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Enfants influenceurs : que prévoit la loi du 19 octobre 2020 ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Mélanie Guyard, Juriste.
Parution : jeudi 17 décembre 2020
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Les vidéos YouTube et comptes Instagram ne sont plus l’apanage des adultes. Et pour cause, les enfants peuvent être présents sur les réseaux sociaux et les plateformes vidéo. Parce que internet n’est pas un terrain de jeu comme les autres, le législateur a décidé de s’emparer du sujet afin de protéger les mineurs.

C’est dans ce contexte qu’a été promulguée la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 sur l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, qui entrera en vigueur le 19 avril 2021 [1].

1) Champ d’application.

La loi a vocation à combler un vide juridique concernant « l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne » [2].

Désormais, les enfants influenceurs sont protégés par un arsenal législatif régit par les dispositions du Code du travail.

Plus précisément, le champ d’application de la loi du 19 octobre 2020 concerne les enfants de moins de 16 ans :
- « dont l’activité relève d’une relation de travail »,
- ou « dont l’image est utilisée en vue d’une diffusion sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal » et lorsque « les durées ou revenus perçus excèdent un seuil fixé en Conseil d’Etat » [3].

2) Protection des enfants influenceurs.

Le cadre juridique appliqué aux enfants influenceurs est rattaché aux dispositions des articles L7124-1 et suivants du Code du travail, désormais regroupées sous l’intitulé régissant les « enfants dans le spectacle, les professions ambulantes, l’audiovisuel, la publicité et la mode » [4].

2.1) Déclaration et autorisation individuelle préalable : le contrôle en amont de l’activité des enfants influenceurs par l’autorité administrative.

La loi du 19 octobre 2020 protège aussi bien l’activité des enfants influenceurs dans le cadre d’une relation de travail qu’en dehors.

2.1.1) Autorisation individuelle préalable de l’autorité administrative pour les enfants influenceurs dont l’activité est considérée comme un travail.

L’article 1er de la loi du 19 octobre 2020 modifie l’article L7124-1 du Code du travail en exigeant dorénavant qu’un « enfant de moins de 16 ans ne peut, sans autorisation individuelle préalable accordée par l’autorité administrative, être engagé ou produit :
- « […] dans une entreprise d’enregistrements sonores ou d’enregistrements audiovisuels, quels que soient leurs modes de communication au public ;
- par un employeur dont l’activité consiste à réaliser des enregistrements audiovisuels dont le sujet principal est un enfant de moins de seize ans, en vue d’une diffusion à titre lucratif sur un service de plateforme de partage de vidéos ». Cette autorisation prend la forme d’un agrément [5].

Cet élargissement du cadre juridique permet désormais de prendre en compte les enfants influenceurs présents sur les réseaux sociaux, en plus des enfants mannequins, du spectacle et de la publicité qui faisaient déjà l’objet de cette disposition.

2.1.2) Déclaration préalable à l’autorité administrative pour les enfants influenceurs dont l’activité ne relève pas d’une relation de travail.

De même, les représentants légaux doivent effectuer une déclaration à l’autorité administrative pour « la diffusion de l’image d’un enfant de moins de 16 ans sur un service de plateforme de partage de vidéos, lorsque l’enfant en est le sujet principal » [6].

Cette déclaration est nécessaire lorsque :
- « la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une période de temps donnée, un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat ;
- la diffusion de ces contenus occasionne, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la diffusion de ceux-ci, des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat » [7].

2.2) Formulation de recommandations aux représentants légaux.

En cas d’obtention de l’autorisation, l’autorité administrative formule des recommandations aux représentants légaux lorsque :
- l’autorisation a été donnée dans le cadre d’une relation de travail pour la « réalisation d’enregistrements audiovisuels d’enfants de moins de 16 ans, en vue d’une diffusion à titre lucratif sur un service de plateforme de partage de vidéos » [8] ;
- la diffusion de l’image des enfants influenceurs sur un service de plateforme de partage de vidéos ne relève pas d’une relation de travail [9].

Ces recommandations portent sur :
- « les conséquences, sur la vie privée de l’enfant, de la diffusion de son image sur une plateforme de partage de vidéos.
- les obligations financières qui leur incombent, en application de l’article L7124-25 ou du III de l’article 3 de la loi du 29 octobre 2020 ;
- les horaires, la durée, l’hygiène et la sécurité des conditions de réalisation des vidéos ;
- les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion ;
- les dispositions visant à permettre une fréquentation scolaire normale » [10].

2.3) Le droit à l’oubli numérique.

L’article 6 de la loi du 19 octobre 2020 instaure un droit à l’effacement des données à caractère personnel ne requérant pas le consentement des titulaires de l’autorité parentale.

Ainsi, les plateformes de partage de vidéos ont l’obligation de retirer les contenus diffusés dès lors qu’un enfant influenceur en fait la demande [11].

3) Obligations des plateformes.

La loi met à la charge des plateformes plusieurs obligations.

3.1) Retrait du contenu en l’absence de déclaration préalable.

Tout d’abord, lorsqu’« un contenu audiovisuel est mis à disposition du public sur une plateforme […] en méconnaissance de l’obligation d’agrément préalable prévu au 5° de l’article L7124-1 ou de l’obligation déclarative prévue à l’article 3 de la présente loi » alors l’administration « en informe le service de plateforme concerné » qui est tenu de « retirer ce contenu ou en rendre l’accès impossible » [12].

3.2) Identifier les contenus audiovisuels faisant figurer un enfant de moins de 16 ans.

Ensuite, les plateformes doivent mettre « en œuvre les moyens nécessaires à l’identification, par les personnes responsables de leur diffusion, des contenus audiovisuels faisant figurer un enfant de moins de seize ans ».

Elles ont pour obligation de mettre à disposition les « informations nécessaires à la prévention des risques associés à la diffusion de l’image d’un enfant de moins de seize ans par le biais de leurs services » [13].

3.3) Adopter de chartes en vue de :

3.3.1) favoriser l’information et la sensibilisation des utilisateurs.

Les services de plateforme de partage de vidéos doivent adopter des chartes qui ont pour objet de favoriser l’information et la sensibilisation :
- « des utilisateurs sur les dispositions de nature législative ou règlementaire applicables en matière de diffusion de l’image d’enfants de moins de seize ans par le biais de leurs services et sur les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion de cette image ;
- des mineurs de moins de seize ans sur les conséquences de la diffusion de leur image sur une plateforme de partage de vidéos, sur leur vie privée et en termes de risques psychologiques et juridiques et sur les moyens dont ils disposent pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique, en lien avec des associations de protection de l’enfance ».
- Ces chartes doivent également « favoriser le signalement, par leurs utilisateurs, de contenus audiovisuels mettant en scène des enfants de moins de seize ans qui porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique de ceux-ci » [14].

3.3.2) Empêcher le traitement à des fins commerciales des contenus audiovisuels dans lesquels figure un mineur.

Les plateformes sont dotées d’une première mesure de protection et de prévention dont l’objet est « de prendre toute mesure utile pour empêcher le traitement à des fins commerciales, telles que le démarchage, le profilage et la publicité basée sur le ciblage comportemental, des données à caractère personnel de mineurs qui seraient collectées par leurs services à l’occasion de la mise en ligne par un utilisateur d’un contenu audiovisuel où figure un mineur » [15].

3.3.3) Améliorer la détection des contenus portant atteinte à la dignité et l’intégrité physique ou morale des mineurs de moins de 16 ans.

En outre, ces chartes prévoient « d’améliorer, en lien avec des associations de protection de l’enfance, la détection des situations dans lesquelles la réalisation ou la diffusion de tels contenus porteraient atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale ou physique des mineurs de moins de seize ans qu’ils font figurer » [16].

3.3.4) Faciliter le droit à l’effacement des données à caractère personnel.

Enfin, les chartes ont pour objet « de faciliter la mise en œuvre, par les mineurs, du droit à l’effacement des données à caractère personnel prévu à l’article 51 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et d’informer ceux-ci, en des termes clairs et précis, aisément compréhensibles par eux, des modalités de mise en œuvre de ce droit » [17].

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est tenu de promouvoir « l’adoption par les services de plateformes de partage de vidéos des chartes visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne » [18].

A cet égard, l’effectivité et l’application des chartes font l’objet d’un bilan périodique publié par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. [19]

4) Obligation financière des représentants légaux.

4.1) Pour les enfants influenceurs dont l’activité est considérée comme un travail.

L’article L7124-9 du Code du travail prévoit les modalités relatives à la rémunération perçue par ces enfants.
Cette rémunération se divise en deux parts :
- « une part de la rémunération perçue par l’enfant peut être laissée à la disposition de ses représentants légaux »,
- L’autre part qu’est « le surplus et qui constitue le pécule, est versé[e] à la Caisse des dépôts et consignations et géré par cette caisse jusqu’à la majorité de l’enfant ou son émancipation. Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence et à titre exceptionnel » [20].

4.2) Pour les enfants influenceurs dont l’activité ne relève pas d’une relation de travail.

Dans la même logique, les enfants influenceurs, dont l’activité ne relève pas d’une relation de travail, voient leur rémunération divisée en deux parts :
- « la part des revenus directs et indirects tirés de la diffusion des contenus […] qui excède le seuil fixé par décret en Conseil d’État […] est versée à la Caisse des dépôts et consignations et gérée par cette caisse jusqu’à la majorité de l’enfant » ou son émancipation.
- « une part des revenus, déterminée par l’autorité compétente, peut être laissé à la disposition des représentants légaux ». De même, « des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence, et à titre exceptionnel » [21].

5) Les sanctions.

En cas de non-respect des obligations susmentionnées, le législateur a prévu une amende de 75 000 euros. Cette peine s’apparente à ce qui était jusqu’alors prévu par les dispositions du Code du travail, notamment en cas de méconnaissance des dispositions afférentes à la durée du travail, à la rémunération ou à l’obligation de recueillir une autorisation préalable [22].

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[5[Article 1er de la loi du 19 octobre 2020 venant modifier l’article L.7124-1 du Code du travail-
>https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042439055].

[20[Article 5 de la loi (art.15-1 de la loi n°86-1067 du 3 septembre 1986 relative à la liberté de communication) -
>https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042439059].

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