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Deux poids - deux mesures pour la liberté syndicale au Palais Royal. Par Bénédicte Rousseau et Alma Basic Avocates.
Parution : lundi 7 décembre 2020
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« Et puis, autre chose me gêne dans ces droits de l’homme prétendument universels, c’est que, précisément, ils ne le sont pas. Il y a toujours deux poids, deux mesures »(Simone Veil, Une Vie).

Retour sur deux ordonnances contradictoires rendues les 19 octobre et 25 novembre 2020 par le Conseil d’Etat dans le cadre de référés libertés engagés par plusieurs organisations syndicales exclues des négociations qui se poursuivent dans le cadre du "Ségur de la Santé" en suite des accords du 13 juillet 2020.

Le « Ségur de la santé » : les réticences du gouvernement à accueillir tous les acteurs du secteur dès le début des discussions.

Le 25 mars 2020, alors que la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a encore davantage ébranlé un système de santé d’ores et déjà extrêmement fragilisé, le Président de la République s’est engagé à ce que, « à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières soit construit pour notre hôpital » (extrait du discours prononcé le 25 mars 2020 à Mulhouse par M. Emmanuel Macron [1], Président de la République).

C’est dans ce contexte que, le 25 mai suivant, le Premier ministre et le Ministre des Solidarités et de la Santé ont donné le coup d’envoi du « Ségur de la Santé », dont l’objet annoncé était d’ouvrir une période de concertations avec les acteurs du système de santé devant se poursuivre jusqu’à la mi-juillet, dans le but affiché de négocier un plan d’investissement massif articulé autour de quatre piliers fondateurs :

Pilier n° 1 : Transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent.
Pilier n° 2 : Définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins.
Pilier n° 3 : Simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes.
Pilier n° 4 : Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers.

A la veille du lancement du Ségur de la santé, il ne faisait aucun doute que les concertations devaient rassembler toutes les entités et organisations représentatives de l’ensemble des acteurs du secteur de la santé (administrations centrales et déconcentrées, agences régionales de santé, caisses d’assurance maladie, associations d’élus et d’usagers, conseil national de l’ordre des Médecins, conférences hospitalières et médico-sociales, fédérations et associations d’établissements et employeurs du secteur sanitaire et médico-social, organisations syndicales hospitalières, médico-sociales, de praticiens et professions paramédicales libéraux, représentants des étudiants en santé et jeunes médecins ainsi que le collectif inter hospitalier).

À cette fin, outre le « Comité Ségur national » qui a réuni toutes ces entités, un Groupe Ségur national spécialement dédié aux « carrières et rémunérations » a été mis en place, composé de près d’une trentaine d’intervenants, dont la Fédération CGT de la Santé et de l’Action sociale.

Animées par madame Nicole Notat - ancienne dirigeante syndicale CFDT -, des réunions de concertation et des bilatérales ont été organisées pendant tout le printemps 2020, au cours desquelles ont été abordés des sujets tels que, notamment, la revalorisation des carrières, l’organisation des soins dans les territoires, l’investissement, le numérique en santé, la gouvernance et l’inclusion des soignants aux prises de décision, la lutte contre les inégalités de santé, la psychiatrie, la recherche, etc.

Toutefois, dès le début du « Ségur de la Santé », l’exécutif s’est opposé à ce que des organisations syndicales représentatives - qui n’avaient pas été conviées à l’origine – participent aux premières concertations.

La circonstance que des organisations syndicales représentatives, dont le Syndicat Jeunes Médecins, ont dû saisir le tribunal administratif de Paris de requêtes en référé-liberté pour intégrer les discussions démontre les réticences du ministre à ce que tous les acteurs du secteur de la santé soient associés à ces négociations.

Le juge des référés a d’ailleurs donné raison à ce syndicat aux motifs que la liberté syndicale, qui

« présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L521-2 du code de justice administrative, implique notamment le droit, pour tout syndicat régulièrement constitué, de participer à des négociations collectives, sous réserve, le cas échéant, de conditions tenant à sa représentativité dans le champ de l’accord ou de la convention à négocier » [2].

Finalement, deux accords ont été signés le 13 juillet 2020 au terme de la première phase de négociations du « Ségur de la Santé », l’un relatif aux professionnels médicaux et le second relatif à la fonction publique hospitalière pour le personnel non médicaux.

Ces deux accords n’ont finalement pas été signés par tous les acteurs du Ségur, et notamment pas par le Syndicat Jeunes Médecins ni par la Fédération CGT de la Santé et de l’Action sociale - pour des raisons diverses relevant, en ce qui concerne cette dernière, de modifications non négociées de l’accord relatif à la fonction publique hospitalière.

Quoiqu’il en soit, un comité et des groupes de travail ont été créés pour chaque accord afin, en principe, d’en suivre l’application. Conformément à ce que prévoient ces accords, de manière discutable du point de vue juridique, les organisations non-signataires en ont expressément été exclues.

Les réticences du gouvernement confirmées au stade des négociations relatives à la mise en œuvre des accords du Ségur de la santé.

Il a été porté à la connaissance des organisations syndicales exclues des comités de suivi et des groupes de travail mis en place à la suite de la signature des accords du 13 juillet 2020 que les discussions qui s’y tenaient dépassaient le cadre d’un simple suivi de ces deux accords. Au contraire, il suffisait de consulter les communiqués des syndicats signataires pour comprendre que le prétendu suivi tendait en réalité vers des « négociations ouvertes ».

Dès le mois de septembre, la Fédération CGT de la Santé et de l’Action sociale a interpelé le ministère en charge de la santé. D’abord par voie de courriels puis, en l’absence de réponse, par courrier officiel, la première organisation syndicale représentative de la fonction publique hospitalière a demandé à être conviée à ces discussions afin de pouvoir ainsi participer aux futures négociations au sein des groupes de travail relatives, notamment, au protocole d’accord pour les personnels non médicaux de la fonction publique hospitalière, sans qu’il puisse lui être opposé la circonstance qu’elle n’a pas signé l’accord du 13 juillet 2020.

Dans le même temps, le Syndicat Jeunes Médecins et l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital a formulé le même vœu, étant également représentatifs et donc concernés par les négociations portant sur l’accord relatif aux professionnels médicaux.

En l’absence de réponse de la part du Ministère de la Santé, ces organisations syndicales, dont on rappellera une nouvelle fois la représentativité au niveau nationale, n’ont eu d’autre choix que de former des recours en urgence afin de garantir le respect de la liberté syndicale.

Un rappel nécessaire : la liberté syndicale doit être garantie pour toutes les organisations représentatives.

La liberté syndicale a, en premier lieu, valeur constitutionnelle, étant garantie par l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946, suivant lequel

« tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » [3].

Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que ces dispositions

« confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment, par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts de travailleurs » [4].

En second lieu, et selon une jurisprudence constante, la liberté syndicale constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L521-2 précité du code de justice administrative [5].

Plus précisément, l’Assemblée du Conseil d’Etat a précisé que la liberté syndicale, telle que consacrée par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,

« impliquent notamment le droit, pour tout syndicat régulièrement constitué, de participer à des négociations collectives, sous réserve, le cas échéant, de conditions tenant à sa représentativité dans le champ de l’accord ou de la convention à négocier » [6].

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme considère aussi que la liberté syndicale implique la défense des intérêts professionnels par l’action collective, dont les Etats doivent « à la fois autoriser et rendre possible la conduite et le développement » ; qu’elle implique le droit, pour les syndicats, de mener des négociations collectives et de pouvoir souscrire à des conventions dans l’intérêt de leurs membres [7].

Forte de la certitude que l’exercice de sa liberté syndicale devait être garanti, la Fédération CGT de la Santé et de l’Action sociale a déposé, dès le mois de septembre 2020, une première requête en référé liberté devant le tribunal administratif de Paris, dans le but d’obtenir le droit d’assister aux comités et aux groupes de travail réunis dans le cadre du suivi des accords du 13 juillet.

Cependant, de manière particulièrement surprenante au vu du contexte, sa requête a été directement rejetée pour défaut d’urgence manifeste, sans même une audience [8]. Le même sort a été réservé à la requête en référé suspension déposée dans la foulée [9], une nouvelle fois sans qu’aucun débat contradictoire ne fût possible…

Toutefois, quelques jours plus tard, le juge des référés du Conseil d’Etat a infirmé une ordonnance du tribunal administratif de Paris rejetant une requête similaire qui avait été formée par le Syndicat Jeunes Médecins et l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital [10].

Le Conseil d’Etat a alors ordonné au ministère des solidarités et de la santé de convier ces deux entités - qui ne comptent pas non plus au nombre des signataires des accords du 13 juillet 2020 - aux réunions des groupes de travail du comité de suivi.

A l’aune de cette décision, la Fédération CGT de la Santé et de l’Action sociale, premier syndicat en termes de représentativité au sein de la fonction publique hospitalière, a déposé une seconde requête en référé liberté devant le Tribunal administratif de Paris afin de pouvoir participer aux discussions qui poursuivaient dans le cadre des négociations du Ségur de la santé.

Par une ordonnance rendue le 23 octobre 2020, le juge des référés a finalement fait droit à sa demande en relevant que la mise à l’écart de la Fédération santé-action sociale de la CGT portait

« une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté syndicale » [11].

Une fois l’ordonnance rendue et alors qu’un groupe de travail avait été prévu pour le 28 octobre 2020, le ministre de la santé a annulé la réunion sans en fixer de prime abord de nouvelle date…

Décidément déterminé à écarter la Fédération des discussions relatives à l’application des accords du Ségur de la santé, le ministre des solidarités et de la santé a interjeté appel de cette décision devant le Conseil d’Etat le 6 novembre suivant.

C’est dans ce contexte que, par une ordonnance rendue le 25 novembre 2020, le Conseil d’Etat a infirmé la décision rendue en première instance, aux motifs qu’

« aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale n’apparaissant dans ces conditions caractérisée du fait de l’absence de convocation de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale aux réunions du comité de suivi et des groupes de travail issus de l’accord du 13 juillet 2020 relatif à la fonction publique hospitalière » [12].

Un mois plus tôt, le juge des référés du Conseil d’Etat avait pourtant réaffirmé la portée de la liberté syndicale dans le cadre d’un litige qui présentait de nettes similitudes opposant le ministre de la santé et le Syndicat Jeunes Médecins Intersyndicale Action Praticiens-hôpital [13].

Les circonstances étaient-elles à ce point différentes entre la demande du syndicat Jeunes Médecins et de l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital de participer au comité de suivi et aux groupes de travail mis en place dans le cadre de l’accord relatifs aux personnels de santé formulée, d’une part, et la demande de la Fédération CGT de la santé et de l’action sociale tendant à participer aux mêmes instances mises en place dans le cadre de l’accord relatif aux personnels non-médicaux, d’autre part ?

Le doute est légitime, et d’ailleurs favorisé par le contexte dans lequel ont été rendues ces deux ordonnances divergentes à un mois d’intervalle.

La difficile justification de l’exclusion d’une organisation syndicale représentative des discussions poursuivant le ségur de la santé.

Déjà, la procédure de référé est sortie de son contexte classique au vu du délai anormalement long pris par le juge des référés du Conseil d’Etat pour statuer.

S’agissant de l’appel formé par le syndicat Jeunes Médecins et l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital contre la décision de première instance qui leur était défavorable, le juge des référés du Conseil d’Etat avait rendu son ordonnance deux semaines après avoir reçu la requête - au lieu des 48 heures prévues par l’article L523-1 du code de justice administrative [14].

En ce qui concerne l’appel du ministre interjeté à l’encontre de l’ordonnance du 23 octobre 2020 lui ordonnant de convier la Fédération CGT de la Santé et de l’Action Sociale aux comités de suivi et groupes de travail du Ségur, près de trois semaines ont passé entre le dépôt de la requête et la lecture de la décision. Ensuite, il aura encore fallu une semaine entre l’audience et la notification de l’ordonnance de référé - au demeurant notifiée le lendemain d’une journée de mobilisation menée par les « exclus du Ségur » et alors que l’ordonnance avait été rendue depuis l’avant-veille…

En dehors de tout débat partisan, qu’en est-il exactement du fond du droit, si l’on compare les motifs des ordonnances récemment rendues par le juge du référé liberté du Conseil d’Etat au sujet de la liberté syndicale ?

Une première ordonnance du Conseil d’Etat protectrice de la liberté syndicale rendue en octobre …

Par une première ordonnance en date du 19 octobre 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat statuant donc en appel, a infirmé la solution de première instance, enjoignant au ministre des solidarités et de la santé de convier le syndicat Jeunes Médecins et l’Intersyndicale Action Praticiens Hôpital aux réunions des groupes de travail du comité de suivi de l’accord du 13 juillet 2020 relatif aux personnels médicaux.

En substance, après avoir admis que les deux requérants étaient bien des organisations représentatives des personnels de santé et qu’elles devaient « dès lors être appelés à participer aux négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national », le juge des référés du Conseil d’Etat a confirmé que, suivant la lettre de cet accord, le comité de suivi était « chargé de suivre l’avancement de chacune de ces mesures et le respect de chacune des échéances fixées par le présent accord et les aménage[ait] le cas échéant ».

Alors que le ministre avait trouvé prétexte à leur refus de signer l’accord pour exclure les deux organisations syndicales des débats qui se poursuivaient sur son fondement depuis le mois d’août 2020, la Haute juridiction a considéré « que les réunions des groupes de travail auxquels les syndicats requérants demand[aient] à participer [n’avaient] pas seulement pour objet le suivi de l’accord du 13 juillet 2020 mais [avaient] une vocation beaucoup plus large visant à soumettre à l’avis des organisations syndicales diverses mesures, dont certaines [n’étaient] pas expressément mentionnées dans cet accord, concernant le statut des praticiens hospitaliers et leurs conditions d’exercice ».

C’est en toute logique que le juge des référés en a déduit que

« dans ces conditions, dès lors que les réunions de ces groupes de travail [devaient] etre regardées comme comportant des négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national auxquelles les syndicats requérants [devaient] être appelés à participer en application des dispositions de l’article L6156-2 du même code, l’absence de convocation des requérants à ces réunions port[ait] une atteinte grave et manifestement illégale à leur liberté syndicale ».

Selon toute logique juridique, la Fédération CGT de la Santé et de l’Action Sociale a conclu de cette ordonnance en date du 19 octobre 2020 que la solution dégagée par le Conseil d’Etat s’appliquait également à sa situation. En effet, il ne semble pas inutile de rappeler une nouvelle fois que cette Fédération est la première organisation syndicale représentative au niveau de la fonction publique hospitalière.

Or, il a été porté à sa connaissance, par l’intermédiaire des organisations syndicales signataires, que des discussions menées dans le cadre des groupes de travail auxquels elle n’était toujours pas été conviée, portaient sur des négociations, et notamment sur le volet du Ségur portant sur la revalorisation des carrières et des rémunérations et sur la sécurisation des environnements de travail pour les personnels non médicaux.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a également considéré que la décision par laquelle la Haute juridiction avait fait droit au référé liberté engagé par deux autres syndicats représentatifs devait faire jurisprudence. Il a donc retenu, dans son ordonnance du 23 octobre 2020, qu’il résultait

« des documents produits et des débats lors de l’audience, que les réunions des groupes de travail auxquelles la fédération requérante demand[ait] à participer [n’avaient] pas seulement pour objet le suivi de l’accord du 13 juillet 2020 mais [avaient] une vocation plus large visant à soumettre à l’avis des organisations syndicales des textes permettant de donner force juridique à diverses orientations relatives notamment aux revalorisations de grilles de rémunérations et de corps, aux régimes indemnitaires, à la promotion professionnelle, à l’organisation du temps de travail ».

Dans ces conditions, le juge a considéré

« alors même que le conseil supérieur de la fonction publique hospitalière devra être consulté postérieurement, les réunions de ces groupes de travail doivent être regardées comme comportant des négociations ouvertes par les autorités compétentes au niveau national auxquelles la fédération requérante doit être appelée à participer en application des dispositions de l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors, l’absence de convocation de la requérante à ces réunions porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté syndicale ».

Persistant dans sa volonté manifeste d’écarter la Fédération CGT de la Santé et de l’Action Sociale des discussions en cours, le Ministre des solidarités et de la santé a interjeté appel de cette décision qui l’enjoignait de la convier à participer au comité de suivi et aux groupes de travail issus de l’accord du 13 juillet 2020 relatif à la fonction publique hospitalière pour le personnel non-médical.

… Suivie en novembre par une décision justifiant l’exclusion de la première organisation syndicale représentative de la fonction publique hospitalière des discussions du Ségur de la santé.

C’est dans ce contexte particulièrement tendu que, par une ordonnance rendue le 25 novembres 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat, par un raisonnement qui suscite l’étonnement, a infirmé la solution retenue en première instance à l’égard de la Fédération…

Plus précisément, le juge des référés a confirmé « le droit, pour toute organisation syndicale de fonctionnaires représentative au sens du III de l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983, de participer à des négociations ouvertes au niveau national sur un objet mentionné au I ou au II du même article, alors même que l’accord conclu au terme de telles négociations ne lie par l’administration et ne se substitue pas à la concertation à laquelle sa mise en œuvre législative ou réglementaire demeure le cas échéant subordonnée » (point 3 de l’ordonnance).

Le juge du Palais Royal en a déduit que la Fédération CGT de la Santé et de l’Action Sociale, en sa qualité d’organisation syndicale représentative des personnels non médicaux de la fonction publique hospitalière, avait vocation à participer à des négociations ouvertes au niveau national, dès lors que l’objet des négociations portaient sur les conditions et à l’organisation du travail, au télétravail et au déroulement des carrières ainsi qu’à la promotion professionnelle (conformément à ce que prévoit l’article 8 bis-II de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors).

La divergence entre les deux décisions se situe au point 4 de l’ordonnance du 25 novembre 2020. Les motifs qui y sont retenus ont permis au juge d’appel, par un raisonnement qui ne manque pas de susciter doutes et interrogations, d’annuler l’ordonnance du 23 octobre 2020 à la défaveur de la Fédération syndicale.

La distinction faite par le Conseil d’Etat quant à l’objet et la nature des débats au sein des groupes de travail assurant, d’un côté, le suivi de l’accord du 13 juillet 2020 relatif aux personnels médicaux et, d’un autre côté, le suivi de l’accord du même jour relatif aux personnels non-médicaux, interpelle et questionne à plusieurs titres.

Avant de se pencher plus en détails sur ce point, une réflexion sur la répartition de la charge probatoire par le juge des référés du Conseil d’Etat ainsi que sur la valeur probante de la seule parole gouvernementale dans les murs du Palais Royal s’impose.

En l’espèce, il n’est pas contesté que, si les comités et les groupe de travail avaient effectivement consisté en

« le seul suivi de l’avancement de la mise en œuvre des mesures déjà prévues par l’accord et du respect des échéances fixées par celui-ci, le cas échéant en y consentant de simples aménagements ainsi que le permet l’accord, [alors ce suivi ne devait effectivement pas] regardé comme ouvrant une négociation ».

Toutefois, le juge des référés du Conseil d’Etat a d’emblée considéré, se fiant seulement aux propos rapportés par le représentant de l’administration, qu’il « résulte en l’espèce de l’instruction, comme des stipulations mêmes de l’accord du 13 juillet 2020, que celui-ci, d’une part, dresse la liste de vingt mesures convenues entre les signataires de l’accord et, d’autre part, détermine des sujets devant faire l’objet de mesures à définir » et que « le seul suivi de l’avancement de la mise en œuvre des mesures déjà prévues par raccord et du respect des échéances fixées par celui-ci, le cas échéant en y consentant de simples aménagements ainsi que le permet l’accord, ne peut être regardé comme ouvrant une négociation au sens du point précédent ».

Étant exclue de ces discussions, la Fédération CGT Santé - Action Sociale s’est fondée sur le texte même des accords ainsi que sur les communiqués des participants pour établir que tel était bien le cas.

A l’évidence, les groupes de travail mis en place, comprenant les seules entités signataires des accords du Ségur de la santé, ont abordé l’ensemble des problématiques visés par cet accord, y compris celles relevant de négociations nationales - et donc du champ d’application défini par l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983 (ex. : conditions et organisation du travail, déroulement des carrières et promotion professionnelle, formation professionnelle et continue, etc.).

Notamment, s’agissant de la simplification du régime indemnitaire des personnels non médicaux, l’accord prévoit que

« Le chantier de rénovation du régime indemnitaire sera engagé à compter de septembre 2020 en concertation avec les signataires du présent accord et devra être achevé au plus tard le 1er janvier 2022. Dans ce cadre, il examinera le nouveau mode de calcul de la prime de service compte tenu de la suppression de la notation ».

Il est indéniable que ces discussions ne pouvaient exclure les autres organisations syndicales représentatives, quand bien même elles n’auraient pas signé l’accord du 13 juillet 2020.

D’ailleurs, l’exclusion de la fédération CGT Santé Action Sociale pose ici d’autant plus problème que c’est précisément en raison d’une modification non débattue de l’accord relatif à cette prime de service, intervenue après la réunion de clôture de la première phase du Ségur du 10 juillet 2020, que cette organisation avait demandé un report de la date de signature - report qu’elle n’a pas obtenu.

De la même façon, l’accord relatif à la fonction publique hospitalière stipule que « la revalorisation des indemnités pour travail de nuit et dimanche et jours fériés fera l’objet d’un travail spécifique », sans préciser que seuls les signataires pourront participer aux discussions relatif à ce travail spécifique.

Illustrons le propos en examinant le point 3 de l’accord collectif « construire un régime indemnitaire plus lisible et plus transparent pour les personnels non médicaux », lequel stipule que : « les parties au présent accord […] arrêtent les principes suivants :
- Le nouveau régime indemnitaire a vocation à fusionner l’ensemble des régimes indemnitaires existants, à l’exception de l’indemnité de résidence, du supplément familial de traitement, de l’indemnité de sujétion des aides-soignants, des primes liées au temps de travail (heures supplémentaires, travail de nuit, travail des dimanches et des jours fériés), des primes liées à l’exercice de fonctions dans un département ultramarin [exception donc des primes annexées à des sujétions légales).
- Le nouveau régime indemnitaire devra répondre à un objectif de lisibilité et de transparence des rémunérations. Il devra par conséquent reposer sur des principes simples permettant son application de manière identique dans l’ensemble de la fonction publique hospitalière
 ».

Déjà, l’accord pose comme postulat que le nouveau régime devra reposer sur des principes simples permettant son application de manière identique dans l’ensemble de la fonction publique hospitalière.

Or, l’administration est libre de définir une périodicité des versements différente de celle indiquée par l’Etat et moduler la répartition annuelle en prévoyant d’attribuer à chaque agent ou catégorie d’agents une part plus importante par exemple en fin d’année.

Dans le même ordre, les parties signataires devront s’accorder, a minima, sur la négociation d’une option pour le maintien de l’ancien régime, sur la question de savoir si elle concernera le régime indemnitaire et les avantages en entier ou seulement en partie, sur quelle base légale et sous quelles conditions l’agent pourra conserver le bénéficie de son précédent régime indemnitaire…

Enfin, il est curieux que la première organisation syndicale représentative soit exclue de ces travaux alors que la Fédération Hospitalière de France, qui est une association relevant du statut de la loi 1901 et non un syndicat professionnel, est bien présente dans tous les comités et groupes de travail en sa seule qualité de signataire des accords du 13 juillet 2020…

Quoiqu’il en soit, de la même façon qu’il a considéré que le comité de suivi ne pouvait être regardé comme ouvrant une négociation syndicale, le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé qu’il n’apparaissait pas, en l’état de l’instruction,

« qu’il en irait différemment, à ce jour, de l’examen, par les “groupes de travail” rattachés au comité de suivi, du détail technique de cette mise en œuvre pour les catégories et corps de fonctionnaires relevant du champ de ces mesures, notamment s’agissant de la revalorisation des grilles de rémunération et de la rénovation du régime indemnitaire ».

L’ordonnance du 23 octobre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Paris a donc été annulée alors qu’absolument aucun élément versé aux débats ne permettait de démontrer que la mise en œuvre de ce suivi

« demeur[ait] exclusive de l’ouverture, à l’occasion de son examen, de toute nouvelle négociation relevant des champs définis à l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983 ».

En effet, le juge des référés a fait droit à requête du Ministre sur le simple argument que les représentants du ministère avaient affirmé au cours de l’audience - sans en rapporter la preuve - qu’il n’existait aucun compte-rendu des réunions qui s’étaient déjà tenues dans le cadre du suivi de l’accord relatif à la fonction publique hospitalière, non plus d’ailleurs que de liste des participants - ce qui aurait permis de lever tout doute sur le fait qu’il n’y avait pas de négociations ouvertes lors de ces réunions.

Cette décision fait peser la charge de la preuve entièrement sur la défense, en contradiction flagrante avec la jurisprudence pourtant bien établie du Conseil d’Etat en matière de charge de la preuve dans les litiges face à l’administration (v. CE, 26 novembre 2012, n° 354.108, publié au Recueil Lebon : « Mais considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ; que s’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance ; que, le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur »).

De ce point de vue, déjà, l’ordonnance du 25 novembre 2020 s’expose à une critique sérieuse.

S’agissant du fond du droit, la décision du juge des référés au Conseil d’Etat est en tout état de cause critiquable en ce qui concerne l’interprétation faite par ce dernier des stipulations de l’accord du 13 juillet 2020 relatif à la fonction publique hospitalière.

Tel est notamment le cas de la clause qui prévoit la conduite de travaux spécifiques concernant « la situation particulière des agents et des salariés des établissements sociaux et services médico-sociaux », « sur l’évolution des métiers des ambulanciers et des assistants de régulation médicale », sur « la revalorisation des indemnités pour travail de nuit et dimanche et jours fériés », ainsi qu’un état des lieux sur la formation et le développement de la négociation dans les établissements.

À leur sujet, le juge des référés du Palais Royal a considéré que la Fédération CGT de la Santé et de l’Action n’a pas vocation à être conviée et présente car

« il résult[ait] tant de ses stipulations que des précisions apportées au cours de l’audience que ces travaux [n’avaient] pas vocation à être confiés au comité de suivi et aux groupes de travail qui lui sont rattachés mais à des personnes ou instances tierces, en vue de la préparation de mesures à venir restant à définir, soumises le cas échéant à concertation ».

Cette interprétation laisse perplexe alors que d’une part l’accord ne prévoit pas que ces travaux spécifiques sont exclusivement conduits entre le Ministre et les organisations syndicales signataires à l’accord, et que d’autre part, en l’absence de tout compte rendu la Fédération n’est pas en mesure de connaître sur quoi porte la concertation déjà commencée, comme le confirment les annonces officielles publiées par les syndicats FO et CFDT.

En conclusion, et en toute hypothèse, en l’absence de compte rendu des réunions qui se tiennent actuellement hors la présence de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale, le conseil d’Etat ne pouvait être assuré que les sujets dans le cadre des groupes de travail constitués pour assurer le suivi des mesures annoncées par le Ségur de la santé au sujet du personnels non médicaux.

On voit mal, dès lors, comment le juge des référés du conseil d’Etat a pu admettre, à quelques semaines d’intervalle et à propos des deux accords signés le même jour dans le cadre du Ségur de la santé que les comités de suivi et groupes de travail de l’accord sur les personnels hospitaliers « [n’avaient] pas seulement pour objet le suivi de l’accord du 13 juillet 2020 mais ont une vocation beaucoup plus large visant à soumettre à l’avis des organisations syndicales diverses mesures, dont certaines ne sont pas expressément mentionnées dans cet accord, concernant le statut des praticiens hospitaliers et leurs conditions d’exercice », alors que tel ne serait pas le cas des groupes de travail constitués dans le cadre du suivi de l’accord relatif à la fonction publique hospitalière, également conclue à l’issue de la première phase du Ségur de la santé.

Il paraît pourtant évident, au vu des garanties juridiques visant à protéger les droits sociaux, qu’en limitant la participation aux groupes de travail et comités de suivi aux seuls signataires des accords du 13 juillet 2020 et en refusant de convoquer la première organisation syndicale représentative pour prendre part aux discussions menées lors de la seconde phase du « Ségur de la santé », que le ministre des Solidarités et de la Santé a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale.

Le retour d’expérience des avocats de la Fédération CGT Santé - Action Sociale est par conséquent amer - mais la lutte se poursuit et le point final de cette affaire n’a pas encore été prononcé.

Selon l’entourage du Ministre de la Santé, les groupes de travail et comité de suivi reprendront opportunément le 8 décembre 2020.

Bénédicte ROUSSEAU & Alma BASIC Avocates en droit public et droit social

[2TA Paris, 1er juin 2020, Syndicat Jeunes Médecins, n° 2007505/9 https://www.caducee.net/upld/2020/06/20200603_JM_CDP_PJ_Ordonnace_TA.pdf

[3v. CC, 16 juillet 1971, n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; CC, 25 juillet 1989, n° 89-257 DC, Loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

[4Conseil constitutionnel, 6 novembre 1996, n° 96-383 DC.

[5v. CE, ord., 28 mars 2006, Cne de Saint-Chely d’Apcher, n°291.399, T, p. 1017 ; CE, ord. 31 mai 2007, Syndicat CFDT Interco 28, n° 298.293, publié au Recueil Lebon ; CE, ord. 21 juin 2019, Syndicat autonome de la fonction publique territoriale de la Réunion (SAFPTR), n° 431.713 ; CE, ord. 23 février 2020, Syndicat autonome de la fonction publique territoriale de La Réunion (SAFPTR), n° 439.007 ; CE, ord. 13 juin 2020, n° 440.846 ; CE, ord. 6 juillet 2020, n° 441.257.

[6CE, Assemblée, 16 décembre 2005, n° 259.584, publié au Recueil Lebon.

[7CEDH, 6 février 1976, Syndicat suédois des conducteurs de locomotive, série A, n° 39.

[8TA Paris, ord., 19 septembre 2020, n° 2015045/9.

[9TA Paris, ord., 16 octobre 2020, n° 2016179 /2-2.

[10CE, ord., 19 octobre 2020, Syndicat Jeunes Médecins Intersyndicale Action Praticiens-hôpital n° 445099 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000042471975?tab_selection=all&searchField=ALL&query=445099&page=1&init=true

[11TA Paris, ord., 23 octobre 2020, n° 2017226/9.

[13CE, ord. 19 octobre 2020, précité.