Village de la Justice www.village-justice.com

Médiation : acte sous seing privé d’avocat : refus de lui conférer la force exécutoire. Par Benoit Henry, Avocat.
Parution : jeudi 7 janvier 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/mediation-acte-sous-seing-prive-avocat-refus-lui-conferer-force-executoire,37497.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le Garde des Sceaux exclut de conférer le caractère exécutoire à un accord de médiation contresigné par acte d’avocat.
Son ministère ne soutiendra pas une réforme législative en ce sens.
Une telle autorisation présentant un fort risque d’inconstitutionnalité.
Il reste qu’en procédant de la sorte, la Chancellerie n’encourage pas le recours à la médiation.
Si les modalités de formalisation d’une transaction sont a priori sans incidence sur sa validité ; il n’en va pas de même pour la force exécutoire susceptible de lui être attachée.
Car en effet, selon que la transaction est conclue par voie d’acte sous signature privée ou par voie d’acte notarié, les conditions de reconnaissance de cette force obligatoire diffèrent.
Article actualisé par son auteur en février 2024.

I- La transaction est conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends.

Dans les cas où la transaction sera conclue consécutivement à la mise en œuvre d’une procédure de résolution amiable des différends au nombre desquels figurent :
La procédure de médiation
La procédure de conciliation
La procédure participative

Dans le cadre de ces procédures, deux options s’offrent aux parties pour conférer à la transaction en résultant une force exécutoire :

- saisir le juge aux fins d’homologation de la transaction
- faire contresigner la transaction par les avocats en présence

L’homologation judiciaire.

L’article 1565 du CPC prévoit donc que « l’accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l’homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée ».

Lorsqu’ainsi des parties ont emprunté la voie de la résolution amiable de leur différend en se soumettant à une procédure de médiation, de conciliation ou à une procédure participative et que leur démarche aboutit à la conclusion d’une transaction, elles peuvent solliciter son homologation en justice.

À cet égard, l’homologation de la transaction par un juge a pour effet, dit le texte, de la rendre exécutoire. Une fois homologuée, elle pourra dès lors donner lieu à la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée par un commissaire de justice.

La contresignature d’avocats.

Depuis l’adoption de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, la saisine du juge aux fins d’homologation de la transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends n’est plus la seule voie possible pour lui conférer une force exécutoire.

Ce texte a, en effet, créé une nouvelle voie qui consiste pour les parties à faire contresigner la transaction par leurs avocats respectifs, ce qui lui confère la valeur de titre exécutoire.

L’article L111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que « les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente ».

Selon le législateur, l’objectif poursuivi par la création de ce nouveau titre exécutoire vise à favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges, en renforçant l’efficacité des accords conclus par les parties.

À cet égard, l’acte contresigné par les avocats de chacune des parties apporte un certain nombre de garanties quant à la réalité et à la régularité de l’accord auquel elles sont parvenues.

En effet, pour mémoire, l’article 1374 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties fait foi de l’écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause ».

En apposant leur contresignature à l’acte, les avocats des parties confèrent ainsi une valeur probante à l’origine de l’accord. Plus précisément, en contresignant, ils attestent l’identité des parties dont ils sont les conseils ainsi que l’authenticité de leur écriture et de leur signature.

L’autre garantie apportée par la contresignature de l’acte par les avocats est qu’elle permet d’opérer une partie du contrôle formel qui est habituellement réalisé par le juge de l’homologation.

En conséquence, pour qu’une transaction conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends puisse se voir reconnaître la valeur de titre exécutoire en dehors de l’intervention du juge de l’homologation, elle doit avoir été contresignée, dit l’article L111-3 du Code des procédures civiles d’exécution, par les avocats de chacune des parties.

Cela signifie donc que cette voie, qui permet de conférer à une transaction une force exécutoire sans qu’il soit besoin de saisir le juge, ne peut être empruntée que si toutes les parties sont représentées par un avocat.

Cette obligation, qui existe déjà par exemple dans le cadre du divorce par consentement mutuel sous signature privée prévu à l’article 229-1 du Code civil, est de nature à éviter tout conflit d’intérêts.

Aussi, dans l’hypothèse où les parties seraient représentées par un seul avocat, la contresignature ne conférera pas à l’acte la valeur de titre exécutoire.

Elles conservent toutefois la possibilité de recourir à l’homologation par le juge sur le fondement de l’article 1565 du CPC.

II- L’insuffisance de la contresignature d’avocats dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends.

S’il est désormais plus facile pour les parties de rendre exécutoire la transaction qu’elles ont conclue dans le cadre d’une procédure de résolution amiable des différends, le caractère de titre exécutoire n’est pas conféré directement à l’acte contresigné par les avocats, mais nécessite, en outre, l’apposition de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

L’article L111-3, 7° du Code des procédures civiles d’exécution prévoit en ce sens que la transaction ne peut valoir titre exécutoire qu’à la double condition qu’elle soit : d’une part, contresignée par les avocats de chacune des parties et d’autre part, revêtue de la formule exécutoire apposée par le greffe de la juridiction compétente.

Il ressort des travaux parlementaires que cette intervention du greffe vise à écarter le risque d’inconstitutionnalité pesant sur un dispositif qui aurait placé l’avocat comme seul acteur du contrôle de l’acte.

En effet, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conditions dans lesquelles le législateur peut autoriser une personne morale de droit privé à délivrer des titres exécutoires.

Dans sa décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « si le législateur peut conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes morales de droit public et, le cas échéant, par des personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public, et permettre ainsi la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée, il doit garantir au débiteur le droit à un recours effectif en ce qui concerne tant le bien-fondé desdits titres et l’obligation de payer que le déroulement de la procédure d’exécution forcée ».

Il ressort notamment de cette décision que si une personne de droit privé peut être habilitée par le législateur à émettre des titres exécutoires, c’est à la condition qu’elle soit chargée d’une mission de service public.

La question qui alors se pose est de savoir comment identifier une personne de droit privé chargé d’une mission de service public.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à un arrêt APREI rendu par le Conseil d’État le 22 février 2007, aux termes duquel il a été jugé qu’« une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public » (CE, 22 févr. 2007, n°26541).

À l’analyse, l’avocat contresignant un acte sous seing privé ne satisfait pas aux critères d’identification de la personne privée chargée d’une mission de service public énoncés dans cette décision.

D’une part, l’avocat n’exerce pas une mission de service public en tant que telle mais agit en tant que représentant de son client dont il cherche à préserver les intérêts.

La Cour de cassation a d’ailleurs qualifié l’avocat de « conseil représentant ou assistant l’une des parties en litige » et exclut de ce fait sa qualité de collaborateur occasionnel du service public de la justice (Cass. 1ère civ. 13 oct. 1998, n°96-13.862).

D’autre part, le critère du contrôle de l’administration ne saurait davantage être retenu à l’égard d’une profession libérale qui, contrairement aux notaires ou aux commissaires de justice dont certains actes ont valeur de titre exécutoire en application de l’article L111-3 du code des procédures civiles d’exécution, sont des officiers publics ministériels.

C’est donc pour écarter le risque d’inconstitutionnalité d’un dispositif centré sur le seul acte contresigné par avocats qu’a été ajoutée la condition d’apposition par le greffe de la formule exécutoire.

1 - La Réponse ministérielle n°44 du 5 novembre 2020 à la question écrite n°17709 du 3 septembre 2020.

Au souhait formulé par le Conseil National des Barreaux (CNB) que les pouvoirs publics confèrent à titre expérimental, le caractère exécutoire de l’acte de médiation contresigné par l’avocat de chacune des parties dans les domaines de la médiation et de la procédure participative, le Garde des Sceaux répond qu’une telle autorisation présente un fort risque d’inconstitutionnalité et que son ministère ne soutiendra pas une réforme législative en ce sens.

Elle présente un cas de figure qui mérite attention, la Chancellerie, saisie d’une question écrite a refusé de permettre aux avocats de donner eux-mêmes force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent. Le Garde des Sceaux énonce les raisons notamment d’inconstitutionnalité qui s’opposent à cette requête.

Le Conseil Constitutionnel a rappelé dans sa décision n°99-416 du 23 juillet 1999 que :

« le législateur ne pouvait autoriser des personnes morales de droit privé à délivrer des titres exécutoires qu’à la condition qu’elles soient chargées d’une mission de service public ».

Or, les avocats dont l’indépendance interdit qu’ils soient soumis dans l’exercice de leurs missions à un contrôle administratif ne sauraient être considérés comme exerçant une telle mission dans les conditions notamment définies par le Conseil d’Etat [1].

2 - On peut deviner l’inspiration de la Chancellerie qui a pensé qu’en se prononçant d’emblée positivement sur la force exécutoire, on risquait de méconnaître les principes constitutionnels.

Le refus était inévitable.

Nul n’ignore le principe d’indépendance de l’avocat et que comme l’a rappelé la Chancellerie, il s’oppose à permettre aux avocats de donner eux-mêmes force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent.

Depuis toujours, l’indépendance de l’avocat est une évidence.

Il n’est pas d’avocat qui ne soit indépendant, ce qui signifie très clairement que l’avocat ne saurait être dans un lien quelconque de subordination morale, intellectuelle, juridique ou économique.

L’indépendance est une vertu consubstantielle à la profession d’avocat.

L’article 1er de la Loi du 31 décembre 1971 rappelle que :

« la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d’exercice ».

L’article 2 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif à la déontologie reprend le texte de la loi en intégrant l’indépendance de l’avocat au titre 1er intitulé :

« les principes essentiels de la profession d’avocat ».

Enfin, l’article 1-1 du Règlement Intérieur National (RIN) intègre à son tour le texte du décret et l’indépendance de l’avocat au titre intitulé :

« les principes essentiels de la profession d’avocat ».

Pour être complet, l’article 2 du Code de déontologie Européen élaboré par le Conseil des Barreaux de la Communauté Européenne (CCBE) évoque le principe de l’indépendance dans des termes précis et déclare que :

« la multiplicité des devoirs incombant à l’avocat lui impose une indépendance absolue exempte de toute pression, notamment de celles résultant de ses propres intérêts ou d’influences extérieures ».

La Charte des principes fondamentaux de l’avocat Européen reconnue par l’ensemble des 27 barreaux de l’Union Européenne énumère en premier lieu :

« le principe de l’indépendance et de la liberté de l’avocat d’assurer la défense de son client ».

3 - Cette indépendance est aussi nécessaire pour la confiance en la justice que l’impartialité du juge.

On peut donc considérer que l’indépendance de l’avocat est un devoir ardent et participe à la conception commune de son rôle dans une société démocratique par l’ensemble de l’Europe.

Il apparaît clairement que l’indépendance de l’avocat doit être défendue non seulement par rapport aux tiers mais aussi ce qui n’est pas moins essentiel par rapport à l’avocat lui-même.

L’avocat doit être indépendant intellectuellement et moralement du pouvoir et des régimes politiques, des familles spirituelles, de ses engagements dans la société ou encore des systèmes économiques.

L’avocat doit donc éviter toute atteinte à son indépendance et veiller à ne pas négliger l’éthique professionnelle pour plaire à son client, au juge ou à des tiers.

Cette indépendance est nécessaire pour l’activité juridique, l’activité de médiation comme pour les autres affaires judiciaires, le conseil donné à son client par l’avocat n’ayant aucune valeur réelle, s’il n’a été donné que par la complaisance, par intérêt personnel ou sous l’effet d’une pression extérieure.

4 - La réticence de la Chancellerie à conférer le caractère exécutoire à un acte de médiation contresigné par l’avocat a une raison qui devait conduire à se demander si cette réticence ne vient pas de ce que les avocats dont l’indépendance interdit qu’ils soient soumis dans l’exercice de leurs missions à une contrôle administratif pouvaient ou non les autoriser à donner eux-mêmes sa force exécutoire aux accords de médiation qu’ils contresignent.

L’indépendance n’est pas un vain mot puisque c’est le premier principe essentiel de la profession, rappelé par le législateur lui-même et l’ensemble de la communauté des avocats en Europe.

On comprend que le législateur n’autorise les personnes morales de droit privé à délivrer des titres exécutoires qu’à la condition qu’elles soient chargées d’une mission de service public.

La loi permet d’obtenir l’homologation par le juge des accords conclu dans le cadre de la médiation et ce dans des brefs délais et devant l’ensemble des juridictions.

Enfin, il doit être souligné que de tels actes ne pourraient au regard des règles européennes circuler librement au sein de l’Union et bénéficier de la reconnaissance et de l’efficacité conférée aux décisions de justice et aux actes authentiques.

Et pour cette raison, nous persistons à penser que la solution raisonnable consiste à reconnaître à l’avocat la faculté de décider quels accords conclus dans le cadre de la médiation seront soumis ou non à une juridiction et à reconnaître au juge de l’ordre judiciaire la faculté d’homologuer les accords conclus dans ce cadre.

Il reste qu’en procédant de la sorte, le Garde des Sceaux n’encourage pas le recours à la médiation.

Notes.

Motion adoptée par le Conseil National des Barreaux le 3 avril 2020.

Question écrite n° 17709 de M. Antoine Lefèvre (Aisne - Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 03/09/2020 - page 3850.

Décision du Conseil Constitutionnel n° 99-416 DC du 23 juillet 1999.

Décision du Conseil d’Etat, Section du Contentieux, 22/02/2007, 264541, Publié au recueil Lebon.

Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 13 octobre 1998, 96-13.862, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Benoit Henry, Avocat [->http://www.reseau-recamier.fr/] Président du Réseau RECAMIER Membre de GEMME-MEDIATION https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

[1CE Sect. 22 février 2007, Association du Personnel relevant des établissements pour inadaptés, n°261541.