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La saisie d’un squelette humain en cabinet médical. Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.
Parution : mercredi 9 décembre 2020
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Faisant suite à notre précédent article sur la saisie d’un reliquaire de valeur contenant des cendres funéraires, il convient de s’interroger à nouveau sur la variabilité du statut d’un bien pouvant être qualifié d’instrument de travail, de bien mobilier pouvant être vendu, ou être considéré comme un bien insaisissable : le squelette humain, que l’on peut encore retrouver dans nos cabinets médicaux.

Bis repetita placent… C’est à nouveau au cours d’une tournée de saisie-vente que nous avons retrouvé dans le cabinet d’un médecin un antique modèle de squelette anatomique, digne héritier des « Oscar » de salle de classe.

Or, après un examen attentif et confirmation du médecin, il s’est avéré que le modèle en question était celui d’un réel squelette humain, qui, aux dires du débiteur, a été laissé sur place par son prédécesseur.

Nous sommes donc en présence d’un bien mobilier ancien, présentant la caractéristique particulière d’être issu du corps humain.
Outre son caractère onéreux, le praticien peut s’interroger sur la possibilité de saisie d’un tel bien.

Est-il possible de saisir un squelette humain dans le cadre d’une saisie-vente ? Comment s’articule l’inaliénabilité du corps humain et le droit des procédures civiles d’exécution ?

L’article L112-1 du Code des procédures civiles d’exécution précise que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur ».

L’article suivant précise quels sont les biens qui ne sont pas saisissables, et si son premier alinéa précise que « Ne peuvent être saisis les biens que la loi déclare insaisissables ».

L’article 16-1 du Code civil ne prévoit que l’impossibilité de droits patrimoniaux sur le corps humain et ses éléments, et non pas son insaisissabilité [1].

Le cinquième alinéa de l’article L112-2 du CPCE pourrait également jouer sur le caractère insaisissable, le squelette est un bien de valeur en raison de sa rareté et de sa matière. Sa substituabilité avec un modèle en résine ou en plastique nous conduit à considérer que le dit-bien n’est pas non plus insaisissable sur le plan de l’insaisissabilité des instruments de travail. Tempus fugit ...Si un squelette pouvait être nécessaire à la formation des médecins il y a plus d’un demi-siècle, il semble inutile de considérer ce dernier comme un accessoire nécessaire d’un cabinet médical de nos jours.

Il convient de s’interroger en amont sur le principe d’inaliénabilité du corps humain (I), puis sur la qualification de bien culturel sans équivoque (II), artifice utilisé pour permettre la vente du corps humain et de ses éléments.

I) L’inaliénabilité du corps humain.

Si l’article 1598 du Code Civil prévoit que « tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, lorsque des lois particulières n’en ont pas prohibé l’aliénation. », l’article 16-1 du même code proclame que « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »

Cette règle d’ordre public s’applique aux différentes parties d’un corps humain tant vivant (il serait impensable de louer un utérus) que mort (il serait tout aussi impensable de vendre un collier de crânes).

Pourtant, l’article 1.5.4 du recueil des obligations déontologiques des commissaires-priseurs, approuvé par arrêté ministériel en date du 21 février 2012 prévoit que : « Sauf lorsqu’ils constituent sans équivoque des biens culturels, l’opérateur de ventes volontaires s’abstient de présenter à la vente tout ou partie de corps ou de restes humains ou tout objet composé à partir de corps ou de restes humains. »

S’il semble surprenant de considérer qu’un arrêté soit supérieur hiérarchiquement à la loi, c’est oublier que le dit règlement déontologique a été pris en application de l’article L321-18 du Code de Commerce, qui prévoit son approbation par le garde des sceaux. Pourtant, l’article du recueil précité est une violation flagrante de l’article 16-1 du Code civil.

Une certaine tolérance existe donc pour les ventes aux enchères.

Le Conseil des ventes volontaires dispose de plusieurs outils pour appliquer ces règles déontologiques : demander au commissaire-priseur de retirer un objet problématique, suspendre la vente pendant une durée d’un à trois mois (article L 321-22 du code de commerce), ou saisir le juge.

Si le corps humain est initialement protégé comme abritant une vie humaine, cette protection s’impose après le décès en raison de son caractère sui generis, la protection de la dignité de la personne continuant après le décès.
Le corps survit à la disparition de la personne, et dispose en tant que tel de diverses protections [2].

Il est possible de s’interroger selon la provenance du squelette. L’état du squelette et les déclarations du débiteur nous indiquant une provenance ancienne exclut le fait que le dit-corps soit issu d’un don du corps à la science.

La question du respect dû aux personnes décédées s’est posée une première fois au Comité Consultatif National d’Ethique (avis N°111) à la suite d’une saisine de la Cité des sciences de la Villette en 2008 (concernant le projet d’exposition « body world ») .

Le CCNE recommande la prise en considération de la dignité du défunt, et indique que « Le consentement d’une personne à donner son corps à la science après son décès (pour des raisons anatomiques et pédagogiques) ne saurait être confondu avec un cautionnement de sa mise en scène post-mortem à des fins commerciales. »
L’exploitation à des fins commerciales d’un corps donné pour les besoins de la science contrevient donc au droit au consentement du de cujus ; il en va a fortiori de sa saisie pour des fins d’épongement de dettes, sauf mention expresse contraire du de cujus, qui semble peu probable.

Mais la dignité du corps humain ne résiste visiblement pas au feu des enchères : peut-être admis en vente publique un corps ou partie de corps humain constituant un bien culturel sans équivoque (II).

II) La qualification de bien culturel sans équivoque, préalable nécessaire à la vente volontaire ou judiciaire.

Bien que l’Huissier de Justice effectuant une vente judiciaire ne soit pas soumis au Conseil des Ventes Volontaires mais à la Chambre Nationale des Huissiers de Justice, il convient de considérer la recommandation du CVV comme étant d’ordre public, applicable à tout types de ventes aux enchères. A défaut, et en application du code civil, l’Huissier de Justice ne pourrait pas procéder une telle vente.

La distinction d’un corps humain avec un bien culturel non équivoque est problématique : une intervention humaine est-elle nécessaire pour transformer le corps en œuvre culturelle (crâne sculpté), ou le simple corps présentant un intérêt scientifique (ex : la longue exposition du corps de Joseph Merrick – elephant man) peut-il être en lui-même un bien culturel non équivoque ?

Un squelette, de par son intérêt pédagogique, rentrerait dans cette seconde catégorie. On peut toujours objecter que le même travail pédagogique peut-être effectué par un squelette en résine : il pourrait être malgré tout considéré comme ayant bénéficié d’une intervention humaine par sa reconstitution et sa mise sur potence, et bénéficier de la qualification de « bien culturel non équivoque ».

Le CVV semble opérer dans les faits une distinction entre objets d’arts sacrés catholique et arts premiers. Ainsi, si les seconds ont l’honneur régulier des salles de ventes sans restriction autre que les saisies opérées par l’OCBC et très rarement une tête réduite retirée d’une vente, les premiers entraînent de plus vives manifestations.

A donc pu être considéré comme bien culturel non équivoque un squelette d’hydrocéphale, des kapâla (crâne à usage rituel originaire du Tibet – Vendu chez Me Cornette de saint cyr le 17 Novembre 2020), un reliquaire en jonc contenant un crâne d’ancêtre des îles Salomon (Vente du 09.12.2020 – Me Herbelin) ou encore un « crâne trophée gravé de motifs floraux, armé de défenses de porc sauvage » (même vente).

A contrario, le 25 avril dernier a vu le retrait de trois lots d’une vente d’art sacré [3] ; soit un crâne humain, une relique contenant des ossements de sainte Justine et Sainte Monique et enfin une « châsse reliquaire en bois sculpté et doré à décor de feuilles d’acanthe et chutes de feuillage d’Italie du Nord, circa XVIIIème », renfermant le corps d’une enfant, monté de « tissus brodés, perles, verroterie, paperolles et cannetilles ».

La dignité d’un crâne Papouasien s’efface t-elle devant son aspect culturel, a contrario d’un crâne Italien dont la dignité est supérieure à la qualification culturelle ?

Le CVV précise dans son rapport annuel de 2012 que « le corps humain n’est pas perçu de la même manière suivant les lieux et les époques, et par conséquent sur la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle de l’élément humain quand il s’agira de déterminer s’il peut être offert à la vente ou non. »

La dimension culturelle doit elle être considérée à la date de la vente, ou au moment de la réalisation de l’oeuvre ? Or, tant un crâne d’ancêtre papouasien qu’une chasse-reliquaire d’Italie du Nord faisaient l’objet d’une similaire vénération lors de leurs créations. Le culte des reliques obéit à des critères anthropologiques, sociologiques et religieux, dans le souhait de préserver un témoignage de l’histoire.

Si cette dimension culturelle doit être appréhendée au jour de la vente, la pratique montre in fine que les corps extra-européens bénéficient en salle de vente d’une moindre protection, d’une moindre dignité que les corps provenant d’Europe.
Mais quid d’un élément décoratif à vocation pédagogique et sans provenance géographique ?
La provenance du squelette ayant été traitée auparavant, la question de la vente se pose toujours, l’insaisissabilité de ce dernier n’étant donc pas prévu par les textes.

Le bien étant saisissable, il convient de considérer que sa reconstitution et sa mise sur potence ont ajouté un « travail artistique » le faisant devenir un « bien culturel non équivoque », préalable nécessaire à sa mise en vente.

Il ne restera plus qu’à trouver un acquéreur qui a passé sa scolarité au fond de la classe, près du radiateur en compagnie d’Oscar...

Rémi Oliveras Clerc Collaborateur d'Huissier de Justice - Etude Nouvel (97100)

[1Une solution similaire a été dégagée concernant la saisissabilité des parts sociales de SCP d’Huissiers de Justice : l’article 14 du décret du 31 décembre 1969 prévoit l’impossibilité de vendre les dites parts aux enchères publiques ... mais n’empêche pas leur saisie.

[2Article 225-17 du code pénal relatif à la profanation de cadavres ou encore la loi Jardé du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine.

[3Me Biget à Alençon.