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Espagne : La “Class action” européenne, présentation de la nouvelle directive de l’UE. Par Miquel Morales Sabalete, Avocat.
Parution : jeudi 10 décembre 2020
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Le Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE) du 4 décembre dernier a finalement publié la tant attendue Directive 2020/1828 du Parlement Européen et du Conseil, du 25 novembre, relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs.

Cette directive, que les Etats membres de l’UE doivent transposer dans leurs ordres juridiques internes au plus tard le 25 décembre 2022, repose sur la nécessité d’établir des mécanismes procéduraux de protection collective des consommateurs, afin d’éviter qu’ils n’aient à recourir à des procédures judiciaires onéreuses et complexes contre une pratique abusive ou illégale d’une entreprise donnée pour défendre leurs intérêts individuels en tant que consommateurs ; à la condition impérative que cette pratique puisse être qualifiée d’abusive ou illicite, mais qu’une action en justice par ce seul consommateur ne soit pas rentable en raison de l’importance des dommages existants.

Prenons le cas d’un opérateur téléphonique qui propose à ses clients un tarif gelé « à vie », en contrepartie d’un engagement sur 2 ans, cette offre permettant de convaincre des milliers de consommateurs à travers l’Europe de changer de fournisseur mais qu’au bout de 2 mois, ce même opérateur augmente le montant de ce tarif de 0,75 euros par mois.

Pour un client individuel, poursuivre l’opérateur en justice pour une différence de 0,75 euros est une hypothèse qui, pour le faible montant ajouté, ne se pose pas, étant donné que tous ces consommateurs sont liés à des conditions permanentes qui diffèrent de celles convenues.

En réalité, il peut s’agir de millions de personnes touchées par cette pratique abusive qui engendre un revenu supplémentaire de plusieurs millions d’euros par mois pour l’entreprise ; cela n’affecte pas seulement les consommateurs, mais fausse également le marché, car les entreprises qui font le « sale boulot » obtiennent un avantage concurrentiel déloyal sur les autres entreprises concurrentes qui opèrent sur le marché avec des politiques et des normes plus favorables aux consommateurs.

Par conséquent, le seul mécanisme efficace pour contrevenir à un tel comportement et pour que chaque consommateur concerné obtienne une réparation adéquate, est celui d’une action entreprise au nom de l’ensemble de ces consommateurs.

En fait, la simple existence d’un mécanisme procédural efficace pour endiguer ces pratiques abusives peut être un élément dissuasif qui peut servir à en empêcher la "mise en œuvre".

Comme l’indique le préambule de cette directive, la mondialisation et la numérisation ont augmenté le risque qu’un grand nombre de consommateurs soient lésés par une même pratique illégale. Les infractions au droit de l’Union peuvent causer des dommages aux consommateurs.

Sans moyens efficaces permettant aux consommateurs de mettre fin à ces pratiques illégales et d’en être indemnisés, la confiance qu’ils confèrent au marché intérieur s’en retrouve affaiblie.

Champ d’application.

La nouvelle directive s’applique aux actions en cessation et en réparation intentées au nom des consommateurs contre les actes enfreints par les entreprises, au détriment des intérêts collectifs des consommateurs, dès lors que l’une des dispositions du droit de l’Union visées à l’annexe I de cette nouvelle directive communautaire, et/ou l’une quelconque des dispositions édictées par les Etats membres en transposition de ces règles communautaires est concernée.

L’exercice de cette nouvelle voie procédurale établie par la présente directive s’applique sans préjudice des règles de l’Union consacrées en droit international privé, notamment celles relatives à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’à la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles.

Qui.

La directive établit les mécanismes procéduraux requis pour permettre à certaines organisations, que la directive dénomme les "entités qualifiées", d’intenter de telles actions collectives en cessation ou en réparation relatives à d’éventuelles pratiques préjudiciables aux consommateurs, au nom de l’ensemble des consommateurs touchés par cette pratique illégale ; ces mécanismes peuvent être articulés, y compris sur une base transfrontalière, lorsque la pratique touche des groupes de consommateurs de plus d’un Etat membre de l’UE.

Les organisations qui peuvent représenter les consommateurs doivent être agréées par les États membres et doivent répondre aux mêmes critères de nomination dans toute l’Union.

En particulier, ils doivent être des personnes morales dûment constituées conformément au droit national de l’Etat membre qui les habilite à cette fin, avoir un certain degré de permanence et d’intérêt public, être sans but lucratif et avoir un intérêt légitime, eu égard à leur objet statutaire, à la protection des intérêts des consommateurs tels qu’ils sont définis dans le droit de l’Union.

Ces précautions devraient servir à éviter les pratiques dont nous avons un bon nombre d’exemples assez flagrants, où des associations de "consommateurs" sont créées autour d’individus, de fonds, de cabinets d’avocats ou d’autres groupes d’intérêt ayant des objectifs spéculatifs, lucratifs et notoires clairs ; le profit et la notoriété qu’ils obtiennent en "embrassant" la cause collective « du moment » révèlent un objectif principal fallacieux.

Comment.

Lorsqu’elle exerce une action représentative, l’entité qualifiée doit fournir au tribunal ou à l’autorité administrative des informations suffisantes sur les consommateurs concernés par cette action.

L’entité qualifiée exerçant l’action représentative prévue par la nouvelle directive doit demander les mesures appropriées, y compris des mesures compensatoires, dans l’intérêt et au nom des consommateurs affectés par l’infraction. L’entité qualifiée doit représenter les droits et obligations procéduraux qui incombent au demandeur dans la procédure.

Chaque État membre peut accorder aux consommateurs individuels affectés par l’action représentative certains droits dans le cadre de l’action représentative, mais ces consommateurs individuels ne peuvent pas être demandeurs dans la procédure.

Ceci afin que les consommateurs individuels n’interfèrent en aucune manière avec les décisions prises par les entités qualifiées relatives à la procédure, ni ne demandent individuellement des preuves dans le cadre de la procédure ou ne fassent individuellement appel des décisions de procédure du tribunal ou de l’autorité administrative devant lesquelles l’action représentative est engagée. Ils ne doivent pas non plus détenir d’obligations procédurales dans le cadre de l’action représentative ni supporter les frais de procédure, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

Ceci est sans préjudice de l’extension aux consommateurs individuels des décisions rendues par les tribunaux à la suite de l’action en justice intentée par l’entité qualifiée.

Les entités qualifiées peuvent, dans le cadre de la procédure qu’elles ont engagé pour défendre les intérêts collectifs des consommateurs, demander les mesures de précaution qu’elles jugent nécessaires pour éviter ou faire cesser, à tout moment, le préjudice causé aux intérêts collectifs des consommateurs.

Nécessité d’une consultation préalable à l’exercice de l’action en justice.

Sur la base de la directive 2009/22/CE, qui est abrogée par celle que nous analysons et résumons ici, les Etats membres ont le pouvoir de prévoir l’obligation pour toute entité qualifiée qui va introduire une action en cessation d’entreprendre, après consultation préalable, de réaliser une démarche permettant à l’employeur concerné de mettre fin à l’infraction qui ferait l’objet de l’action en cessation. Les Etats membres devraient pouvoir exiger une telle consultation préalable.

La liste des règles de protection des consommateurs de l’UE pouvant donner lieu à des actions collectives en cessation et en réparation.

Par le biais de l’annexe correspondante, la directive énumère chacune des 66 directives et règlements émis par l’UE pour la défense des consommateurs qui peuvent donner lieu à l’articulation de l’action collective prévue dans la directive à laquelle cet article fait référence.

Nouvelle modification du Code de procédure civile (Ley de Enjuiciamiento Civil) et d’autres législations nationales pour la mise en œuvre de la directive.

Pour la transposition de cette directive, il s’avère nécessaire de modifier les dispositions du Code de l’organisation judiciaire (la Ley Orgánica del Poder Judicial), du Code de procédure civile (la Ley de Enjuiciamiento Civil), du Code civil (Código Civil) et, éventuellement, de la loi dédiée à la médiation en matière civile et commerciale (la Ley de Mediación en Asuntos Civiles y Mercantilla), qui seront celles qui, dans notre ordre interne, devront être établies par les tribunaux compétents pour traiter ces procédures nationales, les règles de procédure spéciales et les exigences de légitimation active, et les procédures qu’il a été décidé, le cas échéant, d’établir (consultation préalable ou médiation, etc.), les notes de procédure spéciales pour ce type de litige, ainsi que les exigences relatives à l’extension des effets de la résolution mettant fin à la procédure aux personnes qui n’y ont pas été parties ainsi que les règles d’interruption de la prescription des éventuelles actions individuelles des consommateurs contre les mêmes actes de l’entreprise concernée.

Miquel Morales Sabalete, Avocat associé, département Contentieux et Arbitrage. AGM Avocats - Abogados