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Le contentieux national relatif au déploiement de la 5G. Par Hermine Baron et François Lafforgue, Avocats.
Parution : jeudi 21 janvier 2021
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Le déploiement de la 5G, mobilisant plusieurs milliards d’euros, vise à lancer la « société du gigabit » [1], politique portée au niveau de l’Union européenne par la Commission.
Dans la pratique, cette technologie permettra essentiellement de favoriser de nouveaux usages, comme l’essor des « objets connectés » et à répondre à l’utilisation croissante du streaming.

Juridiquement complexe, cette opération suit en France un processus en plusieurs étapes.

Une feuille de route a été lancée le 16 juillet 2016 par le gouvernement et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après l’ARCEP).

Le 21 novembre 2019, l’ARCEP a pris une décision proposant au ministre chargé des communications électroniques les modalités et les conditions d’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 3,4-3,8GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

Cette bande de fréquences, également appelée « bande 3,5 GHz » constitue la « bande cœur » de la 5G, celle sur laquelle cette technologie a essentiellement vocation à être mise en œuvre.

Ont ensuite été adoptés un arrêté relatif à ces modalités et conditions d’attribution d’autorisations le 30 décembre 2019 puis un décret relatif aux redevances d’utilisation desdites fréquences le 31 décembre 2019.

Les quatre candidats pressentis, les sociétés Bouygues Telecom, SFR, Orange et Free, ont été qualifiés pour l’obtention de blocs de 50 MHz.

Enfin, par décision du 12 novembre 2020, ces quatre opérateurs ont été autorisés à utiliser des fréquences dans la bande 3,4-3,8GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

Les associations PRIARTEM et Agir Pour l’Environnement s’opposent depuis l’origine à ce déploiement, qu’elles considèrent comme précipité au vu des nombreuses incertitudes qui planent sur cette technologie et ses impacts.

Ces associations ont donc contesté plusieurs des décisions ayant jalonné ce déploiement, et notamment l’arrêté du 30 décembre 2019 relatif aux modalités et aux conditions d’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 3,5 GHz.

Ce dossier a été examiné par les 2e et 7e chambres réunies de la section contentieux du Conseil d’Etat le 18 décembre 2020. Le Rapporteur Public est allé dans le sens des associations, estimant que la question méritait d’être portée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Le 31 décembre 2020, le Conseil d’Etat rejetait cependant leur demande [2].

Sur la forme, les associations reprochaient notamment au gouvernement les conditions de la consultation publique sur le projet d’arrêté, proposée dans des délais courts et sans les en informer, et qui n’a donc pas permis une réelle information et participation.

Sur le fond, les associations estimaient notamment que l’arrêté du 30 décembre 2019 aurait dû faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique, sur le fondement de l’article L122-4 du Code de l’environnement.
Cet article, pris en transposition de l’article 3 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, prévoit en effet que sont soumis à évaluation environnementale stratégique les plans et programmes

« qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».

Cette évaluation préalable a pour objet de s’assurer que les incidences d’une décision susceptible d’avoir un impact sur l’environnement sont bien prises en compte durant son élaboration et avant sa mise en œuvre.

Or, l’arrêté du 30 décembre 2019 nous semble répondre effectivement aux critères posés par l’article L122-4 du Code de l’environnement.

Sur le plan organique, il présente bien les caractéristiques d’un plan ou programme déployé par une autorité publique, puisqu’il définit les conditions d’attributions des fréquences et les modalités de mise en œuvre du déploiement de la 5G sur celles-ci.

Sur le plan fonctionnel, le déploiement de la 5G sur ces fréquences en France est à tout le moins « susceptible » d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

Différentes études montrent d’ores et déjà que la 5G peut avoir des impacts sur la consommation énergétique [3], sur l’empreinte carbone (la 5G entraînera à terme le renouvellement complet du parc de smartphones et l’utilisation de nombreuses terres rares) [4], et en termes sanitaires (comme le laissent penser trois études de l’ANSES, une autre étant en attente pour 2021) [5].

Dès lors, les associations soutenaient qu’il convient de se doter en la matière des connaissances nécessaires à un choix politique éclairé avant de procéder au déploiement de la technologie en question.

C’est bien ce qu’impose l’article L122-4 du Code de l’environnement, dont l’applicabilité en l’espèce était la question de droit posée au Conseil d’État : question de qualification inédite, s’agissant de l’utilisation d’une nouvelle technologie.

Le Conseil d’Etat, en dépit des conclusions du Rapporteur Public, n’a pas suivi les associations sur ce point, considérant que l’arrêté litigieux « ne définit pas un ensemble significatif de critères et de modalités devant être mis en œuvre par les autorités compétentes pour autoriser, le cas échéant, ces travaux, installations ou ouvrages » (point 20), et ne constitue pas davantage « le cadre d’autorisation des interventions dans le milieu naturel que constitue la diffusion d’ondes électromagnétiques » (point 21).

Pour les associations requérantes, cette analyse tend à réduire l’appréciation très large de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la notion de plans et programmes, cette dernière considérant que l’objectif de la directive 2001/42/CE « consiste à soumettre à une évaluation environnementale les décisions susceptibles d’avoir des incidences notables sur celui-ci » [6], catégorie dans laquelle rentre assurément le déploiement de la 5G en France sur les bandes de fréquences visées.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a par ailleurs expressément mis en garde les Etats-Membres contre « de possibles stratégies de contournement » de cet objectif (idem, point 48).

Au-delà de la question du déploiement au niveau national, une éventuelle décision de la CJUE sur ce point aurait pu avoir de potentielles répercussions sur le déploiement de la 5G par les autres Etats-Membres.

Outre l’article L122-4 du Code de l’environnement, d’autres fondements juridiques ont été invoqués, et leur application rejetée par le Conseil d’Etat.

La décision du Conseil d’Etat a bien entendu fortement déçu les attentes des associations, et témoigne d’une frilosité certaine, malgré la – timide – émergence d’une prise en compte des questions environnementales et sanitaires par des décisions comportant parfois des injonctions aux pouvoirs publics, sur des sujets aussi divers que la protection des populations vulnérables face à l’utilisation de pesticides [7], l’exposition des jeunes travailleurs à l’amiante [8], l’évaluation des risques des variétés rendues tolérantes aux herbicides [9], la pollution de l’air [10].

Le Conseil constitutionnel lui-même, dans sa décision du 31 janvier 2020 rendue à propos de la production, du stockage et de la circulation en France des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne, a estimé que la liberté d’entreprendre pouvait être limitée par l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement [11].

Cette tendance jurisprudentielle et la forte mobilisation du tissu associatif et citoyen autour des questions environnementales n’empêche pas la persistance d’un technoenthousiasme de la part des pouvoirs publics, ce dont témoigne, dans l’affaire de la 5G, la décision du gouvernement d’attribuer sans attendre des bandes de fréquences aux opérateurs, en dépit du scepticisme affiché par de nombreuses institutions, comme la Convention Citoyenne sur le Climat [12] ou le Haut Conseil pour le Climat [13].

Le cas du déploiement de la 5G est symptomatique de la résistance du politique à intégrer dans les développements scientifiques et techniques l’impératif toujours croissant d’évaluation préalable et d’examen des solutions alternatives.

Hermine Baron et François Lafforgue, Avocats Barreau de Paris.

[2CE, 31 décembre 2020, n°438240, 438760, 439204, 439590, 443136.

[6CJUE, 27 octobre 2016, Affaire C-290/15, point 47.

[7CE, 26 juin 2019, Associations Générations Futures et Eau et Rivières de Bretagne, n° 415426, 415431.

[8CE, 18 déc. 2015, n° 373968.

[9CE, 7 févr. 2020, n° 388649.

[10CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre, n° 394254.

[11Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-823 QPC.