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[Dossier] La plaidoirie a-t-elle encore un avenir ? Etat des lieux et réflexions prospectives du CNB par Carine Denoit-Benteux, Avocat.
Parution : vendredi 11 décembre 2020
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Le bouleversement des pratiques lié à la crise sanitaire conduit évidemment à s’interroger sur l’avenir de la plaidoirie et donc à dresser un état des lieux du fonctionnement de l’audience aujourd’hui. Le 15 mai dernier, l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux a décidé de constituer un groupe de travail chargé de mener ces réflexions et m’a fait l’honneur de m’en confier la responsabilité.

Pour mener à bien ces travaux, nous avons auditionné en visioconférence, entre juillet et septembre 2020, 67 personnalités (avocats, magistrats, greffiers, syndicats, journalistes et représentants de la société civile) autour de 5 grands axes de réflexion : la fonction de l’audience, le recours à la visioconférence, à la procédure sans audience, l’évolution de l’audience et les pistes d’amélioration de la coopération entre ses acteurs.

Le groupe de travail a pris le temps d’échanger avec des interlocuteurs d’horizons très divers en termes de pratique, d’années d’expérience et de lieu d’exercice et a constaté un très large consensus organisé autour de deux idées essentielles, la première étant que l’audience physique est un moment incontournable du système judiciaire et la seconde que l’organisation de l’audience ne peut demeurer telle qu’elle est et que son fonctionnement doit être amélioré.

Sur la fonction de l’audience. Les auditions ont souligné le caractère essentiel de l’audience, en raison de sa fonction pédagogique pour le justiciable, symbolique, démocratique et régalienne.

Sur le recours à la visioconférence.

Le recours à la visioconférence est majoritairement perçu comme un mode dégradé d’audience qu’il faut réserver à des situations exceptionnelles. La visioconférence est donc inadaptée en présence du justiciable et ne doit en tout état de cause se tenir qu’avec son accord et celle de son avocat.

Il serait cependant opportun qu’elle puisse se développer pour les étapes intermédiaires avant audience pour permettre un traitement différencié des affaires.

Sur le recours à la procédure sans audience.

Les auditions révèlent que si cette procédure dérogatoire au droit commun peut trouver son utilité dans des situations exceptionnelles telles qu’une crise sanitaire afin d’éviter un arrêt complet de la Justice, elle ne doit pas être pérennisée en l’état et dans tous les cas, doit être conditionnée à l’accord des parties et de leurs avocats.

Sur l’évolution de l’audience.

Le groupe de travail a constaté une insatisfaction générale quant à la tenue des audiences, que ce soit de la part des avocats, des magistrats, des greffiers ou encore des associations, institutions ou personnalités extérieures aux professions juridiques.

Outre l’augmentation du budget alloué à la Justice, plusieurs pistes d’amélioration ont été proposées :
• La maîtrise du temps d’audience : convocation par tranche horaire ;
• Le développement de la procédure participative de mise en état et plus généralement des modes amiables de règlement des différends ;
• Un traitement différencié des affaires au moyen d’échanges plus interactifs entre avocats, magistrats et greffiers ;
• La communication systématique d’un rapport par juge en amont de l’audience, avec l’élaboration d’une proposition de modification de l’article 804 du CPC ;
• Une audience plus interactive centrée sur les points questionnant le magistrat, sans rien enlever à la liberté de plaider de l’avocat ;
• Le renforcement de l’outil numérique des juridictions et du partage des données ;
• Le renforcement des effectifs autour des magistrats : recrutement de juristes assistants pour assister le juge dans l’élaboration de son rapport et l’analyse de ses dossiers. Cela étant, cette équipe renforcée autour du juge ne saurait pallier la pénurie persistante de magistrats et de greffiers.

Sur le renforcement de la coopération entre les acteurs de la Justice.

Les acteurs de l’audience déplorent leur éloignement se traduisant par une absence de communication et une méconnaissance du quotidien et des préoccupations de chacun, en particulier dans les grandes juridictions. Cette détérioration des échanges est attribuée aux tensions résultant d’un mode dégradé de la Justice et de l’audience. Les magistrats, sous pression statistique, manquent de temps pour écouter les avocats, qui subissent également une pression économique importante.

Le groupe de travail demande la création d’un annuaire actualisé des contacts afin de faciliter les échanges entre avocats, greffiers et magistrats.

Il propose l’organisation de formations obligatoires communes aux avocats, aux magistrats et aux greffiers. En formation initiale avec la création d’un module similaire sur l’audience enseigné dans les trois écoles et la systématisation de stages croisés en juridiction et en cabinet pour les élèves avocats et les auditeurs de justice. En formation continue, avec des formations pratiques autour de l’audience pour échanger sur les problématiques relatives à l’exercice de chacun.

Le groupe de travail recommande également la création de commissions mixtes réunissant magistrats, avocats et greffiers afin d’institutionnaliser les échanges entre ces professions et sauvegarder la mémoire des bonnes pratiques locales.

Quatre axes d’évolution se dégagent des auditions menées.

1) Il est nécessaire de permettre un traitement différencié des affaires, un temps d’audience plus utile, des convocations à horaires fixes et surtout davantage d’échanges entre avocats, magistrats et greffiers.

2) Il est essentiel que les visioconférences soient toujours soumises à l’accord des avocats et des justiciables et qu’elles n’interviennent que de manière très exceptionnelle lorsqu’il s’agit de plaider. En revanche, elles pourraient être utilement déployées pour permettre des mises en état plus qualitatives.

3) Il est opportun de mettre en place des formations obligatoires initiales et continues communes aux avocats, magistrats et greffiers pour favoriser la collaboration des acteurs de la Justice. Dans le même sens, des commissions mixtes au sein des juridictions pour évoquer les difficultés organisationnelles liées à l’audience pourraient s’avérer particulièrement constructives.

4) Un renforcement des moyens de la Justice est évidemment indispensable parce que l’amélioration du fonctionnement de l’audience passe aussi par une amélioration substantielle des moyens humains (magistrats, greffiers, assistants de Justice) et matériels de la Justice.

Le rapport du groupe de travail a été voté à l’unanimité par l’Assemblée Générale du Conseil National des Barreaux le 13 novembre dernier et sera très prochainement diffusé dans sa version intégrale comprenant la retranscription des auditions menées.

Carine DENOIT-BENTEUX Avocat Présidente de la Commission des Textes du Conseil National des Barreaux