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[Etude comparée entre le Maroc et la France] : le vaccin contre la Covid-19 sera-t-il obligatoire ou facultatif ? Par Mohammed-Amine Sourhami, Doctorant.
Parution : jeudi 17 décembre 2020
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Récemment, le développement d’un vaccin anti Covid-19 a suscité un débat important sur son efficacité. Les avis sont partagés entre des partisans et des antagoniste au vaccin. La question du caractère obligatoire ou facultatif du vaccin s’impose.

La pandémie de Covid-19, qualifiée comme telle par l’Organisation Mondiale de la Santé est la pire crise connue par le monde depuis des décennies. Les répercussions de cette maladie infectieuse ne sont pas négligeables.

Sur le plan sanitaire : le virus a engendré la mort de plusieurs personnes et des séquelles persistantes pour les patients guéris. Sur le plan économique : le confinement imposé a provoqué la faillite d’un nombre important d’entreprises et en conséquence la perte de l’emploi. La conciliation entre la santé et l’économie est toujours la préoccupation majeure de tous les Etats.

L’économie ne doit pas s’arrêter et la protection de la santé doit être assurée à toute personne. Face à la nécessité de protéger la santé publique des individus, les pouvoirs publics avaient mis en œuvre diverses stratégies afin de lutter contre la propagation de ce virus. En France, la gestion de la crise était critiquée voire source de responsabilité des agents de l’Etat [1].

Quant au Maroc, les autorités du pays ont adopté une stratégie préventive reposant sur la fermeture rapide des frontières extérieures, mise en place d’un confinement strict, couvre-feu nocturne, isolement des villes, etc. La gestion de la crise était plus ou moins réussie.

L’urgence justifie l’exception. L’Etat comme le citoyen doivent s’adapter à la crise sanitaire. Les décisions prises sont difficiles, restrictives de liberté et parfois préjudiciables pour chacun. Le retour à la vie normale est le souhait le plus ardent de toute personne ayant vécu cette crise. Ce retour serait conditionné par la production d’un vaccin qui stopperait la circulation du virus. Heureusement, en ces derniers temps, des laboratoires médicaux ont développé des vaccins contre la Covid-19 dont l’efficacité peut aller jusqu’à 95%. Le Maroc et la France ainsi que d’autres pays dans le monde ont passé la commande pour avoir ces vaccins. De ce fait, une vaste compagne nationale de vaccination est attendue dans ces deux pays.

Si tout le monde attendait avec impatience le développement d’un vaccin prometteur, certaines personnes sont assez réticentes vis-à-vis de l’idée de se faire vacciner, et ce pour diverses raisons : rapidité de production, essais cliniques insuffisants, vaccin potentiellement dangereux, maladie redoutée par les sujets jeunes, etc. D’un autre côté, le but de la vaccination est d’immuniser la population contre le virus.

Un citoyen qui refuse de se faire vacciner pour une raison ou pour une autre constituerait-il un danger sur la santé publique ? Faudra-t-il rendre le vaccin obligatoire ? Cette obligation porte-t-elle atteinte à la liberté de refuser le vaccin ? L’enjeu est de trouver une entente entre l’urgence absolue de l’Etat d’immuniser la population contre le virus et la nécessité de garantir aux citoyens leur liberté d’accepter ou de refuser le vaccin.

Au Maroc, tout patient doit donner son consentement préalable pour les soins qui lui seront prodigués. Selon l’article 58 de l’arrêté du Ministère de la santé n° 456-11 du 6 juillet 2010 portant règlement intérieur des hôpitaux :

« Sauf disposition légale spécifique et quel que soit le mode d’admission, un formulaire de consentement doit être signé par le patient ou son représentant légal pour les actes de diagnostic, de soins ou de services qui lui seront prodigués au cours de son séjour à l’hôpital ».

Le droit au refus des soins est généralement prévu dans la charte des droits des usagers établit par chaque établissement de santé. Donc, l’injection d’un vaccin relève du consentement libre et éclairé du patient. Cependant, la loi en dispose autrement. Selon l’article 3 de la loi n° 1.72.165 du 27 juillet 1972 rendant la vaccination et la revaccination anti-variolique obligatoires :

« en cas d’épidémie ou de menace d’épidémie, la vaccination ou la revaccination antivariolique peut être rendue obligatoire par arrêté du ministre de la Santé publique pour toute personne quel que soit son âge et quelle que soit la date à laquelle elle ait subi une vaccination ou une revaccination ».

Ainsi, l’article 8 alinéa 2 de la loi cadre n° 34-09 relative au système de santé et à l’offre de soins dispose :

« En cas de maladie transmissible contractée par un individu et constituant un danger d’épidémie pour la collectivité, les services sanitaires publics doivent, en vertu des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, soumettre la personne concernée et, le cas échéant, les personnes en contact avec elle aux soins et aux mesures prophylactiques appropriées ».

Les termes employés par ces deux articles correspondent parfaitement à la situation actuelle : le pays se trouve face à d’un danger épidémique sérieux. Il faut réagir. A priori, le vaccin devra être obligatoire. Toutefois, le ministre de la santé marocain K.A. Taleb a déclaré, le 30 novembre 2020, à la chaîne télévisée 2M que : "le vaccin ne sera pas obligatoire mais volontaire", avant de poursuivre :

les individus voudront participer au programme national et contrer le virus pour le bien de l’humanité car dans l’avenir, au moment de vouloir voyager cette problématique sera posée… il ne sera pas possible de voyager sans un passeport Covid".

Contre toute attente, le vaccin ne sera pas obligatoire. Mais, toute personne souhaitant quitter le territoire marocain devra être vaccinée contre la Covid-19.

Désormais, le prix du voyage est le vaccin. La liberté de circulation garantie par l’article 24 alinéa 4 Constitution de 2011 sera compromise. Une sorte de chantage sanitaire est instaurée par l’Etat. La liberté de se faire vacciner est un cadeau empoisonné pour l’individu qui souhaite voyager hors le territoire du Royaume du Maroc.

L’obligation vaccinale avant de voyager ne date pas d’hier. L’OMS autorise tout Etat d’exiger une vaccination ou la production de la preuve des vaccinations lorsque cela est nécessaire pour déterminer s’il existe un risque pour la santé publique [2].

En matière du travail, l’employeur pourrait, compte tenu de son obligation de sécurité de résultat [3], imposer à ses salariés de se faire vacciner. D’ailleurs, les salariés sont soumis à régulièrement à un examen médical afin de surveiller les risques de contamination et leur état de santé [4].

Ainsi, le vaccin pourrait être la clé pour accéder à la fonction publique. En effet, l’article 21 du Dahir n° 1-58-008 du 24 février 1985 portant statut général de la fonction publique pose quatre conditions cumulatives pour accéder à la fonction publique. Parmi lesquelles, le candidat doit remplir les conditions d’aptitude physique exigées pour l’exercice de la fonction. En effet, le candidat sera soumis à un examen médical organisé par le Ministère de la santé du Royaume du Maroc. Le service de recrutement vérifiera le carnet de vaccination du candidat. Ce dernier doit être à jour de ses vaccins. L’absence d’un vaccin contre la Covid-19 pourrait justifier le remplacement du candidat concerné par un autre qui en remplit les conditions requises.

S’agissant de la France, selon l’article L1111-4 alinéa 2 du code de la santé publique :

« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement ».

En principe, la vaccination - considérée comme un traitement - est facultative.

Néanmoins, il existe des vaccins obligatoires pour les maladies énumérées à l’article L3111-2 du code de la santé publique comme l’antidiphtérique, le virus de l’hépatite B, la rougeole, etc.

Pour l’instant, le Coronavirus ne figure pas sur cette liste. Le Président de la République Emmanuelle Macron a déclaré : ‘’Je ne rendrai pas la vaccination obligatoire‘’, avant d’ajouter : ‘’Je ne crois pas à la vaccination obligatoire pour ce vaccin‘’. L’administration d’un vaccin n’est pas un acte aisé compte tenu des effets indésirables qu’il pourrait avoir sur la personne vaccinée. Au Maroc comme en France, le patient doit exprimer préalablement son consentement.

A priori, personne ne peut être contrainte à se faire vacciner ! Tous les indices sont favorables pour une liberté vaccinale. Mais est-ce vraiment le cas ? N’existent-elles pas des dispositions législatives faisant obstacle à l’exercice de cette liberté ?
Le sujet doit être analysé avec prudence. Avant de conclure que chaque individu est libre d’accepter ou de refuser le vaccin, il faut d’abord examiner minutieusement l’arsenal juridique français. La lecture de certains articles ne donne pas l’impression que le vaccin sera soumis à la faculté des individus.

Tout d’abord, la liberté d’aller et de venir pourrait être remise en cause après le lancement du vaccin. ‘’La restriction des conditions de circulation des Hommes et des marchandises a pendant longtemps constitué l’une des mesures de police sanitaire les plus utilisées pour éviter la propagation des maladies’’ [5]. L’article L3115-8 du code de la santé publique prévoit l’organisation d’un contrôle sanitaire sur les points d’entrée du territoire. Les personnes qui souhaitent entrer au territoire français seront soumises à un test de dépistage, prise de température, présentation du carnet de vaccination aux agents de contrôle. Les personnes qui refusent de se soumettre à ce contrôle se voient refuser l’entrée sur le territoire national avant d’être remis aux autorités compétentes.

Toutefois, les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen sont conduits par les autorités compétentes vers le service médical compétent du point d’entrée afin de faire l’objet d’examens médicaux appropriés. Au regard des résultats des examens, si l’état de santé de la personne nécessite une prise en charge dans une structure médicale adaptée, dans l’attente de son transfert vers cette structure, le représentant de l’Etat prend les mesures nécessaires pour s’assurer qu’elle reste confinée dans le service médical compétent du point d’entrée.

Quant aux personnes qui souhaitent sortir du territoire français, l’article L3115-9 du code de la santé publique organise de la même manière un contrôle sanitaire des voyageurs et des moyens de transport maritimes et aériens avant leur départ. Les voyageurs qui refusent de se soumettre à ce contrôle sont conduits par les autorités compétentes vers le service médical compétent du point d’entrée afin de faire l’objet d’examens médicaux et ne sont pas autorisés à monter à bord du moyen de transport.

Les autorités compétentes peuvent prendre toutes les mesures appropriées pour empêcher un voyageur ou un moyen de transport de quitter le territoire national. Les restrictions aux déplacements au sein de l’UE suscitent l’intérêt du législateur européen. D’après l’article 23 alinéa 1 du code frontières Schengen : « En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, un Etat membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures… ». Pour le Conseil d’Etat [6] :

« La situation sanitaire justifie les contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne ».

Ensuite, dans les relations individuelles du travail, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat [7]. Cette obligation suppose la restriction des libertés des salariés notamment par la possibilité de rendre la vaccination obligatoire contre la Covid-19 [8].

Selon une jurisprudence [9], le refus de subir une vaccination obligatoire constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. En l’espèce, une entreprise de pompes funèbres imposait la vaccination obligatoire contre l’hépatite B pour les salariés exerçant des fonctions les exposant au risque d’être contaminé par cette maladie. Un salarié refuse de se soumettre à cette vaccination et l’entreprise procède à son licenciement.

La cour d’appel de Nîmes par un arrêt rendu le 26 janvier 2010 admet que le refus opposé par le salarié de subir une vaccination obligatoire contre l’hépatite B constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement étant donné que l’employeur est tenu d’une obligation de résultat en matière de sécurité des salariés.

La chambre sociale de la Cour de cassation poursuit le même raisonnement des juges du fond :

« La prescription de cette vaccination par le médecin du travail et l’absence de contre-indication médicale de nature à justifier le refus du salarié ne lui permet pas de s’opposer au vaccin ».

De surcroît, la loi impose aux employeurs d’assurer à leurs salariés une visite médicale obligatoire [10] durant laquelle le médecin du travail a le droit de vérifier le carnet de vaccination du salarié. Ce dernier, est obligé de le présenter au vu du caractère important des vaccinations [11]. Pour les employeurs des sportifs professionnels titulaires d’un contrat de travail, une surveillance médicale particulière leur est accordée par la loi [12].

A titre d’exemple, la Fédération Française de Football (FFF) oblige tout joueur, en tant que salarié, de faire l’objet des examens prévus dans le cadre de la législation relative à la médecine du travail [13].

Quant à la fonction publique, tout candidat doit remplir les conditions prévues par l’article 5 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors. Parmi lesquelles, le candidat doit satisfaire les conditions de santé particulières exigées pour l’exercice de certaines fonctions relevant du corps ou du cadre d’emplois auquel il a accès. Partant, les conditions d’accès peuvent prévoir un test de dépistage. Puis, lors du recrutement, le candidat doit être à jour de ses vaccins. Pour les fonctionnaires en activité, la loi prévoit un examen médical périodique organisé par le service de médecine préventive dans chaque structure afin de surveiller les risques de contagion et l’état de santé des agents.

En résumé, les deux pays comptent sur l’engagement citoyen. Le vaccin contre la Covid-19 ne sera pas obligatoire mais basé sur le volontariat. Tout individu est libre à se faire vacciner. En revanche, l’exercice d’autres droits et libertés serait sacrifié au nom du vaccin. Le choix est difficile : soit se faire vacciner et jouir pleinement de ses droits et libertés, soit refuser le vaccin et par conséquent ne pas pouvoir voyager ou travailler !

Si les autorités marocaines avaient mis en demeure les personnes qui refuseront le vaccin de ne pas pouvoir quitter le territoire national, les autorités françaises ont gardé le silence sur les restrictions que pourraient y avoir les personnes récalcitrantes à la vaccination.

Enfin, pour avoir plus de précisions sur ce sujet, nous attendons avec impatience les décisions qui seront prises par les deux pays sur le caractère obligatoire ou facultatif du vaccin anti Covid-19.

Mohammed-Amine Sourhami Chercheur doctorant en sciences juridiques CDPC - Université de Toulon [->amine.sourhami@outlook.com]

[1« Plusieurs plaintes ont été déposées par des victimes de l’épidémie de covid-19 ou leurs proches pour engager la responsabilité pénale des dirigeants politiques ou administratifs dans la gestion de l’épidémie » : T. Dal Farra, « La responsabilité de l’Etat et de ses représentants dans la gestion de l’épidémie de covid-19 », AJDA, 2020, p. 1463.

[2Article 31 du Règlement Sanitaire International de l’OMS de 2005.

[3Article 24 alinéa 1 du code du travail.

[4Article 318 du code du travail.

[5A. Laude, B. Mathieu, D. Tabuteau, Droit de la santé, Presses Universitaires de France, 3ème éd, 2012, p. 41.

[6Ordonnance du Conseil d’Etat, 02 juin 2006, n° 440449 : AJDA, 08 juin 2020, p. 1089.

[7Article L4121-1 du code du travail.

[8P. Adam, « La liberté (des salariés) à l’épreuve de la pandémie », Droit social, 2020, p.581.

[9Cour de cassation, chambre sociale, 11 juillet 2012, n°10-27.888 : Revue de droit du travail 2012, p. 637, obs. V. Pontif.

[10Article R4624-10 du code du travail.

[11Cour d’appel de Bordeaux, chambre sociale, 24 octobre 2018, n° 16/07127 : Dalloz jurisprudence.

[12Article L231-6 du code du sport.

[13Article 34.1 du statut du Joueur Fédéral de la FFF.

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