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Aide juridictionnelle : précaires, retraités…vos papiers ! Par Clément Terrasson, Avocat.
Parution : vendredi 4 décembre 2020
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Le 1er janvier 2021, de nouvelles dispositions de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique entrent en vigueur. Pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, les retraités pauvres (ASPA - minimum vieillesse) et les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) doivent désormais justifier de leur pauvreté. Les ressources prises en compte pour bénéficier de l’aide juridictionnelle sont également complexifiées.

L’article 243 de la loi de finances n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 a modifié la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Explication des deux principaux changements applicables à compter du 1er janvier 2021.

I. D’une part, la loi de finances a supprimé les deux cas dans lesquels les demandeurs à l’aide juridictionnelle ne devaient pas justifier de leurs ressources.

Auparavant, les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA - minimum vieillesse) ou du revenu de solidarité active (RSA) étaient « dispensés de justifier de l’insuffisance de [leurs] ressources ». Ils doivent désormais prouver leur précarité.

Pour rappel, l’ASPA, anciennement minimum vieillesse, est ouverte à toute personne âgée d’au moins 65 ans dont les ressources sont inférieures à 903,20 euros par mois pour une personne seule. De son côté, le RSA pour une personne seule est fixé à 564,78 euros.

Quel peut bien être l’intérêt de demander à des personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté d’en justifier ?

D’autant plus que, avant de verser l’ASPA ou le RSA, les Caisses de sécurité sociale demandent évidemment de nombreux justificatifs.

La société de confiance a ses limites, le contrôle social de beaux jours devant lui.

II. D’autre part, la loi de finances a modifié le calcul des conditions de ressources pour bénéficier de l’aide juridictionnelle.

D’abord, un changement de nature : désormais, les plafonds pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ne sont plus fixés par la loi mais par décret, décret qui n’a d’ailleurs, à ce jour, toujours pas été publié.

Ensuite, un changement de méthode : dans la manière d’apprécier les ressources des demandeurs à l’aide juridictionnelle.

La précédente rédaction avait le mérite de la clarté, qualité suffisamment rare pour être soulignée en matière de production normative : si les ressources mensuelles du demandeur étaient inférieures à 1 000 euros, il bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale, à 1 500 euros, de l’aide juridictionnelle partielle.

Ce mode d’attribution est abandonné : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Les ressources sont désormais appréciées en tenant compte de trois critères, dont « la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier non productif de revenus ». Autrement dit, le demandeur à l’aide juridictionnelle devrait fournir de multiples informations relatives à son plan d’épargne logement, retraite, Livret A, assurance vie mais également à la valeur locative de son logement. Dans quelles conditions et limites celles-ci seront-elles prises en compte ? Dans l’attente de publication du décret d’application, la question reste sans réponse.

Ce n’est pas tout. Le patrimoine mobilier étant considéré comme ce que vous emporteriez si vous déménagiez, la valeur de vos biens (véhicule, électroménager, meubles, vêtements, livres…) pourra également être pris en compte. On ose toutefois espérer que vous ne devrez pas réclamer une facture lors de votre prochain achat sur Le Bon Coin.

Pourtant, le 23 juillet 2019, les députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin déposaient leur rapport d’information sur l’aide juridictionnelle, lequel proposait de se limiter à : « retenir comme critère d’appréciation des ressources du demandeur d’aide juridictionnelle le revenu fiscal de référence ». La simplification semble s’arrêter au seuil des tribunaux.

Ce changement laisse par ailleurs craindre trois dangers :
- D ’une part, des difficultés accrues pour les justiciables au moment de remplir leurs demandes d’aide juridictionnelle. Comme en matière de prestations sociales, le non-recours pourrait prospérer sur le terreau de la complexité,
- D’autre part, des inégalités de traitement générées par la diversité des pratiques des bureaux d’aide juridictionnelle. Ce phénomène, déjà existant, pourrait être amplifié par la nouvelle rédaction de l’article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique,
- Enfin, la latitude dans l’appréciation des ressources pourrait être un moyen commode de juguler l’accroissement des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, lesquels ont triplé en trente ans.

Clément TERRASSON Avocat au barreau de Grenoble et collaborateur du cabinet DBKM https://terrasson-avocat.weebly.com/ https://dbkm-avocats.com/