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La saisine de la CRM n’empêche pas les militaires d’agir en référé devant le tribunal administratif. Par Tiffen Marcel, Avocate.
Parution : lundi 14 décembre 2020
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Le recours préalable obligatoire qui doit être introduit par les militaires devant la commission des recours des militaires (CRM) ne leur interdit pas de demander au juge des référés du tribunal administratif la suspension d’un acte individuel les concernant sans attendre que le ministre ait statué sur leur recours préalable.

1.- Le recours préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires (CRM).

Par principe, tout recours contentieux introduit par un militaire contre un acte relatif à sa situation personnelle doit obligatoirement être précédé d’un recours préalable obligatoire (RAPO) devant la commission des recours des militaires (CRM) (article R4125-1 I du code de la défense) :

« I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l’encontre d’actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d’un recours administratif préalable, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux.
- Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense
 ».

Cette saisine de la commission des recours des militaires (CRM) doit intervenir dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de la décision que le militaire entend contester (article R4125-2 du Code de la défense) :

« A compter de la notification ou de la publication de l’acte contesté, ou de l’intervention d’une décision implicite de rejet d’une demande, le militaire dispose d’un délai de deux mois pour saisir la commission par tout moyen conférant date certaine de réception de cette saisine au secrétariat permanent placé sous l’autorité du président de la commission. (…) ».

Contrairement aux autres recours administratifs, gracieux ou hiérarchiques, qui peuvent éventuellement être introduits par un militaire contre une décision relative à sa situation, seul ce recours préalable obligatoire devant la Commission (CRM) est susceptible de proroger le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision du ministre de la Défense (article R4125-1 alinéa 3 du code de la défense) :

« Le recours administratif formé auprès de la commission conserve le délai de recours contentieux jusqu’à l’intervention de la décision prévue à l’article R4125-10. Sous réserve des dispositions de l’article L213-6 du code de justice administrative, tout autre recours administratif, gracieux ou hiérarchique, formé antérieurement ou postérieurement au recours introduit devant la commission, demeure sans incidence sur le délai de recours contentieux ».

En revanche, la commission des recours des militaires (CRM) n’a pas à être saisie par les militaires qui entendent contester des actes relatifs à leur recrutement, des procédures disciplinaires, ou encore notamment des décisions relatives au versement de leur pension d’invalidité ou de retraite (article R4125-1 III du code de la défense) :

« III. - Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux recours contentieux formés à l’encontre d’actes ou de décisions :
- 1° Concernant le recrutement du militaire, l’exercice du pouvoir disciplinaire, ou pris en application de l’article L4139-15-1 ;
- 2° Pris en application du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre et du code des pensions civiles et militaires de retraite ainsi que ceux qui relèvent de la procédure organisée par les articles 112 à 124 du décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique
 ».

Concrètement, cela signifie que lorsqu’un militaire envisage d’introduire un recours contre un acte relatif à sa situation personnelle, il doit impérativement s’interroger sur la nécessité ou non de saisir la commission des recours des militaires (CRM).

2.- Délais devant la commission des recours des militaires.

La commission des recours des militaires (CRM) va formuler un avis auprès du ministre de la défense ou des ministres compétents concernant le maintien ou le retrait de la décision contestée par le militaire concerné. L’autorité compétente n’est pas liée par la recommandation de la commission (CRM) (article R4125-9 du code de la défense) :

« La commission recommande au ministre compétent ou, le cas échéant, aux ministres conjointement compétents au sens du II de l’article R4125-4, soit de rejeter le recours, soit de l’agréer totalement ou partiellement. Son avis ne lie pas le ministre compétent ou, le cas échéant, les ministres conjointement compétents ».

A compter de sa saisine, la commission des recours des militaires (CRM) dispose d’un délai de quatre mois pour notifier au militaire concerné la décision du ministre sur son recours. La décision prise par le ministre, qui doit être motivée en cas de rejet, se substituera à la décision initiale, et doit mentionner les délais de recours contentieux (article R4125-10 du code de la défense) :

«  Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l’intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par tout moyen conférant date certaine de réception, fait mention de la faculté d’exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l’égard de l’acte initialement contesté devant la commission ».

A défaut de notification d’une décision de ministre compétent sur le recours dans un délai de quatre mois à compter de la saisine de la CMR, le ministre est réputé avoir rejeté le recours formé par le militaire et ce dernier dispose alors d’un délai de 2 mois pour introduire un recours contentieux devant le tribunal administratif compétent (article R4125-10 alinéa 2 du code de la défense + article R421-1 du code de justice administrative).

L’introduction d’un recours obligatoire devant la CRM peut donc s’avérer relativement longue, et causer d’importants préjudices au militaire concerné.

En cas d’urgence, les militaires peuvent donc toujours envisager de saisir le tribunal administratif compétent d’une requête en référé tendant à la suspension de la décision contestée.

3.- Un référé suspension possible même en l’absence de décision implicite de rejet.

En principe, une requête en référé-suspension contre une décision administrative ne peut être introduite devant le tribunal administratif que si elle se combine avec une requête en annulation contre cette même décision (article L521-1 du code de justice administrative) :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Toutefois, les délais de traitements particulièrement longs devant la commission des recours des militaires sont souvent peu conciliables avec l’urgence qu’il peut y avoir à introduire une requête en référé-suspension devant le juge administratif.

Dès 2006, le gouvernement a rappelé que les militaires peuvent saisir le juge des référés d’une demande de suspension d’une mesure les concernant, sans attendre la décision du ministre, dès lors qu’ils démontrent qu’ils ont saisi la commission des recours des militaires (Réponse ministérielle n°104480 du 21/11/2006, publiée au JO, page 12145) :

« Le recours préalable obligatoire n’interdit pas au militaire de demander au juge des référés la suspension d’un acte individuel le concernant sans attendre que le ministre ait statué sur le recours préalable ».

Le Conseil d’Etat a confirmé cette solution à plusieurs reprises en jugeant que l’introduction d’un recours devant la commission des recours des militaires est suffisante pour saisir le tribunal administratif d’une requête en référé-suspension :

« 3. Considérant que l’objet même du référé organisé par les dispositions précitées de l’article L521-1 du code de justice administrative est de permettre, dans tous les cas où l’urgence le justifie, la suspension dans les meilleurs délais d’une décision administrative contestée par le demandeur ; qu’une telle possibilité est ouverte y compris dans le cas où un texte législatif ou réglementaire impose l’exercice d’un recours administratif préalable avant de saisir le juge de l’excès de pouvoir, sans donner un caractère suspensif à ce recours obligatoire ; que, dans une telle hypothèse, la suspension peut être demandée au juge des référés sans attendre que l’administration ait statué sur le recours préalable, dès lors que l’intéressé a justifié, en produisant une copie de ce recours, qu’il a engagé les démarches nécessaires auprès de l’administration pour obtenir l’annulation ou la réformation de la décision contestée ; que, saisi d’une telle demande de suspension, le juge des référés peut y faire droit si l’urgence justifie la suspension avant même que l’administration ait statué sur le recours préalable et s’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; que, sauf s’il en décide autrement, la mesure qu’il ordonne en ce sens vaut, au plus tard, jusqu’à l’intervention de la décision administrative prise sur le recours présenté par l’intéressé ; » (CE, 7 octobre 2015, req. n°392492).

« 4. Considérant que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a jugé que la demande de M. B...était irrecevable au motif qu’elle n’était pas accompagnée de la copie d’une requête en annulation de la décision dont la suspension de l’exécution était demandée ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le requérant avait joint à sa demande de suspension copie de son recours administratif préalable devant la commission de recours des militaires, exigé par les dispositions de l’article R4125-1 du code de la défense, tout en indiquant expressément dans sa demande de suspension au tribunal avoir formé un tel recours pour justifier de sa recevabilité, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite, l’ordonnance contestée doit être annulée » (CE, 3 mai 2017, req. n°407796).

Ainsi, tout militaire qui envisage d’introduire une requête en référé tendant à la suspension d’une mesure individuelle défavorable peut le faire à la seule condition de justifier qu’il a saisi la commission des recours des militaires (CRM).

Tiffen Marcel Avocate au barreau de Paris [->tiffen.marcel@obsalis.fr] [->https://www.obsalis.fr/]
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