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Entrepreneur individuel, liquidation judiciaire, biens communs. Par Dominique Ducourtioux, Avocat.
Parution : mercredi 9 décembre 2020
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Cet article vise à faire le point sur la liquidation judiciaire d’un entrepreneur individuel marié sous le régime de la communauté légale, et présente les conséquences qu’elle entraine sur les biens communs et les revenus du conjoint.

Durant la procédure de liquidation et jusqu’à la clôture de celle-ci, les biens acquis par l’entrepreneur individuel mais également les biens acquis par les époux communs en biens peuvent être vendus pour régler les créanciers.

Après la clôture de la liquidation, l’entrepreneur individuel ne peut normalement plus être poursuivi, ce qui suppose que les biens communs, qui subsisteraient, ne peuvent pas davantage être inquiétés ( saisie ou vente par les créanciers )

Néanmoins des exceptions existent, certaines tiennent aux sanctions dont l’entrepreneur individuel pourrait être frappé, et d’autres relèvent de la situation de la résidence principale

I - La situation du conjoint et des biens communs durant la procédure de liquidation :

1°) Le passif de l’entrepreneur dont le conjoint et la communauté peuvent être tenus :

Le conjoint est solidairement tenu des dettes contractées pour l’entretien du ménage [1].

Les dettes professionnelles étant étrangères à l’entretien du ménage, le conjoint n’est donc pas débiteur de celles-ci et son salaire ne peut pas être saisi.

En revanche la communauté n’échappe pas au paiement des dettes professionnelles.

En effet, dans la mesure où la communauté de biens constituée par l’entrepreneur et son conjoint se compose passivement des dettes nées pendant la communauté, celle-ci répond des dettes professionnelles de l’entrepreneur (dettes de fonctionnement du fonds de commerce, dettes fiscales, dettes de fournisseurs), et le paiement de ces dettes peut être poursuivi sur les biens communs [2].

2°) Les biens devant servir au règlement du passif de la liquidation :

Le jugement qui prononce la liquidation judiciaire nomme un mandataire judiciaire en qualité de liquidateur, ainsi qu’un huissier qui sera chargé de faire un inventaire des biens de l’entrepreneur individuel [3].

L’inventaire des biens fait par l’huissier nommé par le jugement de liquidation va donc intégré les biens professionnels et personnels de l’entrepreneur, ainsi que les biens acquis par les époux, qui sont par définition communs (comptes bancaires, mobilier, automobiles, etc).

3°) Le sort de ces biens :

A compter du jugement de liquidation, les créanciers ont interdiction d’exercer des poursuites, que ce soit des actions en justice ou des voies d’exécution [4].

Aucune sûreté ( hypothèque ) ne peut plus être inscrite, mais celles qui étaient déjà inscrites sont maintenues.

Le liquidateur est le seul a avoir le pouvoir de procéder aux opérations de liquidation [5], ce qui implique qu’il peut vendre les biens à l’amiable, avec l’autorisation du juge commissaire [6] ou aux enchères.

Les biens meubles personnels et communs qui échappent cependant à la vente :
- premièrement, les meubles que le code des procédures civiles d’exécution déclare insaisissables ne peuvent pas être vendus et sont donc laissés à la possession de l’entrepreneur et de sa famille ;
- deuxièmement, les biens de faible valeur nécessaires aux besoins de la vie courante peuvent être acquis par le débiteur ou ses proches [7], ce qui signifie que ces biens, autres que les biens insaisissables, restent aussi en la possession de l’entrepreneur et de son conjoint ;
- troisièmement, l’entrepreneur individuel perdant du fait de sa liquidation toutes ressources et la possibilité d’acquérir quoique soit, il est admis qu’il n’a pas à acheter lesdits biens de faible valeur et que ceux-ci peuvent lui être attribués sous forme de subsides [L631-11.]].

Le cas des immeubles autres que celui servant à l’habitation principale :

Ces immeubles peuvent être vendus à l’amiable ou aux enchères par le liquidateur [8].

Si le liquidateur n’a pas entrepris la liquidation des biens dans les trois mois qui suivent le prononcé du jugement de liquidation, les créanciers titulaires d’un privilège spécial ( dont une hypothèque ) peuvent exercer leur droit de poursuite individuelle [9].

Ils peuvent donc entreprendre de faire vendre les immeubles si le liquidateur ne le fait pas [10].

Le cas de l’habitation principale :

Depuis le 8 août 2015 date d’entrée en vigueur de la loi n°2015-990 dite « loi Macron », la résidence principale de l’entrepreneur individuel est insaisissable de droit pour les seuls créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement [11].

Auparavant, l’entrepreneur devait effectuer une déclaration d’insaisissabilité et l’inscrire à un fichier immobilier pour rendre cette insaisissabilité opposable à ses créanciers professionnels.

L’insaisissabilité est inopposable aux créanciers personnels.

Un entrepreneur individuel peut ainsi avoir à son actif un immeuble d’habitation commun, sur lequel seront inscrites des hypothèques pour des créances professionnelles, ainsi que des créances personnelles dont lui et son conjoint sont tenus.

Dans tous les cas, le liquidateur ne peut pas vendre l’immeuble :

Le liquidateur agit dans l’intérêt collectif des créanciers [12], qui sont, pour les besoins de la procédure de liquidation, à égalité dans le traitement du passif, malgré leur disparité : pour certains, la résidence principale peut être saisissable, et pour d’autres la résidence est insaisissable.

Le liquidateur ne va donc pas pouvoir vendre la résidence principale, car sinon il n’agirait plus dans l’intérêt collectif des créanciers mais seulement dans l’intérêt de ceux pour qui l’insaisissabilité n’est pas opposable.

En revanche, les créanciers hypothécaires peuvent agir pour défendre leurs intérêts individuels :

Ces créanciers, titulaires d’une sûreté réelle, peuvent exercer leur droit de poursuite sur l’immeuble d’habitation pendant la procédure de liquidation par voie de saisie-immobilière [13].

En revanche ces créanciers ne peuvent pas exercer une action pour obtenir paiement de leurs créances [14].

Ils peuvent donc exercer une action pour conserver leurs droits sur l’immeuble, mais ils ne peuvent pas le vendre et être payés.

II - La situation du conjoint et des biens communs après la clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif.

Une fois que les opérations de liquidation sont terminées, la procédure est clôturée.

Si la cession des actifs a permis de régler l’intégralité du passif, aucune poursuite ne peut plus être entreprise et l’entrepreneur est relevé de toutes les déchéances et interdictions, y compris celle de gérer, dont il aurait été éventuellement frappé [15].

Dans la plupart des cas, la liquidation est clôturée pour insuffisance d’actif, c’est à dire, lorsque l’intégralité du passif ne peut pas être payé [16].

C’est cette situation qui va être développée.

1°) L’extinction des dettes :

Ce principe est consacré par l’article L643-11 qui dispose que

« le jugement de clôture pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ».

Dans la mesure où la liquidation de l’entrepreneur individuel s’est étendue à la communauté de biens, les créanciers ne peuvent plus poursuivre les biens communs qui subsisteraient après le jugement de clôture.

L’interdiction des poursuites après clôture pour insuffisance d’actif s’applique donc aussi aux biens communs.

Le conjoint reste néanmoins tenu des dettes qu’il a contracté solidairement, à savoir les emprunts communs, et les engagements pour lesquels il s’est porté caution.

Ainsi, si les créanciers ne peuvent plus poursuivre l’entrepreneur et les biens communs, ils peuvent demander au conjoint de payer les montants dont il est personnellement débiteur.

Tout semblerait régler si le principe d’insaisissabilité de la résidence principale ne pouvait pas être remis en cause.

2°) La préoccupation de la résidence principale :

La question qui nous occupe est évidemment celle où l’immeuble d’habitation était saisissable et sur lequel des créanciers, non seulement la banque mais aussi d’autres créanciers ont inscrit une sûreté.

On a vu que la résidence principale ne pouvait pas être vendue avant la clôture de la liquidation :
- Le liquidateur ne pouvait pas vendre l’immeuble ;
- La banque, qui a financé le prêt de la résidence principale, ainsi que les autres créanciers hypothécaires, pouvaient poursuivre leurs actions en vue de saisir l’immeuble mais ne pouvaient pas le vendre.

Mais une fois le jugement de clôture prononcé les créanciers inscrits sur l’immeuble d’habitation peuvent poursuivre la vente de celui-ci [17].

Retrouver son droit de poursuite pour les créanciers dont l’insaisissabilité n’est pas opposable, en dépit des effets du jugement de clôture, signifie que ces créanciers agissent selon le droit commun, qui leur a d’ailleurs été accordé durant la procédure de liquidation avec la restriction néanmoins de ne pas pouvoir vendre.

3°) L’action des créanciers sur l’immeuble d’habitation est cependant soumise à la prescription extinctive :

Le créancier, qui réclame le paiement de sa créance, doit agir dans un certain délai, faute de quoi il perd tous ses droits. C’est la prescription extinctive [18].

Le délai accordé au créancier pour agir peut être être suspendu ou interrompu.

La liquidation judiciaire n’est pas une cause de suspension.

En revanche la déclaration de créance dans la procédure de liquidation est assimilée à une demande en justice [19] et interrompt la prescription.

L’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai égal à l’ancien [20].

La prescription est donc interrompue par la déclaration de créance et un nouveau délai redémarre quand le créancier peut de nouveau agir [21].

Il est reconnu que le créancier, à qui l’insaisissabilité est inopposable, peut agir en cours de procédure de liquidation afin de saisir l’immeuble.

C’est donc le moment auquel ce créancier peut de nouveau engager une action, qui marque la reprise du cours de la prescription, et ce moment est la décision qui admet sa créance (dans la procédure de liquidation le créancier déclare sa créance et celle-ci est admise ou non par une décision du juge commissaire).

La prescription pour agir reprend donc son cours à compter de la décision d’admission [22].

En conclusion, le créancier hypothécaire est forclos et ne peut donc plus agir, s’il n’a pas engagé d’action en cours de liquidation et a laissé s’écouler le cours de la prescription extinctive depuis la date d’admission de sa créance.

Il est rappelé que le délai de prescription de droit commun est de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières [23].

Ainsi, selon qu’on se trouve du bon côté de la prescription, il y a toujours un espoir soit pour le créancier impayé de vendre l’immeuble, soit pour l’entrepreneur et son conjoint de le conserver.

Les articles cités du code de commerce et du code civil sont ceux étant en vigueur au mois de décembre 2020.

Dominique Ducourtioux Avocat. Barreau de Strasbourg

[1Article 220 du code civil.

[2Articles 1409 et 1413 du code civil.

[3Articles L641-1, R641-1, et L622-6 du code de commerce.

[4L641-3 et L622-30.

[5Article L641-4.

[6L642-19.

[7L642-20.

[8L642-18.

[9L643-2.

[10L642-18 et L 643-2.

[11Article L526-1 du code de commerce.

[12Articles L641-4 et L622-20.

[13Cour de cassation - avis du 12 septembre 2016 n°16-70.008.

[14Cour de cassation Chambre commerciale 7 octobre 2020 n°19-13.560.

[15L653-11.

[16L643-9.

[17Cour de cassation Chambre commerciale, 7 novembre 2018 n°17-20.432.

[18Article 2219 du code civil.

[19Article 2241 du code civil.

[20Article 2231 du code civil.

[21Article 2234 du code civil.

[22Cour de cassation Chambre commerciale 12 juillet 2016, n°15-17.321.

[23Article 2224 du code civil.

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