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Les bonnes pratiques pour traiter un dossier de harcèlement moral (Partie 1). Par Stéphane Boudin, Avocat.
Parution : mercredi 30 décembre 2020
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Le présent article est destiné aux avocats qui sont, pour la première fois, contactés par un salarié qui les sollicite pour réagir face à une situation de souffrance au travail, potentiellement révélatrice de harcèlement moral.

L’article, qui se veut résolument pratique, est volontairement peu sourcé en jurisprudence pour ne pas en alourdir le propos.

L’objectif du salarié est de mettre fin à la situation de souffrance au travail qu’il vit et bien souvent quitter son emploi dans les meilleures conditions possibles, en faisant reconnaître son statut de victime.

Nous n’examinerons pas dans cet article les réponses à donner à la situation rencontrée par le salarié :
- Sur le plan pénal,
- En matière de droit de la Sécurité Sociale : reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et par la suite éventuelle recherche de la faute inexcusable de l’employeur

Nous distinguerons le harcèlement moral d’autres formes de souffrance au travail telle que la discrimination (notamment en raison de l’état de santé) ou le burn-out, situation d’épuisement professionnel, qui ne résulte pas automatiquement d’un manquement de l’employeur.

I. Démonstration.

- étape 1 : le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement,
- étape 2 : l’employeur démontre que les faits en question sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,
- étape 3 : si cela lui est impossible, l’employeur s’exonère de sa responsabilité aux deux conditions cumulatives suivantes :
- en amont : il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail, notamment des actions d’information et de formation, propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral,
- en aval : informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
- étape 4 : si le harcèlement est reconnu, le salarié relie les faits de harcèlement moral à la rupture du contrat de travail pour en demander la nullité, quelle que soit la nature et l’auteur de la rupture.

Le présent article traite des étapes 1 à 3, s’agissant du harcèlement moral dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.

L’étape 4 sera détaillée dans un second article à paraître prochainement.

II. Argumentation du salarié.

La présentation des éléments de fait par le salarié laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral se fait généralement en deux temps :
- présenter les éléments de fait répétés subis par le salarié dégradant ses conditions de travail - concrètement dans les conclusions de l’avocat avec une partie intitulée : « sur l’existence du harcèlement moral »,
- présenter les conséquences sur le salarié du harcèlement subi - concrètement dans les conclusions de l’avocat avec une partie intitulée : « sur les conséquences du harcèlement moral sur le salarié » ou bien souvent plus précisément : « sur les conséquences du harcèlement moral sur l’état de santé du salarié »

Les conclusions se terminent ensuite avec une dernière partie intitulée

« sur l’indemnisation du préjudice subi par le salarié du fait du harcèlement ».

En pratique, il est difficile de faire reconnaître en justice l’existence d’un harcèlement moral lorsque les seuls éléments produits à l’appui de ce harcèlement sont relatifs aux conséquences sur le salarié de ce harcèlement (notamment relatifs aux conséquences sur son état de santé), à l’exclusion donc de la démonstration de tous agissements répétés le présumant.

1) Existence du harcèlement moral.

a) Rappel des principes en matière de harcèlement moral.

La lutte contre le harcèlement moral au travail s’inscrit dans l’obligation de sécurité (l’obligation de prévention des risques professionnels) qui s’impose à l’employeur au bénéfice de ses salariés.

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et une organisation et des moyens adaptés […] [1].

L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral [2].

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel [3].

Trois éléments permettent de caractériser le harcèlement moral :
- des agissements répétés : de nature diverse, même sur une courte période, l’identité de son auteur étant indifférente à condition que l’auteur puisse être rattaché à la relation de travail, le seul critère étant au moins deux faits répétés qui peuvent être de même nature ou non,
- une dégradation des conditions de travail comme objectif ou conséquence : la volonté de l’auteur de harceler la victime n’étant pas une condition à la caractérisation des faits de harcèlement,
- des potentielles : il n’est pas nécessaire que le harcèlement ait eu effectivement des conséquences dommageables.
- atteinte aux droits et à la dignité du salarié : notamment en cas de faits de harcèlement moral commis en public,
- altération de la santé physique ou mentale du salarié : démonstration la plus facile à apporter permettant une appréciation in concreto par la communication d’éléments d’ordre médical,
- compromission de l’avenir professionnel du salarié : atteinte potentielle généralement la plus difficile à démontrer car plus subjective et nécessitant de se projeter dans le futur.

La nature de ces éléments, leur gravité, leur nombre et leur cumul, tous ces facteurs, comme autant d’échelles d’évaluation, permettent de caractériser plus ou moins le harcèlement moral.

Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L1152-1 à L1152-3 ..., le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement [4].

Les juges doivent apprécier, dans leur ensemble, les éléments matériellement établis par le salarié, dont les certificats médicaux, laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, ils doivent alors apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral [5].

b) Types et preuves du harcèlement moral.

Comportements ou paroles inappropriés : insultes, injures, humiliations, dénigrements, agressivité, mépris, mise à l’écart.

Ils caractérisent d’autant plus des faits de harcèlement moral, par l’impact qu’ils peuvent avoir sur le salarié, lorsqu’ils sont tenus en public. L’atteinte aux droits et à la dignité du salarié est retenue plus facilement dans cette hypothèse.

Les comportements ou paroles inappropriés sont généralement difficiles à démontrer. En la matière, la reine des preuves reste l’attestation. La démonstration est ici facilitée si le harceleur reproduit son comportement ou ses paroles inappropriés avec plusieurs personnes.

Remarques, critiques ou sanctions (déguisées ou non) injustifiées, accusations mensongères.

Les remarques, critiques ou sanctions font souvent l’objet d’un écrit. Que ce soit le cas ou non, il est alors impératif pour le salarié de répondre par écrit à toutes remarques, critiques ou sanctions qu’il estime injustifiées. A défaut, il pourrait lui être reproché par la suite son absence de réaction et donc son acceptation tacite des remarques, critiques ou sanctions reçues.

Lorsqu’il s’agit de sanctions déguisées, tels que des retards ou des absences de paiement de salaire, l’absence de délivrance de documents, le retrait ou l’absence de fourniture de moyens humains et matériels ou des modifications injustifiées des conditions de travail, Il appartient au salarié de signaler par écrit tout problème constituant en réalité pour lui une sanction déguisée, sans forcément à ce stade l’identifier clairement comme telle.

Surcharge de travail (y compris durant les temps d’absence autorisée) et pressions psychologiques.

Ce type de harcèlement accompagne généralement les affaires dans lesquelles des demandes pécuniaires relatives au temps de travail (heures supplémentaires, travail dissimulé, contrepartie obligatoire en repos, non-respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail, non-respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires) sont formulées.

Le harcèlement résultant de la surcharge de travail est d’autant plus soutenu avec pertinence dans ce type de dossier que le nombre d’heures supplémentaires est important.

La reconnaissance du harcèlement est alors évidemment liée à la reconnaissance préalable de la réalité des heures supplémentaires effectuées.

La démonstration de la surcharge de travail se fait principalement par l’apport d’éléments de preuve concernant la réalité des heures supplémentaires effectuées : production de plannings ou de relevés de temps manuscrits ou informatiques, e-mails à des horaires tardifs ou en dehors des journées normales de travail, tout document permettant de démontrer une augmentation de la charge de travail du salarié par l’augmentation de son périmètre d’intervention ou de ses missions, de son nombre de clients ou des objectifs à atteindre par exemple.

Dans ce type de dossier, il est important que le salarié laisse le maximum de traces écrites pour dénoncer la charge anormale de travail pesant sur lui. A défaut, sa charge de travail sera considérée comme normale pour un regard extérieur, le ressenti du salarié étant considéré alors comme une simple réaction au stress et à une pression tout à fait habituelle, dû à ses conditions de travail.

c) Dénonciation du harcèlement moral par le salarié.

Plus globalement et quel que soit le type de faits de harcèlement auquel il est confronté, le salarié ne doit pas hésiter à les dénoncer en les identifiant comme tels sur différents supports écrits auprès de différents interlocuteurs :
- auprès de l’employeur, dans les grandes structures, pour porter à sa connaissance les faits de harcèlement, par le biais du service RH ou du supérieur hiérarchique direct (si ce dernier n’est pas le harceleur) ou dans les petites structures pour dénoncer directement au harceleur les faits qu’il subit : dans des e-mails, dans des lettres recommandées avec accusé de réception, au cours de son entretien annuel d’évaluation, …
- auprès des membres du CSE ou des organisations syndicales : dans des e-mails ou en sollicitant le moment venu des attestations,
- auprès de la médecine du travail : dans des e-mails ou des lettres, dans tout document contenu dans son dossier médical (à demander après la rupture de son contrat de travail) établi à l’occasion des visites médicales,
- auprès de l’Inspection du travail (la DIRECCTE) : dans des e-mails ou des lettres,
- par un dépôt de plainte : que ce soit pour le délit de harcèlement moral ou celui de diffamation ou d’insultes

Il est important qu’une telle alerte soit effectuée notamment auprès de la direction de la société en dénonçant précisément et sans ambiguïté une situation de harcèlement moral et en utilisant le terme même de « harcèlement moral » dans l’alerte.

En effet, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés [6].

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L1152-1 et L1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul [7].

A défaut de mention expresse du terme harcèlement moral dans la dénonciation, le salarié ne bénéficie pas de la protection accordée par les articles L1152-2 et L1152-3 du Code du travail [8].

Le salarié est protégé que le harcèlement soit ou non avéré, sauf mauvaise foi de sa part dans la dénonciation du harcèlement, mauvaise foi qui ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis [9].

Face à la dénonciation écrite de faits constitutifs de harcèlement moral, l’employeur a l’obligation de réagir, que le harcèlement soit ou non avéré, en initiant une enquête et en en tirant les conséquences.

A défaut, si le harcèlement n’est pas constitué, il commet au minimum un manquement à son obligation de sécurité [10]. Si le harcèlement est constitué, il ne peut alors pas s’exonérer de sa responsabilité et doit assumer les conséquences indemnitaires des faits de harcèlement subi par le salarié.

2) Les conséquences du harcèlement moral sur le salarié.

Elles sont pour rappel potentiellement de trois types :
• atteinte à ses droits et à sa dignité
• altération de la santé physique ou mentale du salarié
• compromission de son avenir professionnel

L’altération de l’état de santé du salarié est ici la conséquence du harcèlement moral la plus facile à démontrer car la plus tangible, lorsqu’elle n’est pas que potentielle.

Le harcèlement moral a ainsi été reconnu notamment par la jurisprudence par les conséquences suivantes sur le salarié :
- un retour à son domicile en pleurs,
- un affaiblissement physique et psychologique donnant lieu à un arrêt de travail,
- un épuisement puis un grave état dépressif,
- du surmenage, un épuisement professionnel, une dépression

Le harcèlement moral peut aussi être constitué en cas de tentative de suicide du salarié (hors des lieux et temps de travail pour échapper au périmètre d’application du droit de la Sécurité Sociale).

Les éléments médicaux sont ici très importants :
- arrêts de travail pour dépression, anxiété, troubles anxio-dépressif, épuisement professionnel, burn-out, …
- attestations et certificats médicaux relatant les propos de dénonciation de faits de harcèlement moral tenus par le salarié et les reliant aux symptômes constatés par le médecin traitant, le psychologue, le psychothérapeute ou le psychiatre,
- correspondance échangée entre médecins,
- ordonnances médicales prescrivant hypnotiques, anxiolytiques et anti-dépresseurs,
- tout écrit émanant de la médecine du travail.

Généralement, les dossiers de harcèlement moral contiennent un certain nombre de documents d’ordre médical. Que le salarié soit victime de faits de harcèlement moral ou d’un burn-out sans manquement de la part de son employeur, les conséquences sur son état de santé sont généralement similaires.

Les éléments de preuve de la dégradation de l’état de santé du salarié sont donc un indice révélateur de faits de harcèlement moral avérés mais restent bien souvent insuffisants seuls.

Il faut ainsi démontrer que la détérioration de l’état de santé du salarié est en lien avec des agissements constitutifs de harcèlement moral subis dans le cadre de son travail.

3) L’indemnisation des préjudices subis du fait du harcèlement moral.

Le délai de prescription de deux ans applicable à toute action portant sur l’exécution du contrat n’est pas applicable aux actions exercées en application de l’article L1152-1 [11].

En matière de harcèlement moral, nous retombons donc sur le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil.

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer [12].

S’agissant d’actes répétés, la Cour de Cassation, en matière pénale, rappelle que le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter du dernier acte de harcèlement reproché [13].

La solution est a priori transposable sans difficulté en matière civile.

a) L’indemnisation du harcèlement moral.

Dans toutes les hypothèses, le salarié est en droit de percevoir une indemnité pour harcèlement moral réparant le préjudice subi du fait de ce harcèlement.

Reste à évaluer le montant de l’indemnité réparant le préjudice subi. Sur ce point, il faut tenir compte des points suivants :
- le profil de la victime,
- son ancienneté au sein de la société,
- la durée du harcèlement,
- le nombre et la gravité des faits de harcèlement subis

Une étude de la société Predictice publiée courant 2020 téléchargeable après inscription sur le lien suivant [14] nous fournit quelques données chiffrées à ce sujet émanant des Cours d’Appel, à partir d’un panorama de 1295 arrêts analysés.

Les indemnités accordées à titre de harcèlement moral se monteraient, selon cette étude, au niveau national en moyenne à 7 100 euros.

Les différents acteurs de la justice prédictive proposent désormais des outils afin de faciliter le chiffrage de la réparation du préjudice des victimes de harcèlement moral.

b) La violation par l’employeur de ses obligations de sécurité en matière de protection de la santé de ses salariés et de prévention des faits de harcèlement.

L’article L1152-1 du Code du travail rappelle qu’aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral.

L’article L1152-4 du Code du travail met à la charge de l’employeur une obligation de prévention de faits de harcèlement pour en empêcher la survenance. Cette obligation est à rattacher plus globalement à l’obligation de sécurité prévue à l’article L4121-1 du Code du travail, article qui peut donc utilement être aussi invoqué dans cette hypothèse, malgré son périmètre d’application plus large.

Les obligations résultant de ces articles (d’un côté, l’article L1152-1, de l’autre les articles L1152-4 et L4121-1) ont un fondement juridique distinct et visent à réparer des préjudices distincts. La jurisprudence autorise donc dans cette hypothèse une double indemnisation.

Les obligations résultant des articles L1152-4 et L1152-1 du Code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques [15].

Dans cette espèce, le salarié avait obtenu de la Cour d’Appel la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de la violation de l’obligation de prévention du harcèlement moral et 25 000 euros en réparation du préjudice résultant de l’exécution fautive du contrat de travail et du harcèlement moral.

Doit être approuvée la Cour d’Appel qui a alloué des sommes distinctes correspondant au préjudice résultant d’une part de l’absence de prévention par l’employeur des faits de harcèlement et d’autre part, des conséquences du harcèlement effectivement subi [16].

Dans cette deuxième espèce, le salarié avait obtenu de la Cour d’Appel la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice résultant de la violation de l’obligation de prévention du harcèlement moral (qualifiée de violation de l’obligation de sécurité au stade de la Cour d’Appel) et 12 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Ainsi, dans les grandes structures, à côté de la possibilité pour le salarié de percevoir une indemnité pour harcèlement moral, la violation par l’employeur de son obligation de prévention des faits de harcèlement pour en empêcher la survenance peut être recherchée, pour obtenir une indemnisation également à ce titre, si deux conditions sont remplies :
- le harceleur n’est pas le représentant légal de la personne morale ou le seul représentant physique incarnant le pouvoir de direction (par exemple un Directeur Général),
- le salarié a émis une alerte auprès de sa direction ou du service RH pour dénoncer les faits de harcèlement subis.

III. Argumentation de l’employeur.

De son côté, l’employeur, une fois que le salarié a présenté des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, se défend en soutenant successivement l’un après l’autre les arguments suivants :
- les faits invoqués sont inexistants,
- ils s’expliquent objectivement par l’intérêt de l’entreprise ou l’exercice du pouvoir de direction et sont donc étrangers à tout harcèlement,
- les deux conditions cumulatives, prévention et réaction après alerte du salarié, pour s’exonérer de sa responsabilité, sont bien remplies.

1) Inexistence des faits invoqués.

L’employeur se contente de contester la réalité des faits avancés par le salarié laissant supposer un harcèlement moral, si leur existence est effectivement discutable car non prouvée.

Cet argument est d’autant plus entendu si le salarié n’a pas alerté en son temps sa direction, le service RH, le CSE ou les syndicats, la médecine du travail, voire l’Inspection du travail.

Si le salarié produit uniquement des éléments démontrant une dégradation de son état de santé, à l’exclusion donc de la démonstration de tous agissements répétés présumant un harcèlement, l’employeur réplique en soutenant simplement que l’état de santé dégradé du salarié est sans lien avec la relation de travail.

2) Objectivation des faits invoqués.

Comportements ou paroles inappropriés : insultes, injures, humiliations, dénigrements, agressivité, mépris, mise à l’écart.

Ces comportements sont assez difficilement justifiables par l’employeur, notamment au regard du simple exercice de son pouvoir de direction.

Remarques, critiques ou sanctions (déguisées ou non) injustifiées, accusations mensongères.

Ces comportements sont beaucoup plus facilement justifiables par l’employeur, au nom de l’exercice de son pouvoir de direction.

Face à une dénonciation de la part du salarié de ce type de faits, l’employeur se retranche derrière son pouvoir de contrôle et de sanction du travail du salarié, en n’hésitant pas à soutenir que ce dernier ne l’exécute pas correctement.

Lorsqu’il s’agit de sanctions déguisées, tels que des retards ou des absences de paiement de salaire, l’absence de délivrance de documents, le retrait ou l’absence de fourniture de moyens humains et matériels ou des modifications injustifiées des conditions de travail, l’employeur justifie ces faits en se retranchant derrière l’intérêt de l’entreprise ou des difficultés de gestion quotidienne.

Surcharge de travail (y compris durant les temps d’absence autorisée) et pressions psychologiques.

La surcharge de travail est justifiée par l’employeur au nom de l’intérêt de l’entreprise.

Les pressions subies par le salarié sont expliquées par l’employeur comme étant des ressentis d’un simple stress professionnel habituel et normal.

3) Exonération de la responsabilité de l’employeur.

Suite aux arrêts dits « amiante » de 2002, la Cour de Cassation retenait une responsabilité sans faute de la part de l’employeur dès que des faits de harcèlement moral étaient établis.

L’employeur était tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral. L’absence de faute de sa part ne pouvait l’exonérer de sa responsabilité [17].

L’employeur était responsable quand bien même il avait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements [18].

Désormais, depuis l’arrêt du 1er juin 2016, précédé par l’arrêt du 25 novembre 2015 (rendu en matière d’obligation de sécurité), la Cour de Cassation admet qu’un employeur puisse, sous certaines conditions, s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’une situation de harcèlement moral se produit dans l’entreprise [19].

Bien évidemment, pour faire jouer cette possibilité d’exonération, encore faut-il que l’employeur, le représentant légal de la personne morale ou la personne physique qui représente la direction, ne soit pas le harceleur lui-même.

Dans les petites structures, il arrive souvent que ce soit la même personne. Dans ces conditions, si les faits de harcèlement moral sont constitués, l’employeur ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité.

Dans les autres hypothèses, l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité et donc échapper à une condamnation à indemniser le salarié du préjudice subi du fait du harcèlement si :
- en amont : il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail ;
- en aval : informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser

Les deux conditions sont cumulatives.

En aval, l’employeur peut bien souvent apporter des éléments de preuve démontrant que, dès qu’il a été informé, il a pris des mesures immédiates propres à faire cesser les faits de harcèlement. Il peut démontrer, tout d’abord, qu’il a écouté le salarié, pris en compte ses difficultés, voire mis en place une enquête, puis, si l’enquête a confirmé une situation de harcèlement, qu’il a éloigné le harceleur et la victime, voire qu’il a sanctionné le harceleur, la sanction pouvant aller jusqu’à son licenciement pour faute grave.

En pratique, l’employeur insistera beaucoup en cas de contentieux sur le fait qu’il a réagi dès qu’il a été alerté afin de chercher à s’exonérer de sa responsabilité.

Mais la Cour de Cassation rappelle, dans sa note explicative de l’arrêt du 1er juin 2016 consultable sur ce lien, que ce n’est pas suffisant, l’employeur devant démontrer également qu’il a pris toutes les mesures de prévention possibles en amont et notamment qu’il a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral.

Il faut rappeler à ce titre que l’arrêt en question, après avoir énoncé la solution retenue, a finalement cassé l’arrêt d’appel en ce que la Cour d’Appel n’avait pas recherché si l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.

Pour rappel, l’article L4121-2 du Code du travail détaille les principes généraux de prévention à suivre par l’employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs :
- Éviter les risques ;
- Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
- Combattre les risques à la source ;
- Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé
- Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
- Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
- Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L1152-1 et L1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L1142-2-1
- Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
- Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L’employeur doit donc justifier qu’il a mis en place des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et une organisation et des moyens adaptés, en respectant les principes rappelés à l’article L4121-2 du Code du travail, par des mesures précises et détaillées.

Face à un employeur qui a réagi suite à la dénonciation de faits de harcèlement, c’est donc principalement sur le terrain de la prévention que le salarié doit aller pour empêcher l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité.

Conclusion.

L’avocat du salarié doit être vigilant sur l’ensemble des points développés dans le présent article, et ce, d’autant plus que depuis l’arrêt du 8 juin 2016, la Cour de Cassation refuse d’exercer son contrôle en la matière en retenant que sous réserve d’exercer son office dans les conditions rappelées aux articles L1152-1 et L1154-1 du Code du travail, d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement [20].

La Cour de Cassation, sous réserve du respect du régime probatoire applicable au harcèlement moral par le juge du fond, lui en laisse désormais l’appréciation souveraine, limitant ainsi à son niveau les possibilités de censure d’un arrêt de Cour d’Appel défavorable au salarié.

Stéphane Boudin, Avocat en Droit du travail Barreau de la Seine-Saint-Denis www.webavocat.fr [->webavocat@webavocat.fr]

[1Article L4121-1 du Code du travail.

[2Article L1152-4 du Code du travail.

[3Article L1152-1 du Code du travail.

[4Article L1154-1 du Code du travail.

[5Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.766 ; Cass. soc., 20 janv. 2016, n° 14-18.416.

[6Article L1152-2 du Code du travail.

[7Article L1152-3 du Code du travail.

[8Cass. soc., 13 sept. 2017, n° 15-23.045.

[9Cass. soc., 27 oct. 2010, n° 08-44.446.

[10Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-10.551.

[11Article L1471-1 du Code du travail.

[12Article 2224 du Code civil.

[13Cass crim., 19 juin 2019, n°18-85.725.

[15Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.694.

[16Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-17.729.

[17Cass. soc., 29 juin 2006, n°05-43.914.

[18Cass. soc., 3 févr. 2010, n°08-44.019 ; Cass. soc., 29 juin 2011, n°09-69.444.

[19Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444 ; Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702.

[20Cass. soc., 8 juin 2016, n°14-13.418.