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Le divorce Franco-marocain à la lumière de la convention franco-marocaine et de la jurisprudence. Par Ali Chellat, Avocat.
Parution : mercredi 2 décembre 2020
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Examen d’une procédure de divorce initiée au Maroc et en France, entre un citoyen Franco-marocain qui s’est marié, sans contrat de mariage, à une citoyenne marocaine. Le mariage a été célébré au Maroc. L’époux a fait par la suite transcrire le mariage sur leur état civil pour qu’il soit reconnu en France. Le premier domicile conjugal des époux fut au Maroc.
Deux demandes de divorce ont été engagées, une au Maroc et l’autre en France.
La problématique qui se pose est de savoir : Quel tribunal est compétent ? Quelle loi est applicable au divorce ?

Ce n’est pas par hasard si le philosophe Montaigne a dit que « les voyages forment la jeunesse ». Il est également certain qu’ils peuvent participer l’obtention de connaissances en Droit International Privé.

Dans n’importe quelle société un mariage prend fin dans les cas suivants :

Le premier cas est involontaire et peut être considéré comme une situation subie. Il est la conséquence du décès de l’un des époux.

Le second cas est volontaire et voulu par au moins l’un des époux. Il est l’aboutissement de la rupture du lien conjugal. Il s’agit du divorce.

Le dernier cas, rare, est celui de l’annulation du mariage.

L’annulation de mariage est une décision rendue par une juridiction qui efface rétroactivement tous les effets du mariage.

Par contre, le divorce est défini comme la rupture officielle du mariage existant entre deux individus. Autrement dit, c’est la rupture de l’union conjugale consacrée par le droit. Son acceptation varie en fonction des sociétés.

Il désigne de manière plus spécifique la dissolution du lien matrimonial et marque la fin de la vie conjugale.

En réalité, il est l’aboutissement naturel de l’échec d’un projet dû à plusieurs raisons notamment un affaiblissement du lien affectif, ou une mésentente entre les époux, etc. Il se traduit par un désordre dans le mode de vie des époux.

La procédure de divorce est une épreuve parce qu’elle est parfois longue. Elle se gère, parfois même se prépare.

Certaines personnes confrontées surtout à un contentieux de divorce peuvent témoigner que le temps, au cours de cette pénible procédure, n’en finit pas.

Pour pouvoir divorcer en France, il faut satisfaire à certains critères. Parmi ces critères, les époux doivent être légalement mariés en vertu de la loi française ou en vertu des lois d’un autre pays, et ce mariage est reconnu en France.

En matière internationale, la compétence du Juge aux Affaires Familiales français doit être morcelée et évaluée demande par demande.

Prenons à titre d’exemple, le cas d’époux mariés au Maroc. L’un des époux est de nationalité Franco-marocaine et installé en France, l’autre est de nationalité marocaine et domicilié au Maroc. Le premier domicile conjugal était au Maroc. Après la transcription du mariage, ce dernier à rejoint l’autre époux domicilié en France.

En cas de divorce et de liquidation du patrimoine commun, faut-il appliquer le droit français et son régime communautaire, ou le droit marocain et son régime séparatiste ? Faut-il retenir le critère du premier domicile matrimonial au Maroc ou prendre en considération d’autres circonstances postérieures et notamment leurs investissements (immobiliers) en France ?

Autrement dit, l’introduction en France ou au Maroc d’une procédure de divorce franco-marocain impose de résoudre successivement deux questions : la première est relative à la compétence directe des juridictions et la seconde est relative à la loi applicable devant le juge. Il s’agit d’un cas de divorce international et les règles de droit international privé ont vocation à s’appliquer. 

Fort heureusement, ces questions n’échappent pas à la convention Franco-Marocaine relative au statut des personnes et de la famille et la coopération judiciaire signée le 10 août 1981 et qui est entrée en vigueur le 13 mai 1983. Cette convention permet d’apporter un certain nombre de réponses aux problèmes de divorce et de régir les situations de divorce impliquant des ressortissants des pays concernés.

Par ailleurs, la question de la nature des règles de compétence contenues dans la convention Franco-Marocaine du 10 août 1981, a donné lieu depuis plusieurs années à un contentieux important.

Notre étude sera basée sur un arrêt de la Cour d’Appel de Rennes rendu en date du 16 décembre 2019.

Avant d’aborder l’examen de cet arrêt sur le plan du droit (II), il est nécessaire de faire un rappel des faits et de la procédure dans un premier temps (I).

I. Faits et procédure :

Dans cette affaire, Monsieur A et Madame B se sont mariés, sans contrat préalable, au Maroc.

Le mariage a fait l’objet d’une transcription sur les actes d’état civil français. Au moment du mariage, Monsieur A résidait en France et au Maroc. Madame B résidait au Maroc.

Après la transcription du mariage, Madame B a rejoint son époux en France. Un enfant est issu de cette union.

Suite à une mésentente entre les époux, Monsieur A a engagé une procédure de divorce et saisi le juge marocain au Maroc.

Ensuite, Madame B a saisi la juridiction française pour demander le divorce. 

Monsieur A a demandé au Juge Aux Affaires Familiales de sursoir à statuer en attendant la décision de la juridiction marocaine. Il a soulevé que la juridiction marocaine avait été saisie préalablement à la juridiction française.

Il a fondé sa demande sur l’article 11, alinéa 3 de la convention Franco-Marocaine du 10 août 1981 qui précise que :

« Si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l’un des deux Etats, et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l’autre Etat, la juridiction saisie en second lieu doit sursoir à statuer ».

Il a également indiqué que l’article 100 du Code de Procédure Civile dispose que :

« Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d’office ».

Comme les deux juridictions compétentes ont été saisies du même litige, la juridiction saisie en second doit se dessaisir au profit de la première saisie [1].

Le Juge Aux Affaires Familiales Conciliateur a fait droit à la demande de Monsieur A.
Ensuite, la Juridiction marocaine a rendu sa décision et a condamné Monsieur A à payer à Madame B le don de consolation, les frais de logement pendant sa retraite légale, la pension alimentaire de l’enfant, les frais de logement de l’enfant, la rémunération de leur garde jusqu’à extinction de la retraite légale de la mère. Madame B n’a exercé aucun recours contre le jugement rendu par la juridiction marocaine.

Suite à cette décision, Juge Aux Affaires Familiales Conciliateur a débouté Madame B de l’ensemble de ses demandes.

Madame B a interjeté appel de la dite décision et a sollicité de la Cour d’appel de réformer l’ordonnance rendue par le Juge aux affaires familiales.

En réplique, Monsieur A a sollicité la confirmation de la décision rendue par le Juge aux Affaires Familiales et le rejet de l’ensemble des demandes de Madame B.

II. En droit :

L’article 14 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 dispose que :

« Par l’exception à l’article 17 de la Convention d’aide mutuelle judiciaire et d’exequatur des jugements du 5 octobre 1957, en matière d’état des personnes les décisions en force de chose jugée peuvent être publiées ou transcrites sans exequatur sur les registres de l’état civil ».

Il ressort de cet article que la procédure d’exequatur de divorce émanant de la juridiction étrangère n’est plus exigée pour la transcription des actes sur le registre de l’état civil.

Il a rappelé à toute fin que l’article 11§2 de la convention judiciaire franco-marocaine du 10 août 1981, qui dispose que

« toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l’un des deux états, les juridictions de cet état peuvent également être compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l’introduction de l’action judiciaire ».

La convention Franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements en date du 05 octobre 1957 dispose dans son article 16 qu’en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou Maroc ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre pays si elles réunissent les conditions suivantes :
- La décision émane d’une juridiction compétente selon les règles de droit international privé admises dans le pays où la décision est exécutée,
- Les parties ont été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes,
- La décision est, d’après la loi du pays où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d’exécution,
- La décision ne contient rien de contraire à l’ordre public du pays où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans ce pays. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans ce pays et possédant à son égard l’autorité de la chose jugée.

Dans ce sens, la Cour d’Appel de Rennes a décidé que

« Les époux ayant tous deux la nationalité marocaine, les chefs de compétence énoncés à l’article 11 de la Convention de 1981 permettent de considérer que le tribunal marocain était compétent pour se prononcer sur la dissolution du mariage, nonobstant le fait que le domicile conjugal ait été situé en France.
…. Il résulte de ce qui précède que les conditions posées par l’article 16 de la convention franco-marocaine du 5 octobre 1957 sont remplies.
Le tribunal … était donc bien compétent pour prononcer la dissolution du mariage et aux termes de l’article 9 de la convention du 10 août 1981, c’est la loi marocaine qui devait s’appliquer, les deux époux ayant tous les deux la nationalité marocaine.
… Le jugement marocain qui a prononcé la dissolution du mariage bénéficie donc de plein droit de l’autorité de la chose jugée en France, à défaut pour Madame B d’avoir exercé les voies de recours qui lui étaient ouvertes au Maroc.
En conséquence, la demande en divorce présentée par Madame B, … devant le juge aux affaires familiales … doit être déclarée irrecevable,…
 ».

Cet arrêt est conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation [2] et à d’autres jurisprudences en la matière.

Dans un autre arrêt, il a été également décidé que

« les époux étaient de nationalité marocaine et ont établi leur domicile en France. Ils peuvent donc saisir les juridictions françaises ou marocaines... » [3].

En se fondant sur les articles ci-dessus, Monsieur A a sollicité de la Cour d’appel l’irrecevabilité de la demande en divorce présentée par Madame B. 

Il a démontré à la juridiction d’appel que :
Premièrement, la décision a été rendue régulièrement par la juridiction marocaine.
Deuxièmement, elle a été rendue dans le respect des règles de procédure.
Troisièmement et surtout, la décision est conforme à l’ordre public national. Le divorce pour discorde n’est pas un cas de dissolution du mariage interdit par la loi française.

Enfin, le jugement marocain qui a prononcé la dissolution du mariage bénéficie donc de plein droit de l’autorité de la chose jugée en France puisque Madame B n’a exercé aucun recours contre le jugement marocain.

Il a fait valoir qu’il ressort de la convention franco-marocaine que les actes constatant la dissolution du lien de conjugal entre époux de nationalité marocaine produisent effet en France dès lors que les droits de la défense ont été respectés et que leur reconnaissance n’est pas contraire à l’ordre public international et, à ce titre, au principe de l’égalité des droits et des responsabilités des époux lors de la dissolution du mariage.

Il a évoqué qu’il résidait en France et au Maroc, et même si l’un des époux était de nationalité française, il n’en demeurait pas moins que Monsieur A et Madame B étaient également de nationalité marocaine, en l’occurrence leur nationalité d’origine.

Au surplus, il a démontré à la juridiction que Madame B n’apporte aucune preuve de ce que son époux a saisi la justice marocaine en fraude de ses droits.

En guise de conclusion, il convient de souligner que malgré l’émergence d’un droit international privé communautaire, le droit commun et les conventions bilatérales gardent leur place en droit international privé français. Le droit commun s’applique aussi bien quand le juge français est saisi d’une demande en divorce que lorsqu’on lui demande d’examiner la régularité internationale d’un jugement de divorce rendu à l’étranger.

Le divorce est une décision qui a des conséquences morales, financières et patrimoniales pour les époux et leurs enfants. Entamer une procédure de divorce est une épreuve et un choix complexe.

C’est la raison pour laquelle, il est toujours souhaitable, avant toute démarche, d’obtenir des conseils juridiques auprès d’un Avocat. Lui seul peut vous donner un avis au sujet de vos droits et responsabilités et vous expliquer comment la loi s’applique dans votre situation.

Il peut également vous apporter une meilleure solution adaptée à votre cas dans le respect des règles de l’art de sa profession et vous expliquer quels documents additionnels vous pourriez devoir remettre au Tribunal. Cela vous permettra de réfléchir et d’envisager une tactique, voire une stratégie défensive.

Avoir recours à un Avocat, c’est vous aider à constituer un dossier solide, réfléchi en s’en servant non pas comme un handicap mais bel et bien comme un atout pour la défense de votre cause.

Maître Ali CHELLAT Avocat au Barreau de RENNES Docteur en Droit [->chellat-avocat@laposte.net]

[1Cass, 1ère Civ, 26 novembre 1974, pourvoi n° 73-13820, Miniera di Fragne, publiée au Bulletin N. 312, p. 267.

[2Cour de Cassation, 1ère Civ, 12-012011, n°10-10.216.

[3Cour d’appel de Pau, Chambre section 2, 16 mars 2010.

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