultés pratiques qui nécessiteront certainement de nouveaux éclairages jurisprudentiels afin de permettre à ce nouvel entrant des droits voisin de se faire une place dans la nébuleuse des droits de propriété intellectuelles.

En tout état de cause, il semble que l’arrêt de la Cour d’appel commenté ait fortement incité Google à trouver une solution amiable, puisque le géant américain vient d’ annoncer le 19 novembre dernier que des accords avaient été conclus avec « un certain nombre d’éditeurs de la presse quotidienne et des magazines » dont « le Monde, Courrier International, l’Obs, le Figaro, Libération ou encore l’Express » afin d’exploiter les droits d’auteur mais également les droits voisins des éditeurs de presse au titre des articles publiés sur les plateformes en ligne et autres moteurs de recherche .

De bon augure pour la suite.

Jonathan ELKAIM - Avocat au Barreau de Paris https://www.jelkaim-avocat.fr

[1L218-4 du Code de la propriété intellectuelle.

[2Point 99 de l’arrêt.

[3Point 103 de l’arrêt.

[4Point 156 de l’arrêt.

[5Point 96 de l’arrêt.

[6Point 223 de l’arrêt.

[7Point 224 de l’arrêt.

[8Point 219 de l’arrêt.

[9Point 227 de l’arrêt.