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Licenciement suite au refus d’un accord de mobilité interne : quel contrôle du juge ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Mélanie Guyard, Juriste.
Parution : lundi 21 décembre 2020
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Dans un arrêt du 2 décembre 2020 (n°19-11986, P-B-R-I), la Cour de cassation apporte des précisions sur les modalités relatives à l’accord de mobilité interne, depuis remplacé par l’accord de performance collective (APC).

La Cour de cassation précise tout d’abord qu’un accord de mobilité interne répond au critère fixé par l’article L2242-21 du Code du travail dès lors qu’il a été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectifs au niveau de l’entreprise, quand bien même il entraînerait des suppressions de postes impliquant la réaffectation des salariés concernés.

De plus, la Haute juridiction affirme que le licenciement d’un salarié qui aurait refusé l’application, à son contrat de travail, des stipulations de l’accord de mobilité interne est un motif économique de licenciement différent de celui énoncé par l’article L1233-3 du Code du travail.

1) Les faits :

Des salariés licenciés pour motif économique après avoir refusé l’application de l’accord de mobilité interne contestent le bien-fondé de leur licenciement.

Après avoir perdu un marché couvrant les départements du Gard et de la Lozère, la société Inéo Infracom a déménagé son centre de Nîmes à une autre adresse au sein de la même ville et a proposé aux salariés rattachés à ce centre des affectations temporaires dans d’autres régions à compter du 1er juillet 2013, et ce dans le cadre du régime de grand déplacement prévu par la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1992, applicable.

Plusieurs salariés ont fait part de leur refus de cette situation à l’employeur et ont saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation de leur contrat de travail.

Le 29 juillet 2013, un accord de mobilité interne a été conclu entre l’employeur et plusieurs organisations syndicales représentatives en application des articles L2242-21 et suivants du code du travail.

Plusieurs salariés rattachés au centre de Nîmes, licenciés pour motif économique le 8 avril 2014 en raison de leur refus de mobilité interne, ont saisi la juridiction prud’homale de Nîmes d’une demande subsidiaire contestant le bien-fondé de leur licenciement.

2) Arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2020 (n°19-11986 à 19-11994) :

Dès lors qu’un accord de mobilité interne a été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectif au sein de l’entreprise, il est valide et les licenciements prononcés dans ce cadre procèdent d’un motif économique autonome à ceux de l’article L1233-3 du Code du travail.

2.1) Un accord de mobilité interne négocié en dehors de tout projet de réductions d’effectifs au sein de l’entreprise est valide même s’il entraîne la suppression de postes impliquant la réaffectation des salariés concernés.

Devant le Conseil de Prud’hommes, les salariés faisaient grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes tendant à :
- voir prononcer la résiliation judiciaire de leurs contrats de travail aux torts de leur employeur ;
- voir constater la nullité et en tous cas l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements ;
- obtenir la condamnation de l’employeur à leur verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et en tous cas sans cause réelle et sérieuse et à titre de dommages-intérêts pour non-respect par l’employeur de son obligation de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi.

Selon l’article L2242-21 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, l’employeur peut engager une négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation courantes sans projet de réduction d’effectifs.

La Haute juridiction considère que

« la cour d’appel de Paris, qui a constaté que l’accord de mobilité interne avait été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectifs au niveau de l’entreprise, afin d’apporter des solutions pérennes d’organisation de l’entreprise confrontée à des pertes de marché sur des territoires géographiques peu actifs, en a exactement déduit que cette réorganisation constituait une mesure collective d’organisation courante, quand bien même les mesures envisagées entraînaient la suppression de certains postes et la ré-affectation des salariés concernés sur d’autres postes ».

Ainsi, la Cour de cassation affirme qu’un accord de mobilité interne répond au critère fixé par l’article L2242-21 du Code du travail dès lors qu’il a été négocié en dehors de tout projet de réduction d’effectifs au niveau de l’entreprise.

2.2) Refus des salariés = licenciement pour motif économique autonome de celui régit par l’article L1233-3 du Code du travail.

Au visa de l’article L2242-23 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, la Cour de cassation rappelle que

« lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application à leur contrat de travail des stipulations de l’accord relatives à la mobilité interne, leur licenciement repose sur un motif économique ».

La Cour de cassation affirme que

« la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas soutenu que l’accord de mobilité interne n’était pas justifié par les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, a exactement décidé que le motif économique du licenciement était vainement discuté sur le fondement des dispositions de l’article L. 1233-3 du code du travail ».

Par conséquent, elle institue, dans le cadre d’un accord de mobilité interne, un motif économique de licenciement autonome des motifs économiques prévus à l’article L1233-3 du Code du travail.

A ce titre, l’employeur n’a pas à justifier que la modification du contrat de travail proposée dans le cadre d’un accord de mobilité interne, est consécutive de difficultés économiques ou des autres critères énoncés à l’article L1233-3 du Code du travail.

2.3) Le contrôle de la cause réelle et sérieuse du licenciement dévolu au juge prud’homal.

Selon l’article 4 de la Convention internationale du travail n°158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui est d’application directe en droit interne, un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

Selon l’article 9.1 du même texte, le tribunal auquel est soumis un recours devra être habilité à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié.

Enfin, l’article 9.3 dispose qu’en cas de licenciement motivé par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, le tribunal devra être habilité à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, et l’étendue de ses pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, ou par voie de législation nationale.

A ce titre, la Cour de cassation considère

« qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement consécutif à ce refus au regard de la conformité de l’accord de mobilité aux dispositions des articles L2242-21, L2242-22 et L2242-23 du code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur ».

A cet égard, la Haute juridiction confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui a

« retenu que l’accord était conforme aux dispositions de l’article L2241-21 du code du travail ».

Elle considère également que

« la cour d’appel, devant laquelle il n’était pas soutenu que l’accord de mobilité interne n’était pas justifié par les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, a exactement décidé que le motif économique du licenciement était vainement discuté sur le fondement des dispositions de l’article L1233-3 du code du travail ».

Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation affirme que le caractère réel et sérieux des licenciements dans le cadre d’un accord de mobilité interne s’apprécie selon que cet accord est :
- conforme aux dispositions légales le régissant ;
- justifié par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, ce qu’il appartient au juge d’apprécier.

Sources :

Cass. soc., 2 décembre 2020, n°19-11986 à 19-11994.

Note explicative relative à l’arrêt du 2 décembre 2020.

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Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum