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Prix de transfert dans le secteur minier guinéen. Par Alpha Traoré, Juriste.
Parution : vendredi 18 décembre 2020
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Cet article examine les obstacles à la mise en œuvre de règles en matière de prix de transfert dans le secteur minier en Guinée.
Les conclusions de cette étude forment une série de recommandations proposant des mesures pratiques pour améliorer le contrôle des prix de transfert dans le secteur minier. Ces recommandations peuvent être classées en quatre grandes catégories : cadre juridique des prix de transfert, dispositions administratives, informations sur les prix de transfert, et connaissances et compétences.

Introduction :

La Guinée compte certains des plus précieux et importants gisements de minerai de fer et de bauxite au monde. Avec des réserves estimées à plus de 1,8 milliards de tonnes de minerai de fer, Simandou dont l’exploitation n’a pas encore démarré est le plus grand gisement du pays.

En 2013, le secteur minier guinéen représentait plus de 28 % des recettes de l’Etat1 et environ 96% des recettes d’exportation du pays. Le montant de l’évitement fiscal, en particulier la manipulation des prix de transfert, pratiqué par les entreprises minières en Guinée est difficile à quantifier mais les personnes interrogées s’accordent pour dire qu’il s’agit d’un problème majeur.

Des réformes juridiques et administratives complètes doivent être adoptées si la Guinée souhaite lutter contre la manipulation des prix de transfert et préserver la part qui lui revient de la rente tirée de ses ressources minières.

Les prix de transfert correspondent aux prix déterminés dans le cadre de transactions entre des entités juridiques liées appartenant à une même entreprise multinationale. Ces échanges sont considérés comme des « transactions contrôlées », portant par exemple sur l’achat ou la vente de biens ou d’actifs incorporels, la fourniture de services ou de financements, la répartition ou le partage des coûts.

Tant que le prix fixé correspond au prix de pleine concurrence, c’est-à-dire à celui d’une transaction similaire entre deux parties indépendantes, aucun problème ne se pose. Toutefois, la détermination des prix de transfert peut prendre un caractère abusif lorsque des parties liées cherchent à fausser le prix pour diminuer le montant global de l’impôt dont elles sont redevables.

Dans ce cas, cette pratique est généralement qualifiée de

« manipulation du prix de transfert ».

Chapitre I : cadre juridique relatif aux prix de transfert.

Section 1 : Statut des règles sur les prix de transfert.

La Guinée n’a pour l’heure défini aucune ligne directrice en matière de prix de transfert. L’article 117 du Code des impôts exige des contribuables qu’ils réintègrent dans leurs revenus imposables le montant des « déductions abusives ». Les dispositions de cet article permettent déjà à l’administration fiscale de rectifier certains abus sur les prix de transfert, et d’exiger du contribuable que les bénéfices indirectement transférés à des filiales situées hors de Guinée ou dans des juridictions à faible fiscalité soient incorporés à leurs revenus imposables.

Mais il n’est pas explicitement requis de conduire les transactions entre parties liées dans le respect du principe de pleine concurrence. L’introduction d’une référence au principe de pleine concurrence permettrait ainsi de clarifier la notion de « déductions abusives » et de suivre plus aisément les pratiques internationales sur la détermination des prix de transfert.

L’article 117 du Code des impôts définit une série « d’actes anormaux de gestion » pouvant constituer une manipulation des prix de transfert, notamment : la majoration ou la diminution du prix d’achat ou de vente, le paiement de redevances excessives, les prêts sans intérêts ou à des taux injustifiés, et tout autre avantage disproportionné par rapport au service rendu.

En l’absence de preuves suffisantes pour vérifier si les prix de transfert ont été manipulés, les revenus imposables sont déterminés en comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées couramment en Guinée. Aucune sanction spécifique n’est prévue en cas de manipulation des prix de transfert.

Toutefois, l’article 26 de la Loi de finances de 2001 prévoit une majoration éventuelle de 50% du montant de l’impôt sur les sociétés. Prenant conscience de l’ampleur de la problématique des prix de transfert, le ministère des Finances a introduit, en 2014, des dispositions en matière de documentation des prix de transfert dans le Code des impôts, en suivant les lignes directrices de l’OCDE.

L’article 13 de la Loi de finances de 2014 exige des entreprises exploitées en Guinée qu’elles conservent une documentation contemporaine des transactions internes à l’entreprise, ainsi que de leur politique en matière de prix de transfert. Les entreprises doivent transmettre ces informations sur demande des autorités.

Il n’existe à l’heure actuelle aucune sanction pour les entreprises qui ne se conformeraient pas à cette exigence. En vertu du Code général des impôts, l’obligation de documentation ne s’applique qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes ou l’actif brut est supérieur à 175 milliards de francs guinéens (GNF). Il est cependant précisé que l’administration peut exiger ces informations de toute entreprise en dessous de ce seuil s’il existe des preuves d’une éventuelle manipulation des prix de transfert.

En ce qui concerne plus particulièrement le secteur minier, le Code minier ne fait référence au prix de pleine concurrence que dans les cadres des ventes de minerais (article 138) et de cessions de titres miniers (article 91).

L’article 138-III du Code minier de 2013 prévoit que les entreprises faisant commerce de substances minérales à des prix inférieurs à ceux de pleine concurrence seront soumises à un ajustement correspondant de leurs bénéfices imposables, ainsi qu’à d’éventuelles sanctions juridiques comme prévu par le Code général des impôts.

L’article 24 du décret relatif à l’application des dispositions financières du Code minier précise que les méthodes de prix de transfert définies par l’OCDE doivent être utilisées pour guider la détermination du prix de pleine concurrence. Cette mesure n’était pas encore d’application lors de la recherche car le décret n’avait pas été officiellement publié au journal officiel.

Il n’est pas fait explicitement référence au principe de pleine concurrence dans la détermination des prix de toutes les autres transactions avec des parties liées, mais les dispositions du Code des impôts devraient s’appliquer aux sociétés minières : l’article 176 du Code minier prévoit l’application des impôts et taxes conformément aux règles du droit commun.

Section 2 : Règles relatives à la lutte contre l’évitement fiscal Capitalisation restreinte.

La capitalisation restreinte représente une pratique courante parmi les entreprises minières. De nombreuses sociétés réduisent fortement l’impôt sur les sociétés en déclarant des frais financiers importants liés à des niveaux élevés de dettes auprès de leurs d’actionnaires.

Pour limiter l’impact de la capitalisation restreinte sur la base d’imposition, l’article 97 du Code des impôts n’autorise de déduire les intérêts des prêts consentis à des parties liées que dans la mesure où le ratio dette/fonds propres ne dépasse pas 1,5. Cette restriction est levée si les deux parties sont imposées en Guinée. Les taux d’intérêt des prêts entre parties liées ne doivent pas excéder le taux de refinancement défini par la Banque centrale de Guinée.

Accords préalables sur les prix.

Le Code général des impôts ne mentionne pas les accords préalables en matière de prix (APP), mais une disposition similaire dans le cadre du prix de vente des minerais est prévue à l’article 138-II du Code minier. Les entreprises minières qui concluent des conventions d’achat préalable (CAP) sont invitées à soumettre leur mécanisme de détermination des prix au ministre des Mines et au ministre des Finances pour approbation.

L’Etat dispose d’un mois pour demander à l’entreprise de revoir ce mécanisme. S’il n’émet aucune objection dans ce délai, l’approbation est considérée comme tacite et l’Etat renonce à son droit de préemption lui permettant d’acquérir au maximum 50% des substances minérales produites par l’entreprise.

Les CAP sont différents des APP, - le contrat est passé entre le titulaire et l’acheteur, et non entre le titulaire et l’administration fiscale -, mais ils fixent également des critères permettant au gouvernement de suivre les prix de ventes pratiqués par l’entreprise. Ni le département des mines ni celui des finances n’ont jusqu’à présent eu recours à cette disposition.

Un nouvel opérateur de bauxite a, par exemple, obtenu un permis d’exploitation en 2015 sans que le ministère des Mines ait approuvé la CAP avec ses acheteurs. De nombreux fonctionnaires tant au sein du ministère des Mines que de la DNI font valoir par ailleurs que les formules de prix utilisées dans les CAP sont trop complexes pour qu’ils puissent en assurer le suivi.

Les sociétés ne sont pour l’instant pas obligées de soumettre leurs CAP à l’Etat pour approbation. Elles sont encouragées à le faire par la levée du droit de préemption de l’Etat en cas d’approbation du CAP.

A court terme, le ministère des Mines devrait donc encourager activement les sociétés à soumettre leurs CAP conformément à l’article 138-II, et si la mesure fonctionne, pourrait exiger de valider à l’avenir tous les CAP. Si le gouvernement décide d’étoffer les dispositions relatives aux prix de transfert dans le Code des impôts, il pourrait être utile d’y inclure une disposition relative aux APP.

L’avantage de tels accords est qu’ils sont directement conclus entre les sociétés et la DNI. L’administration aurait ainsi une assise juridique plus solide pour veiller à la bonne application de ces accords, une fois les prix convenus. Les APP ont également une portée plus large que les CAP. Les APP peuvent être utilisés pour couvrir d’autres transactions au sein d’une même entreprise telles que la fourniture de biens et services. Le développement d’APP nécessite une expertise et des ressources extérieures qui pourraient faire l’objet d’une assistance technique ponctuelle.

La négociation des APP serait confiée au ministère des Finances, en partenariat avec la DNI, avec l’implication du ministère des Mines et de la Géologie, compte tenu de son expertise technique. Détermination du prix de référence Il est de plus en plus fréquent pour les économies riches en ressources naturelles de calculer les redevances minières sur la base d’indices de prix internationaux.

Du fait des difficultés liées au contrôle des formules de prix prévues dans les contrats d’achat à long terme, il est peu probable que le gouvernement invoque son droit de préemption allant jusqu’à 50% des produits d’une entreprise. Cela revient à éviter le risque de manipulation des prix de vente pouvant réduire le montant des redevances.

Ainsi, en 2011, le ministère des Mines a introduit la notion de prix de référence dans l’article 161 du Code minier. Cet article détaille les indices de prix à utiliser pour le calcul des redevances pour les métaux de base tels que la bauxite et le minerai de fer, ainsi que pour la production industrielle ou semi-industrielle des métaux précieux.

Les données de référence ne donnent pas exactement des prix de pleine concurrence, car elles ne prennent pas en compte les caractéristiques spécifiques à chaque transaction. Mais il s’agit d’une alternative permettant d’éviter que les entreprises ne sous-facturent les ventes, que ce soit à des parties liées ou à travers d’autres arrangements avec les acheteurs. Pour vérifier le calcul des redevances, le ministère devrait ainsi suivre la bourse des métaux de Londres (London Metals Exchange - LME), le cours de l’or au London fixing, le prix du fer publié par Platt’s et un indice du coût de transport publié par Baltix.

Le suivi de ces indices n’est cependant pas encore en place, que ce soit par la DNI ou le Ministère des Mines. Par le passé, les inspecteurs des impôts ont donc utilisé leurs contacts personnels pour obtenir des informations sur les prix des matières premières, souvent approximatives.

Chapitre II : dispositions administratives relatives aux prix de transfert.

Section 1 : Capacités en matière de détermination des prix de transfert.

En vertu de la Loi de finances, la DNI est responsable au premier chef de la vérification des déclarations de revenus et de l’élaboration des propositions de redressement fiscal. Ni la Loi de finances ni le Code des impôts ne mentionnent explicitement la responsabilité du suivi des questions relatives aux prix de transfert.

Elle est en pratique confiée à la DNI ; le ministre des Finances est l’arbitre en dernier ressort. Le processus de vérification des prix de transfert, de la sélection des dossiers à vérifier à la validation du redressement fiscal, est soumis à la discrétion du ministre des Finances, qui peut annuler totalement ou partiellement un redressement fiscal sans aucun examen supplémentaire.

D’après des fonctionnaires du ministère des Mines et de la DNI, de nombreux dossiers fiscaux transmis au ministère des Finances restent ainsi lettre morte. Il n’existe pas d’unité spéciale pour les prix de transfert au sein de la DNI, ces questions étant intégrées à l’ensemble des travaux de la Division du contrôle fiscal.

L’approche actuelle semble réaliste étant donné que seuls trois inspecteurs des impôts ont reçu une formation sur les prix de transfert. Il s’agit d’inspecteurs compétents qui sont par ailleurs appelés à mener des vérifications couvrant une large gamme de questions fiscales.

La mise en place d’une unité spéciale pour les prix de transfert mettrait en péril les autres fonctions de la Division du contrôle fiscal en forçant certains de ses meilleurs éléments à se consacrer uniquement à cette problématique. A l’heure actuelle, les inspecteurs sont répartis équitablement au sein de quatre équipes sectorielles (télécommunications, services, commerce ainsi que mines / industrie/ BTP).

Tous ces secteurs sont importants, mais le secteur minier est le plus grand contributeur au PIB et aux recettes de l’Etat, et les inspecteurs qui en sont chargés manquent de temps pour entreprendre une vérification plus régulière des entreprises minières. L’augmentation de leurs effectifs permettrait de lever cet obstacle et de renforcer la surveillance du secteur minier. En outre, aucun outil d’évaluation des risques spécifiques à chaque secteur n’a été développé. L’adaptation au secteur minier des outils existants d’analyse de risques permettrait à l’équipe de se spécialiser davantage et d’être plus efficace.

Section 2 : mécanismes de redevabilité en matière de prix de transfert.

Société civile :

Les groupes issus de la société civile ont une longue expérience des actions de résistance citoyenne au niveau local. Les grandes grèves des dernières années du régime du président Lansana Conté et le régime de transition qui a permis l’instauration d’élections démocratiques ont été menés par une coalition d’organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques.

Contrairement à la force dont les groupes de la société civile ont fait preuve pour promouvoir l’avènement de la démocratie en Guinée, leur implication dans la gestion des ressources naturelles du pays a été plus limitée. L’unique audit conjoint d’une entreprise minière a été un succès. Plutôt que d’attendre qu’un tel cas se représente, une approche proactive du partage des informations et de l’expertise serait plus efficace.

La société civile s’est engagée sur des questions relatives au secteur minier, notamment pour représenter certaines communautés locales et faire en sorte qu’elles bénéficient des activités minières.

Le rôle de la société civile dans les questions d’évitement fiscal touchant le secteur minier est plus limité en raison de contraintes de capacité. La coalition nationale « Publiez ce que vous payez » et les mouvements syndicaux ont mis à l’agenda politique la révision du code minier de 1995 et la revue des titres et contrats miniers, deux reforment clefs de l’administration du président Alpha Condé.

Mais les grandes questions de fiscalité comme la manipulation des prix de transfert ne sont pas encore discutées au sein de ces organisations.

Secrétariat de l’Initiative pour la transparence des industries extractives :

La Guinée a rejoint l’ITIE en 2005 et a publié son premier rapport de rapprochement en 2007. En 2009, le pays a sollicité sa suspension volontaire de l’ITIE, qui a ensuite été levée en 2011. La portée des réformes juridiques résultant du processus ITIE concerne pour l’instant les articles 122 et 155 du Code minier portant sur les obligations des titulaires de permis.

Selon les ONG internationales actives en Guinée, le gouvernement n’a pas su comprendre comment utiliser l’ITIE pour atteindre ses propres objectifs, et ne s’est pas mobilisé pour son application. Le secrétariat ITIE local est jugé faible, à tel point que la Banque mondiale a suspendu son aide en attendant que la gouvernance interne du secrétariat s’améliore. A l’heure actuelle, les questions liées aux manipulations des prix de transfert ne sont ainsi pas débattues au sein du groupe multi parties de l’ITIE.

Assemblée nationale :

Il est important de souligner les limites de l’analyse qui suit en notant que jusqu’à 2013, le parlement de Guinée ne jouissait que d’une indépendance très limitée. Sous le régime de Lansana Conté, l’Assemblée nationale était strictement contrôlée. À la suite du coup d’État de 2008, le parlement a été dissout et remplacé en 2010 par le Conseil National de Transition pour rédiger une nouvelle constitution et superviser la transition démocratique.

Ce n’est qu’en 2013 que des élections législatives ont été organisées. Le rôle limité du parlement dans la supervision du secteur minier doit être examiné à la lumière de ces difficultés. L’Assemblée nationale est responsable du vote des lois relatives au secteur minier, de la ratification des conventions minières et du suivi de la gestion des ressources naturelles. Pour mener à bien ces tâches, l’Assemblée a créé une commission en charge notamment des mines.

Mais en pratique, le pouvoir exécutif exerce toujours un contrôle politique important, en particulier par le recours abusif aux procédures d’urgence. Le droit de regard de l’Assemblée sur les questions minières est donc limité. Le nombre limité de conventions d’exploitation minière ou d’hydrocarbures remis en question par le parlement au cours des 15 dernières années illustre la faiblesse de son rôle dans la supervision du secteur.

L’Assemblée pourrait certes soulever des questions concernant la collecte des recettes minières dans le cadre de l’élaboration du budget annuel, mais ne l’a encore jamais fait.

L’Assemblée pourrait soulever des questions concernant la collecte des recettes minières dans le cadre de l’élaboration du budget annuel, mais ne l’a encore jamais fait. 9 Prix de transfert dans le secteur minier guinéen.

Traoré Alpha Kabinet juriste consultant